Les SNCC se mettent au PAS

Le 01/05/2015 à 14:00

B aptisés Distributed Control System (DCS) en anglais, les Systèmes numériques de contrôle-commande (SNCC) ne défraient pas la chronique. Normal: ils sont sûrs, fiables, robustes et complets… Depuis les années 1970, ces systèmes élaborés, intégrés, maintenus et souvent déployés par des constructeurs eux-mêmes comme, entre autres,ABB, Bosch Rexroth, Emerson, Honeywell, Schneider Electric grâce à l'acquisition récentes d'Invensys (marques Foxboro, Triconex et Wonderware), Siemens ou Yokogawa,se sont illustrés dans les industries à processus continu. Lesquels ne peuvent souffrir aucune interruption de service. On pense ainsi à la chimie, la pétrochimie, la cimenterie, la fonderie de métaux ou de verre, la production d'eau ou d'électricité… En toute discrétion, leurs formidables qualités technologiques les ont amenés à être considérés comme le «top» en matière de contrôle-commande industriel.Bref,dans un monde où tout va bien, pourquoi parle-t-on aujourd'hui des SNCC? Leur leadership se fissure-t-il?

SNCC : un grand nombre de qualités

Le premier système de contrôle-commande industriel d'un processus continu, baptisé «RW-300», a été mis en œuvre en 1959 à la raffinerie de pétroleTexaco de PortArthur, auTexas (Etats-Unis) par Ramo-Wooldridge Corporation –absorbé par la suite par TRW Corporation, elle-même rachetée par Delphi Automotive en 2002. « Mais les réels développements des DCS se sont accélérés surtout avec des constructeurs comme Yokogawa et Honeywell dans les années soixante-dix. En France, il y avait Contrôle Bailey, une division du groupe Cegelec, qui a été revendue en 1992 à Yokogawa en raison de sa trop faible taille par rapport à celle des acteurs du marché », se souvient Cyril Rolland, responsable marketing et export de Codra Ingénierie Informatique, un éditeur de solutions de supervision avec son offre Panorama E2, créée au départ pour le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

L'essentiel

P Les systèmes numériques de contrôle-commande s'appliquent aux processus de production continus (acier, verre, eau, électricité…) de l'industrie lourde.

P Historiquement, ces systèmes propriétaires étaient fermés, mis en œuvre et maintenus par la marque.

P Mais, avec l'évolution des technologies, les SNCC sont en train de converger, aux côtés des automatismes manufacturiers, vers des hyperviseurs fédérateurs (PAS).

P Aujourd'hui, les parois entre les deux mondes (process et manufacturier) deviennent de plus en plus poreuses.

Salle de contrôle synoptique d'un système numérique de contrôle-commande (SNCC) mis en place par ABB. Les SNCC assurent la fiabilité, la robustesse et la cohérence des processus industriels continus.

ABB

« Dans leurs secteurs de prédilection,les DCS restent prépondérants.Tant au niveau de leur base installée que pour de nouveaux projets dès lors que ceux-ci ont une grande ampleur », met en perspective Jehan d'Anthouard, responsable du support technique pour les systèmes d'automatisation en France chez ABB. Une raison à cela: la grande force du SNCC, c'est de pouvoir piloter un atelier à production continue dans son entièreté. Cette complétude et cette cohérence se fondent sur des contrôleurs de procédés, des bus de terrain pour acquérir les données issues des capteurs (température, pression,débit…) ainsi que des réseaux rapides (dont, depuis peu, différents réseaux Ethernet industriels), des interfaces homme-machine (IHM) pour les opérateurs, des superviseurs et des outils d'ingénierie très fournis pour le développement. Parfois, les constructeurs de SNCC complètent leur gamme de produits avec leurs propres automates programmables.

Le système IndraMotion MLC de Bosch Rexroth permet de synchroniser les applications multi-axes des solutions centrales décentralisées avec une plate-forme de contrôle flexible.

Bosch Rexroth

« Sur leur pré carré, les processus continus, les DCS gardent une image de Rolls des technologies industrielles capables de gérer des centaines de boucles de régulation, lance Olivier Vallée, responsable marketing en France chez Rockwell Automation, spécialiste des automates programmables. Mais, dans la majorité des applications d'automatisation,on n'a pas forcément besoin d'un DCS.» Moralité: aujourd'hui, les SNCC se font donc de plus en plus concurrencer par les systèmes de contrôleurs d'automatismes programmables (PAC pour Programmable Automation Controller ), associés aux superviseurs SCADA ( Supervisory Control And Data Acquisition ). En outre, les deux mondes, celui des SNCC (propriétaires et fermés) et celui du manufacturier (un peu plus ouvert et surtout très modulaire), tendent à converger vers des systèmes hybrides pilotés par les PAS ( Process Automation Systems ).

La suite des produits compacts d'ABB comprend des contrôleurs, des IHM, etc.

ABB

DCS, PAC, PAS : vers la convergence

A la base, les SNCC se sont focalisés sur des problématiques de régulation. Or, dans un processus industriel, il y a généralement deux grands aspects: la régulation (température, pression, débit…) qui porte sur un traitement de matière et l'automatisme (logique) qui la met en forme: découpe, emboutissage, usinage, soudage, packaging, emballage… « Pendant longtemps, la régulation et la logique étaient réalisées par des équipements différents. Pour la régulation, il y avait des cartes d'entrées/sorties analogiques qu'on ne trouvait pas dans les automates – lesquels ne disposaient que d'entrées/sorties logiques.Du coup,il fallait utiliser des passerelles de communication entre les deux mondes, retrace Cyril Rolland (Codra). Avec l'évolution des technologies, les SNCC ont gagné en automatisme. De même, les automates ont acquis des fonctionnalités de régulation. De PLC ( Programmable Logic Controller ), les automatismes sont alors devenus des PAC. Par conséquent, l'un s'est inspiré de l'autre sous la pression des clients qui ont exigé d'avoir de la régulation DCS et du séquentiel PAC au sein d'un système unique d'informatique industrielle. Ce mouvement, embryonnaire dans les années 1990, s'est développé dans les années 2000 et accéléré dans les années 2010 ». Malgré ce mouvement de convergence, de vives différences entre les deux mondes persistent. «Tout d'abord, le DCS s'adresse à des processus très spécifiques : décantation, filtrage, montée ou baisse en température, mélange, brassage, vapo-craquage,ajout d'additifs,séchage… Selon les secteurs d'activité, ces processus sont extrêmement techniques, voire critiques. Et ils réclament d'être conçus par des experts à la croisée des méthodes industrielles,des secteurs et des technologies », analyseThierry Jules-Rosette, ingénieur d'application en France chez Bosch Rexroth. « En raison de ces spécificités, l'ingénierie d'intégration est généralement réalisée par les équipes à la marque du DCS », remarque OlivierVallée (Rockwell Automation). A contrario, les automates du PAC, qui travaillent de façon séquentielle, accomplissent des tâches hors de portée des contrôleurs SNCC. On pense en particulier au Motion Control , à la robotique et à la commande numérique. Autre différence, les temps de cycle des PAC-SCADA sont plus rapides que ceux des DCS: « Nettement inférieurs à 2 millisecondes pour les PAC.De 10 à 100 millisecondes pour les SNCC, reprend Thierry Jules-Rosette (Bosch Rexroth). Certains PAC affichent même des temps de cycles de quelques centaines de nanosecondes ! »

Agressivité commerciale mesurée de l'hybride

Il faut dire que les acteurs du PAC ont été bien inspirés à s'engager les premiers dans le développement d'outils de communication ouverts et temps réel. Certes, pas à tous en même temps. Mais l'évolution est bien réelle. Conséquence: l'approche modulaire du monde séquentiel, qui touche tous les niveaux d'un système (réseaux, contrôleurs, IHM, superviseurs, hyperviseurs), est en train de triompher. Qui plus est, c'est cette conception modulaire qui, à présent, commence à influencer les acteurs des systèmes SNCC –jusqu'ici très monolithiques, propriétaires et fermés. «Au final, superviseurs, réseaux et automates peuvent être de marques différentes et constituer pourtant un ensemble qui fournit toutes les fonctionnalités et la cohérence d'un DCS.Tandis que les SNCC ont la réputation d'être moins ouverts que les PAC-SCADA dont les composants sont d'emblée conçus pour des architectures ouvertes et interopérables.En réalité,les fournisseurs de DCS font,à leur tour,des efforts pour ouvrir leurs systèmes » , commente Cyril Rolland (Codra). Reste que, même s'il prend des parts de marché au DCS, l'hybride ne peut pas pour autant chasser sur tous les terrains. « En tout cas, pas sur les terres de l'industrie lourde où les DCS sont très bien implantés.En revanche,l'hybride peut aller là où il n'était présent, estime Olivier Vallée . Notamment pour re-vamper des installations obsolètes (voir encadré page 32, NDLR) ou pour équiper des industries qui disposent d'une partie process et d'une partie manufacturière. Comme, typiquement, dans l'agroalimentaire. Aujourd'hui, le tandem PAC-SCADA peut adresser les deux univers et offrir ainsi un seul système – à condition de rester dans la même marque.» En clair, le monde de l'hybride parvient au même résultat que celui du SNCC, mais peut-être pas s'il recourt à des automates PAC, réseaux et superviseurs de marques différentes! Message reçu 5/5 par les acteurs du SNCC. «Avec l'évolution globale des architectures et les technologies de l'informatique industrielle, les SNCC sont entrés, à leur tour, dans un monde plus ouvert, moins propriétaire avec des possibilités accrues en matière de communication vers des systèmes tiers : ceux des concurrents, l'intégration de nouveaux équipements PAC reliés au superviseur propriétaire du DCS, la possibilité de se relier à des bases de données ouvertes et de se connecter à des logiciels de gestion d'entreprise ( ERP pour Enterprise Resource Planning ; PGI pour Progiciels de gestion intégrés, NDLR) , détaille Jehan d'Anthouard (ABB) . A partir d'une commande reçue de l'ERP, on va alors lancer des ordres de fabrication, de planification de la production ainsi que des ordres d'exécution… »

On l'aura compris,la convergence du monde de la régulation et de celui sur séquentiel est inéluctable. Elle s'appuie sur l'Ethernet industriel (EtherNet/IP, Profinet, ModbusTCP, Powerlink, EtherCAT, CC-Link, Sercos, Gigabit Ethernet…) qui offre des capacités temps réel très élevées. Et sur les standards d'interopérabilité de l'OPC Foundation ( Object Linking and Embedding for Process Control ). Lesquels portent, entre autres, sur l'accès aux données, les alertes, les batchs, l'échange de données entre serveurs au travers de réseaux industriels, les historiques, la sécurité, l'échange de données complexes (dont les documents XML), les commandes, les architectures unifiées… « Dans cet esprit, les derniers contrôleurs de la famille 800xA d'ABB se couplent à différents systèmes.Notamment à ceux qui résultent des fusions d'ABB (Bailey Controls, Elsag Bailey Fischer & Porter, Hartmann & Braun…). Mais aussi à des systèmes concurrents comme Honeywell, Emerson ou Siemens », liste Jehan d'Anthouard.

Rockwell Automation boute un SNCC obsolète hors les murs

Le spécialiste des automatismes industriels vient d'équiper une usine californienne de cogénération, précédemment motorisée par un SNCC. Résultat, moins de pannes, des reprises d'activité plus rapides et une plus grande facilité à se conformer aux réglementations environnementales.

Ripon Cogeneration, qui fournit de l'électricité en Californie, a misé sur un système de supervision de Rockwell Automation.

Rockwell Automation

Grâce à deux unités de cogénération disposant de turbines à gaz, Ripon Cogeneration fournit de l'électricité à la majorité des foyers et des entreprises de la Californie du nord et du centre. Discrète sur le nom de son précédent fournisseur de SNCC, la société, fondée en 1988, s'est adressée à Rockwell Automation pour remplacer son SNCC devenu obsolète par une solution moderne baptisée PlantPAx. Honnêtement, Ripon Cogeneration partait de loin. Entre autres, les opérateurs de l'usine étaient obligés de récolter à la main les données de production! On s'en doute, il en résultait un taux d'erreurs énorme. Conséquence logique, des déviations dans les variables du procédé, même petites, déclenchaient la mise hors ligne de l'ensemble du système. Ce qui contraignait cette usine de cogénération d'une capacité de 50 mégawatts à s'arrêter… jusqu'à trois fois par jour! Grâce au nouveau système PlantPAx de Rockwell Automation, le taux d'arrêts intempestifs a été réduit de 90% et le temps de remise en route, de 30%. En outre, le nouveau système inclut un logiciel d'historisation des données ainsi qu'un portail de visualisation, d'analyse et de génération de rapports qui fournit un aperçu instantané de la production. Autrement dit, PlantPAx réutilise toutes les données d'historique du système de contrôle-commande et automatise les rapports quotidiens de production, permettant aux opérateurs de l'usine de se focaliser plus aisément sur leurs tâches de production. Par ailleurs, le système de Rockwell Automation combine la commande de process et la sécurité, et comporte 750 points d'E/S – sa capacité pouvant aller jusqu'à la collecte de 1000 points de mesure. Quant à l'ancien réseau de communication propriétaire, il a été remplacé par le réseau temps réel EtherNet/IP. Un réseau plus ouvert qui facilite l'installation du nouveau système ainsi que l'intégration de tous les sous-systèmes de l'usine. «Outre la réduction significative des coûteux arrêts de production,nous pouvons à présent nous conformer aux réglementations,en particulier aux réglementations sur la réduction des émissions de CO2, explique Brett Weber, directeur des opérations et de la maintenance chez Ripon Cogeneration. Nous y parvenons parce que les commandes sont automatisées et que les opérateurs peuvent facilement surveiller en temps réel les variables grâce aux tableaux de bord de PlantPAx».

Une chose est sûre: le PAS est le grand gagnant de l'unification hybride. « L'idée, c'est de cesser de fragmenter la production entre régulation et séquentiel pour la centraliser sur un PAS qui apparaît alors comme un méga-système capable de fédérer tous les sous-systèmes d'une usine. Le PAS se place tout en haut de la pyramide de production, juste derrière l'ERP », poursuit Thierry Jules-Rosette (Bosch Rexroth). Mais rien n'est tout rose. « Sans remettre en cause la pertinence de la convergence vers le PAS,le DCS propose déjà une solution tout intégrée,à la différence du PAC-SCADA où on associe des PLC de différents constructeurs à un superviseur. L'intégration n'étant pas standardisée, il faut développer du code,prévoir des phases de développement et d'intégration plus complexes.Tandis que l'outil d'ingénierie du DCS embarque de façon consubstantielle un très grand nombre de fonctions en standard : journaux de bord, historique, archivage, applications spécifiques,traitement par lots…, prévient Jehan d'Anthouard (ABB) .Quant aux niveaux de développement, ils ne sont pas universels. L'éditeur des programmes de chaque système pourra descendre plus ou moins bas dans les couches du système. Dans les DCS, on peut aller chercher le plus petit paramètre tout au fond de la boîte. Mais dans les PAS, il faudra se contenter de paramètres plus superficiels, sauf au prix d'un très grand effort d'ingénierie en intégration ».

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