« Les métrologues doivent disposer des moyensdel'ambition deleurentreprise»

Le 01/02/2016 à 15:00

Mesures. Dans le communiqué de presse annonçant ces formations, vous mentionniez que le métier de métrologue n'existe officiellement pas.Vous y allez un peu fort…

Tant que les entreprises n'identifient pas la métrologie à « sa juste valeur », c'est-à-dire tant que la métrologie n'est pas considérée comme une activité importante dans la plupart des entreprises, on restera dans un cercle vicieux.

Zeiss

Bruno Simaillaud. Il est vrai que l'expression est directe, mais, si vous consultez le site Internet de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres, ndlr), par exemple, je suis à peu près sûr que vous ne trouverez pas de description de la fonction de responsable métrologique. Dans les faits, les entreprises ont un besoin et, de ce point de vue, on pourrait dire qu'il existe une fonction métrologique. Mais qui va avoir idée de faire une formation en métrologie dans le cursus initial ? Quand j'interviens dans une entreprise, je n'ai pas en face de moi des personnes qui ont une formation initiale relative à la métrologie. Je ne suis pas le seul à faire ce constat; tous les intervenants participant à une table ronde organisée au Congrès international de métrologie 2013 s'accordaient eux aussi sur ce fait. Je sais par ailleurs que l'Ecole des Mines de Douai a depuis mené une enquête sur les formations initiales et avait conclu, en résumé, qu'il en existait très peu et que, même quand on posait la question lors de formations en qualité, les élèves étaient un peu mal à l'aise par rapport à la métrologie. Pourtant, cela en fait partie. Suite à la publication de l'enquête de l'Ecole des Mines de Douai, des formations en métrologie se sont quand même montées. Maintenant, il va falloir attendre un peu que les premières promotions arrivent sur le marché.

Mesures. En espérant que les profils de ces diplômés correspondent aux besoins que recherchent les entreprises…

Bruno Simaillaud. Tout à fait. Il est sûr que les entreprises, ayant identifié leurs besoins et qui ont des difficultés pour recruter, y trouveront leur compte. Mais il serait effectivement intéressant de regarder si les nouveaux diplômés de ces cycles orientés «métrologie » trouvent facilement du travail sur un marché relativement petit, et sans prise de conscience évidente des entreprises pour la métrologie.

Bruno Simaillaud, consultant formateur senior Qualité, Métrologie, Accéditation des laboratoires, Six Sigma chez Afnor Compétences

DR

Ingénieur en méthodes physiques d'analyses chimiques du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et diplômé d'un Mastère spécialisé en management par la qualité (CESTI-ISMCM - Pôle universitaire Léonard de Vinci), Bruno Simaillaud a commencé sa carrière en 1988 au sein du centre de recherche d'Eurovia, filiale de Vinci. Il a ensuite pris en charge la démarche d'accréditation Cofrac Essais, puis celle de certification ISO 9001 version 2000 de la Direction technique.

D Bruno Simaillaud a ensuite été responsable Qualité chez Environnement SA, de 2005 à 2007, pour intégrer en janvier 2007 Afnor Compétences. En tant que consultant formateur, il intervient dans la conception, l'animation et l'accompagnement dans les domaines de la métrologie (ISO 17025, ISO 10012, audit, statistiques, incertitudes de mesure…), des méthodes et outils de performance (méthode Six Sigma, résolution de problèmes, maîtrise statistique des processus, plans d'expériences), ainsi que du management de la qualité (ISO 9001, audit, amélioration continue, risques et opportunités). Bruno Simaillaud est également référent de la gamme «Métrologie» et membre des commissions de normalisation X06 «Statistiques» et XA50 «Evaluation et démonstrations» (révision ISO 17025).

Mesures. Même si le nombre de formations initiales en métrologie progresse, est-ce que la situation va forcément s'améliorer?

Bruno Simaillaud. En fait, tant que les entreprises n'identifient pas la métrolo-gie à «sa juste valeur», c'est-à-dire tant que la métrologie n'est pas considérée comme une activité importante dans la plupart des entreprises, on restera dans ce cercle vicieux. A cause de ce problème de positionnement de la métrologie par rapport à son vrai intérêt, on comprend que les entreprises en fassent le moins possible et qu'elles vont considérer la métrologie comme un centre de coûts. Les industriels vont donc plutôt minimiser les ressources associées à la gestion des équipements et étalonner avec une fréquence la moins élevée possible, par exemple. Les entreprises font parfois de la métrologie pour, en caricaturant, simplement mettre un papier dans un classeur. Ce qui se traduit par l'étalonnage du matériel, histoire de disposer d'un certificat avec un beau logo, certificat que l'on archive dans un classeur et que l'on présente ensuite à l'auditeur. A aucun moment, la métrologie à proprement dite n'intervient dans le processus de décision. Il faut reconnaître que tous les auditeurs ne sont pas non plus forcément à l'aise dans ce domaine-là… La situation est telle que, lorsque l'on regarde d'un peu plus près les documents, on s'aperçoit que le matériel étalonné ne correspond peut-être pas à l'usage qu'il en est fait par l'utilisateur. Cette absence d'analyse vient du fait que la personne qui a en charge les équipements gère uniquement le côté administratif. Puisque ce n'est pas stratégique et comme elle ne trouve pas forcément, en général, de profils compétents à recruter à l'extérieur, l'entreprise va également demander à quelqu'un, en interne, même s'il n'a pas forcément la formation initiale correspondante, de faire les vérifications périodiques en plus de ses activités. Compte tenu de l'aspect quand même technique des prestations, l'industriel choisira plutôt un technicien. Quitte à compléter ses compétences en métrologie avec un stage dans un organisme tel qu'Afnor Compétences. Et l'entreprise considérera que c'est bien suffisant. Mais, pour moi, on est loin du compte!

Pour les personnes en formation de métrologie, il serait intéressant, pour celles qui n'ont pas cette culture du management, de «vendre » la métrologie, ce qui leur permettrait d'obtenir plus de moyens. Souvent la seule réponse est : « Cela sort complètement de mes responsabilités habituelles. »

Mettler-Toledo

Mesures.Vous avancez d'ailleurs que 99% des métrologues possèdent un niveau bac ou bac+2…

Bruno Simaillaud. Je voudrais aussi ajouter qu'il manque par ailleurs une certaine visibilité sur le marché, en termes de postes, voire de carrières dans la métrologie. Certains acteurs pensent même, mais ce n'est pas mon avis, que l'on a une vision poussiéreuse de la métrologie, que l'on considère cette dernière comme une opération technique non noble, que rien n'est fait pour donner envie!Au quotidien, cette situation peut poser un problème. Quand le besoin se fait jour, les entreprises sont alors prises de court, ne trouvant les compétences ni en interne, ni en externe. Je vais prendre l'exemple d'un équipementier de rang 1 qui me contacte parce qu'il est confronté à un problème: il ne sait plus ce qui est fait et si, ce qui est fait, est nécessaire ou non. Après avoir tout sous-traité (vérification des matériels, mise à jour des bases de données, etc.), il souhaite en effet reprendre la main en termes de métrologie. Un autre équipementier, qui vient de «prendre un écart», s'entend dire qu'il n'a pas fait la démonstration de la capabilité de ses instruments de mesure. Effectivement, il est conscient de ne plus rien maîtriser depuis plusieurs années, depuis le départ de son métrologue… Ces équipementiers comprennent qu'il existe un décalage entre ce qu'ils font et ce qu'ils devraient faire. Si ces interlocuteurs se tournent vers moi, c'est qu'ils ont déjà pris conscience du problème. D'ailleurs, les participants aux formations me disent souvent qu'ils aimeraient que leurs responsables viennent eux aussi en formation. Comme on l'a dit précédemment, les personnes venant se former sont des personnes avec plutôt un profil technique et non des responsabilités au sein de leur entreprise. J'essaie d'expliquer aux personnes que je rencontre en formation qu'il serait intéressant, pour celles qui n'ont pas cette culture du management, de «vendre» la métrologie, d'expliquer à quoi sert la métrologie, de démontrer les intérêts dans leur entreprise, de raisonner plutôt en termes de processus, ce qui leur permettrait d'obtenir plus de moyens. Souvent la seule réponse de certains participants est: « Cela sort complètement de mes responsabilités habituelles » ou « Je ne me vois pas aller rencontrer le responsable de production pour lui présenter l'intérêt de la métrologie, je ne me sens pas crédible.»

Les entreprises font parfois de la métrologie pour simplement mettre un papier dans un classeur. ” Bruno Simaillaud

Mesures. Pouvez-vous expliquer en quelques mots les activités d'Afnor Compétences, pour ceux qui ne vous connaîtraient pas?

Bruno Simaillaud. Filiale du groupe Afnor (Association française de normalisation, ndlr), Afnor Compétences fonctionne comme une entreprise privée spécialisée dans la formation. Nous proposons en effet un très large catalogue de prestations de formation (formations interentreprises ou chez les clients) réparties en six grandes sections : Management de la qualité et audit; Environnement, sécurité et développement durable; Gestion des compétences et management transversal; Intégration de systèmes et performances de l'entreprise; Efficacité des fonctions de l'entreprise; et une dernière section qui traite des référentiels et des audits propres à sept grands secteurs d'activité. Dans le domaine de la métrologie, on retrouve des formations transversales générales, sur des thèmes tels que la fonction métrologie en entreprise, les basiques de la métrologie, les calculs d'incertitude. Nous développons aussi des formations plus techniques (sur l'étalonnage des pipettes, par exemple) avec l'Ecole des Mines de Douai.

Mesures. Faites-vous évoluer fréquemment vos formations, dans leur contenu et/ou dans leur forme, pour correspondre au mieux aux demandes des entreprises?

Bruno Simaillaud. Nos formations sont revues périodiquement pour s'adapter à la fois aux retours d'expérience de nos clients et à la façon dont peut évoluer le contexte réglementaire ou normatif. Si je prends le cas des incertitudes de mesure, les connaissances remontent aux années 2000 (calcul d'estimation des incertitudes de mesure avec le premier GUM [Guide pour l'expression de l'incertitude de mesure, ndlr]). Les formations ont donc forcément évolué depuis cette époque.

Mesures.Avez-vous constaté une évolution du niveau technique des personnes participant aux formations?

Bruno Simaillaud. Je n'ai observé ni recul, ni non plus de progrès. Le seul point est la dichotomie entre les per-sonnes travaillant dans un environnement accrédité Cofrac, qui présentent un niveau technique respectable, et les autres. Mais j'avoue ne pas forcément avoir suffisamment de recul… Ce qui est sûr aussi est la pression croissante, au niveau du temps, que subissent les métrologues. Même avec la meilleure volonté du monde, je ne suis pas sûr qu'une fois la formation suivie, il leur est facile de faire profiter leur entreprise de leurs nouvelles connaissances. Ce qui est vraiment dommage.

Mesures. Quels seraient, à votre avis, les moyens à mettre en œuvre pour mieux sensibiliser les industriels à l'intérêt de la métrologie?

Bruno Simaillaud. L'une des raisons de l'évolution de la situation est le respect des réglementations, des normes, comme ce fut le cas récemment avec l'accréditation des laboratoires d'analyses médicales. La situation bouge dans les hôpitaux de France et de Navarre, parce que l'accréditation selon la norme NF EN ISO 15189 rendue obligatoire par le ministère de la Santé est très exigeante au niveau métrologie. Comme les responsables des hôpitaux ont des difficultés sur cet aspect, on sent bien l'existence d'un besoin. Mais de là à dire qu'il y a une compréhension globale, ce n'est pas totalement la réalité.

Les participants aux formations me disent souvent qu'ils aimeraient que leurs responsables viennent eux aussi en formation. ” Bruno Simaillaud

Mesures. Et dans le cas où il n'y a pas d'obligation normative ou réglementaire, quelles seraient alors les solutions?

Bruno Simaillaud. C'est compliqué de répondre à cette question… A l'instar de la norme ISO 9001 pour la qualité, il faut trouver des moyens pour démontrer l'intérêt économique de la qualité ou de la métrologie en tant qu'outils d'optimisation. Il y a eu des tentatives avec la norme ISO 9001, mais on en est revenu puisque l'on s'est aperçu que c'était plus compliqué qu'il n'y paraissait, que cela pouvait même avoir un effet pervers… Il faut que tous les acteurs de la métrologie travaillent ensemble pour aller frapper à la porte des entreprises, leur expliquer une dé-marche assurant l'adéquation entre besoins et moyens, leur démontrer le coût d'une mauvaise décision liée àunap-pareil qui n'est pas adapté. Pour cela, il s'agirait peut-être de travailler avec une entreprise pour mener à bien une analyse des coûts de la métrologie et des gains que celle-ci pourrait apporter par rapport aux besoins de l'entreprise sur un exemple concret. Je me rappelle d'une étude réalisée aux Etats-Unis qui relevait que 40% du matériel acheté n'était pas conforme à ses propres spécifications et que 60% ne correspondaient pas aux besoins de l'entreprise qui l'avait acheté. C'est le genre d'études qu'il faudrait diffuser. Elle met en lumière le problème suivant: des fonctions techniques ne travaillent pas avec les outils des fonctions managériales, et réciproquement. Avec des outils transverses, chacun avance en cohérence avec les exigences des uns et des autres.

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