Les avancées de la radiographie numérique

Le 16/06/2016 à 14:00

Depuis une quinzaine d'années, la radiographie numérique se fait une place dans l'industrie. Elle y remplace petit à petit la radiographie classique, pour contrôler l'intégrité de certaines pièces. Du moins dans quelques secteurs d'activité : en effet, ce système présente des limites, et certaines entreprises peuvent avoir des réticences face à une nouvelle technologie à prendre en main. L'évolution de la radiographie vers le numérique présente néanmoins de nombreux avantages.

« La radiographie numérique a commencé à être utilisée dans l'industrie au début des années 2000 »,rappelle Christophe Reboul, référent technique pour la radiographie à l'Institut de soudure. Les acteurs de la radiographie classique, comme Agfa, Kodak ou Fuji, se sont mis à proposer des solutions numériques. Le principe de la radiographie numérique consiste à remplacer le film argentique par un écran: cela évite le recours aux produits chimiques pour le développement (voir encadré). Ce système est appelé CR, pour « computer radiography ». « Le marché de prédilection était la recherche de corrosion. Au fil des années, les systèmes numériques ont gagné en qualité d'image, mais surtout en rapidité : les temps d'exposition pour une radiographie étaient de plus en plus courts », continue Christophe Reboul. En parallèle, les fabricants ont également développé la « radiographie directe », ou DR. Équivalente à la radioscopie médicale, cette tech-nique permet d'observer les images en temps réel.

Différents types de radiographie

l La radiographie «CR», pour «computed radiography», ou radiographie informatisée, désigne la radiographie avec écran photostimulable. Celui-ci peut-être utilisé en pochette souple, ou en cassette rigide. « L'utilisation se passe en deux temps,comme pour un film », explique Patrick Bouvet (CTIF).

« D'abord l'exposition,puis le développement, avec un lecteur numériseur qui lit l'information et la traduit en image numérique. » À la différence du film argentique, les écrans photostimulables sont réutilisables après effacement.

Leur durée de vie reste toutefois limitée, de 500 à 25000 cycles selon l'utilisation. Le prix d'un écran est équivalent à une boîte de cent films. Ce système permet d'éviter le recours aux produits de développement et à la chambre noire.

l La radiographie directe , ou «DR», utilise un système de panneaux rigides, qui peuvent être plats (matrice) ou linéaires. « L'utilisation nécessite une manipulation », indique Patrick Bouvet. « Il faut faire passer l'objet devant le détecteur,ou le détecteur devant l'objet.Le panneau plat coûte plus cher que les écrans de radiographie CR.La différence est que cette technique permet d'obtenir une image instantanée,et donc un gain de productivité. » Elle s'adresse plutôt à des applica-tions comme le contrôle de série, plutôt qu'à la maintenance ou au montage.

Les fabricants travaillent à améliorer le poids et l'autonomie de cette technique.

Le numérique permet d'utiliser des logiciels de traitement d'images, d'automatiser certaines fonctions d'inspection, et facilite la transmission d'informations.

CTIF

La radiographie numérique est une technique héritée du secteur médical. Les machines ont donc dû être adaptées aux contraintes physiques de l'industrie. Les systèmes industriels doivent en effet être capables de résister aux poussières, ou aux chocs. « Notre lecteur numérique HPX-1 est doté d'un système de surpression d'air filtré pour empêcher la poussière d'entrer dans le lecteur numériseur », explique Jacques Roussilhe, en charge des solutions de tests non destructifs chez Carestream. « Chaque lecteur passe par des tests d'empoussièrement, de résistance aux vibrations et à des chutes verticales ».

D'autres adaptations techniques sont nécessaires pour passer du médical à l'industrie.Agnès Decroux est ingénieur développement et innovation pour la société CyXplus, spécialisée dans la conception, l'intégration, l'installation et le support d'équipements et logiciels de contrôle non destructif ou de mesure, notamment par radiographie numérique. Selon elle, pour un système de radiographie directe, « il faut augmenter la résolution : diminuer la taille des pixels, et en augmenter le nombre. L'énergie maximum supportée par le détecteur doit être augmentée : elle est rarement supérieure à 150 kV pour le domaine médical. Enfin, la dose de rayonnement supportée avant dégradation doit également être améliorée, pour augmenter la durée de vie du système ».

Qualité d'image

L'un des problèmes de la radiographie numérique, comparée à la méthode classique, est justement la résolution spatiale, selon Patrick Bouvet, expert contrôles et matériaux au CTIF (centre technique industriel pour la fonderie): « On distingue moins bien les détails en numérique qu'en argentique. Cependant, le numérique permet d'obtenir de meilleurs contrastes. » Il offre également une plus grande latitude d'exposition au rayonnement que les films. De plus, « même si l'on peut obtenir une meilleure finesse en argentique, c'est dans des conditions idéales », tempère Jacques Rivenez, ingénieur au pôle contrôles non destructif du CETIM. « C'est parfois discutable,les bonnes conditions ne sont pas toujours réunies, comme par exemple sur chantier. » Enfin, « selon que l'on contrôle une soudure pour une installation nucléaire, une charpente, ou si l'on fait de la géométrie ou l'analyse d'une forme sur une pièce, la qualité d'image nécessaire est variable », ajoute Patrick Bouvet (CTIF).

On peut évaluer tous ces paramètres grâce à l'IQI, ou indice de qualité d'image: « Il valide la qualité de la radiographie, en prenant en compte notamment l'exposition et le matériel utilisé », explique Patrick Bouvet. La résolution spatiale peut être évaluée avec des paires de fils de taille variable: est-on capable de distinguer les deux fils à l'image ? Superposer un fil par rapport à une pièce peut aussi permettre de contrôler le contraste. L'organisme allemand BAM, par exemple, propose de certifier des systèmes de radiographie numérique.

La radiographie numérique n'offre pas toujours une performance équivalente au film en terme de résolution, mais peut permettre d'obtenir un meilleur contraste.

Institut de soudure

Des systèmes compacts permettent d'effectuer des contrôles par radiographie sur le terrain.

Bien sûr, le fait d'utiliser des technologies numériques permet d'avoir facilement recours à d'autres applications: la transmission d'informations est plus facile,ainsi que le traitement des images. Ce dernier point est justement sujet à controverses: « Le fait de pouvoir traiter une image est discutable », admet Jacques Rivenez (CETIM), « est-ce tricher,ou est-ce l'améliorer ? » Les logiciels permettent d'utiliser des fonctions telles que l'extraction automatique d'un contour. Ainsi, certains utilisateurs craignent de dénaturer les images obtenues. Mais quels que soient les traitements appliqués, « on peut toujours revenir à la source de l'image », plaide Jacques Rivenez. « L'image d'origine doit être conservée de toute façon ».

Autre question posée par le numérique: sera-t-on toujours capables d'accéder aux informations après 10 ans, ou plus? « Les questions d'archivage doivent être pensées dès le départ », prévient Patrick Bouvet (CTIF). « Avec le numérique, on fait facilement de grandes quantités d'images.Comment les stocker ? Ce coût n'est pas toujours pris en compte au moment de l'investissement dans un système de radiographie numérique. Et si rien n'est mis en place, cela peut coûter cher, et l'on s'expose au risque de pertes de données. » Ce problème n'est pas propre à la radiographie,et se pose pour toute donnée importante au format numérique: il faut assurer les sauvegardes. Avec le film, on dispose d'une image sur support physique, mais attention : il se dégrade avec le temps.

Ainsi, la radiographie numérique suscite des réticences. « L'un des problèmes est que les entreprises ont pu être en contact avec des commerciaux qui n'étaient pas à la hauteur du produit », regrette Jacques Rivenez (CETIM). « D'après certains commerciaux, le numérique ne changerait rien aux habitudes, il faudrait simplement remplacer le film par un écran.Mais les choses ne sont pas si simples, un détecteur numérique ne se comporte pas comme un film, il faut donc se former, gagner de l'expérience.Pour l'utiliser intelligemment, il faut investir de l'argent,mais aussi du temps. Avant de franchir le pas, il faut faire un bilan des avantages et inconvénients. En allant trop vite,certaines entreprises s'arrêtent aux inconvénients. »

Les sources de rayonnement ?

Les sources émettrices sont identiques en radiographie numérique que celles utilisées avec des films argentiques. On peut utiliser des radio-isotopes tels que le cobalt, l'iridium ou le sélénium. Ces sources autonomes sont souvent employées « pour faire de la radiographie sur chantier,en extérieur,pour le contrôle de tuyauterie par exemple », note Patrick Bouvet (CTIF). Les rayons X sont aussi employés, mais « ils proviennent d'appareils plus gros,qui marchent à l'électricité », décrit Christophe Reboul (Institut de soudure). Ce type de rayonnement est donc utilisé en atelier.

Après exposition au rayonnement, les écrans numériques qui remplacent les films argentiques doivent être numérisés par un lecteur.

Carestream

L'un des principaux avantages de la méthode numérique, c'est sa rapidité. Le temps d'exposition et de récupération de l'image est moindre. De plus, le numérique permet de faire remonter rapidement les informations: « Les experts peuvent ainsi juger s'il est utile ou non de se déplacer, même avec un fichier dont la qualité n'est pas optimale », précise Christophe Reboul (Institut de soudure). L'argument économique peut également entrer en ligne de compte: les écrans utilisés en numérique son réutilisables. Mais attention lors des manipulations: « Si l'écran est détruit par une chute ou un choc, il faut le remplacer », prévient Christophe Reboul.

Certains secteurs industriels ont déjà largement adopté la radiographie numérique. « Globalement,la radiographie DR s'implante bien dans les industries où la radioscopie était déjà très présente. Le remplacement du film avec la radiographie CR est un processus beaucoup plus lent », observe Agnès Decroux (CyXplus). Ainsi, le numérique est bien implanté dans les secteurs de l'aéronautique, de la fonderie automobile, ou encore des pneumatiques. « La radiographie à rayons X est très utilisée en aéronautique,car on y trouve beaucoup de matériaux légers. Les rendements sont donc très bons », explique Christophe Reboul (Institut de soudure). « Pour la recherche de pollution dans des ailettes de turbines par exemple, la radiographie directe est une méthode rapide ».

Pour les pièces de fonderie, comme celles que l'on trouve dans les moteurs, la radiographie numérique est beaucoup utilisée pour contrôler la santé interne. « Le secteur automobile a la particularité d'avoir des cadences de production élevées », précise Christophe Reboul. « Le contrôle se faisait à l'origine par radioscopie, puis a évolué vers le numérique, ce qui permet de faire de la sanction automatique et du traitement d'image. » C'est en effet l'un des avantages de la radiographie numérique, confirme Agnès Decroux (CyXplus): « La mise en place de logiciels d'inspection automatisée apporte une véritable avancée technique pour le contrôle par radiographie ».

Une alternative : les ultrasons

Dans certains cas, les ultrasons peuvent constituer une alternative aux contrôles par radiographie. L'un des avantages est de ne pas poser de problèmes de radioprotection. Ce système fonctionne pour les aciers classiques, y compris d'épaisseur importante. Mais « il n'y a pas de cas général », résume Patrick Bouvet (CTIF). « Cela dépend notamment de la forme de la pièce: il faut déplacer un palpeur, ce qui peut être difficile sur une pièce de forme complexe. » Pour les matériaux légers ou hétérogènes, comme le carbone ou les matériaux à gros grains, les ultrasons ne sont pas performants. « Pour l'acier en inox, par exemple,il n'y a que le rayonnement qui traverse correctement », note Christophe Reboul (Institut de soudure).

Selon les matériaux employés, la radiographie numérique sera plus ou moins efficace. « Elle fonctionne très bien pour l'aluminium », précise Patrick Bouvet (CTIF). « Pour les aciers, on est limités par l'épaisseur, car les matériaux denses et épais absorbent trop le rayonnement. »Ainsi, dans le secteur du nucléaire, par exemple, ce système n'est pas toujours adapté. « Pour le moment, les prestataires de service ne sont pas beaucoup équipés en radiographie numérique pour le contrôle », observe Patrick Bouvet.

L'utilisation de rayons X pour la radiographie nécessite l'usage de cabines dédiées, et une alimentation électrique. Les radio-isotopes sont en revanche des sources autonomes.

« Dans le domaine de la chaudronnerie, la méthode est peu répandue. Il y a une réticence d'un point de vue économique,mais également de par l'expérience acquise depuis 30 ans avec la radiographie classique », analyse Jacques Rivenez (CETIM). « Tant qu'aucun gros donneur d'ordre n'impose le numérique, chacun attend. » La radiographie de type CR peut faciliter le premier pas vers le numérique: « Les entreprises qui passent de l'argentique au numérique préfèrent cette méthode, plus proche de l'utilisation des films », constate Patrick Bouvet (CTIF). « Mais elle n'est pas adaptée au contrôle régulier. Je pense qu'à l'avenir, il y aura plus de radiographie directe,préférable pour la production. »

Pendant ce temps,la technologie numérique continue d'évoluer. « Il y a beaucoup d'enjeux dans le secteur médical, et l'industrie tire parti des progrès qui y sont réalisés,notamment du côté des lecteurs numériseurs », observe Patrick Bouvet. Ces appareils permettent de lire l'image de l'écran photosensible. Le système Industrex HPX-1 de Carestream, par exemple, est « capable de numériser des écrans flexibles un par un, ou plusieurs écrans flexibles simultanément », indique Jacques Roussilhe (Carestream). « Le système portable Industrex HPX-PRO est lui conçu pour les inspections sur chantier,où il peut être mis en œuvre en moins de 5 minutes. » Ce type d'évolutions s'accompagne de développements logiciels, afin par exemple de faciliter et accélérer l'acquisition et l'analyse d'images.

Quant aux détecteurs, « les principales évolutions des panneaux plats ces dernières années sont l'augmentation de la résolution,de la cadence image et de la dynamique – au moins de la numérisation », résume Agnès Decroux (CyXplus). Les fabricants travaillent notamment sur le rapport signal/bruit: « Aujourd'hui les systèmes CR atteignent la classe IP1, soit le meilleur rapport signal/bruit normalisé, selon les normes ASTM E 2446-15, ISO 16371-1 et EN 14784-1. Nous obtenons des résolutions spatiales de 50 microns ou moins », détaille Jacques Roussilhe. Carestream prévoit aussi pour cette année la commercialisation d'une gamme d'écrans plus durables, sans réduire la qualité d'image. « Ces écrans flexibles visent à réduire les artéfacts image et permettre un plus grand nombre de cycles d'exposition, lecture/numérisation, puis effacement. » Et à l'avenir? « On peut imaginer avoir des détecteurs DR mieux équipés pour la haute énergie, permettant le contrôle de grosses pièces en acier », suppose Patrick Bouvet (CTIF). « En attendant, on reste sur l'argentique pour ces applications. » L'évolution de la radiographie vers le numérique permet également d'aller au delà de l'image classique en 2 dimensions. « L'avenir de la radiographie numérique, c'est peut-être la tomographie, qui permet d'obtenir des images en 3D », prévoit Patrick Bouvet. « Avec cette technique, on connaît la position des défauts.Alors qu'en 2D, on ne sait pas s'ils sont situés à l'intérieur de la pièce, s'ils débouchent, s'ils vont partir à l'usinage... De plus, les systèmes de sanction automatique fonctionneraient encore mieux de cette façon. » La tomographie « fonctionne comme la radiographie directe au niveau de la prise de vue », explique Christophe Reboul (Institut de soudure), « mais un système mécanique permet d'orienter la pièce, et un logiciel recrée le volume. » Pour Jacques Rivenez (CETIM), la tomographie présente aussi l'avantage de pouvoir s'appliquer à « toutes sortes de produits, de toutes les tailles. Dans certains secteurs industriels,comme l'automobile ou l'aéronautique, la tomographie a démarré relativement fort. Mais elle souffre toujours d'être vue comme une technique chère ».

La tomographie repose sur le même type de technologie que la radiographie, mais permet de reconstituer des images en 3 dimensions.

CyXplus

Pour les applications de radiographie classiques, en 2 dimensions, le numérique est encore loin de remplacer complètement l'argentique. « Au début des années 2000,les fabricants prédisaient l'arrêt de la pellicule », se souvient Christophe Reboul (Institut de soudure). Mais la production de film n'a pas diminué: « Le numérique morcèle les applications argentiques, mais il n'existe pas d'applications imposant le numérique systématiquement. Même si dans certains cas, il y a un gain à passer en numérique, l'argentique peut tout faire. » La radiographie conventionnelle étant bien implantée, il est important de « bien comprendre les différences,les avantages et les erreurs à ne pas commettre avant de passer au numérique », conclut Jacques Rivenez (CETIM). Mais pour franchir le pas, « Il existe de plus en plus de textes normatifs : on commence à avoir un corpus de normes qui prennent en compte le numérique. Beaucoup de ces textes sont américains, mais on n'est plus démunis face à cette technique. »

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