EXPOSITION DES SALARIÉS AUX RISQUES PROFESSIONNELS : CE QUI A CHANGÉ EN 20 ANS

Le 23/04/2020 à 0:00
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Fin 2019, la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), organisme dépendant du ministère du Travail, a publié les premiers résultats de l'édition 2017 de l'enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer). Réalisée entre 2016 et 2017, cette enquête est basée sur les données collectées par 1 200 médecins du travail (voir encadré « Qu'est-ce que l'enquête Sumer ? ») auprès de 26 500 salariés du secteur privé et des trois versants de la fonction publique (hospitalière, territoriale et de l'État), représentant au total près de 25 millions de salariés. Ce dispositif repose sur l'expertise de médecins du travail volontaires qui remplissent, avec le salarié, pendant son examen médical, un questionnaire sur les expositions professionnelles auxquelles il est confronté. Le médecin reprend les dires du salarié concernant les contraintes organisationnelles et relationnelles. Il s'appuie par ailleurs sur ses propres connaissances du poste de travail pour les expositions aux risques physiques, chimiques et biologiques. L'enquête dispose également d'un auto-questionnaire que le salarié remplit seul et qui porte sur le vécu de sa situation de travail. Il s'agit de la 4 e édition de l'enquête Sumer, après celles de 1994, 2003 et 2010. Cela permet à cette étude, dont nous vous proposons ici les principales conclusions, de retracer l'évolution des expositions des salariés aux risques professionnels sur les vingt dernières années et de répondre aux questions suivantes : Quelle est l'évolution des expositions aux contraintes physiques et aux agents chimiques et biologiques au cours de ces deux dernières décennies ? Est-ce que les contraintes organisationnelles continuent de s'intensifier ? Quelle perception les salariés ont-ils de leur travail en 2017 par rapport aux années précédentes ? Comment ont évolué les pratiques formalisées de prévention ?

ONTRAINTES PHYSIQUES : ES ÉVOLUTIONS ONTRASTÉES

Afin d'appréhender l'évolution des expositions aux risques professionnels sur les deux dernières décennies, cette publication porte sur le champ des salariés commun aux quatre éditions de l'enquête Sumer (1994, 2003, 2010, 2017), à savoir les salariés du secteur privé (y compris de la Mutualité sociale agricole) en France métropolitaine (18,5 millions de salariés). Sur ce champ, la structure professionnelle des salariés s'est beaucoup modifiée entre 1994 et 2017 (voir encadré « Évolution de la structure de la population salariée entre 1994 et 2017 ») avec, en particulier, une hausse de la part des cadres et des professions intellectuelles supérieures, une tertiarisation, etc.

Premier risque professionnel à propos duquel les salariés ont été interrogés : les contraintes physiques. Il en ressort qu'en 2017, 35 % des salariés ont été exposés à la manutention manuelle de charge, et 5 % l'ont été pendant 20 heures ou plus par semaine (voir tableau page  19). Mais cette exposition diminue continuellement pour toutes les catégories socioprofessionnelles et dans la majorité des secteurs depuis 1994, sauf dans l'agriculture. Les évolutions techniques, avec des aides mécanisées de plus en plus adaptées aux tâches à réaliser, contribuent largement à cette diminution qui s'observe également pour les durées d'exposition de deux heures ou plus.

La station debout ou le piétinement prolongé, 20  heures ou plus par semaine, a suivi la même évolution, avec une baisse continue de 7  points en moyenne entre 1994 et 2017. Cependant, sur la même période, cette contrainte physique a augmenté de 14 points pour des durées courtes, de deux à dix heures par semaine. Les expositions longues ont donc reculé au profit de durées plus courtes, conséquence probable d'une pratique plus fréquente de l'alternance des postes.

Les expositions aux vibrations des membres supérieurs (liées à l'utilisation de certains outils comme les tronçonneuses, marteaux-piqueurs, clés à choc, etc.) sont, elles, en faible hausse sur la période, passant de 9 % en 1994 à 11 % en 2017, avec toutefois un léger repli entre 2010 et 2017. Cette exposition se retrouve surtout dans le domaine de la construction (55 %).

Une question supplémentaire a été intégrée en 2010 sur les postures forcées d'une ou plusieurs articulations. Il ressort de l'enquête que cette contrainte posturale a concerné 19 % des salariés en 2017, avec une augmentation importante depuis 2010 pour les ouvriers (+ 5 points), plus marquée notamment dans le secteur de l'agriculture (+ 16 points).

LE TRAVAIL RÉPÉTITIF EN NET RECUL ENTRE 2010 ET 2017

Quant aux expositions à des nuisances sonores, qu'elles soient ponctuelles ou régulières, elles ont concerné près d'un tiers des salariés (32 %) en 2017. La part des salariés concernés est en hausse dans tous les secteurs entre 1994 et 2017, notamment dans la construction (+ 19 points), sauf dans l'agriculture qui connaît une baisse de 10 points sur la période. Les ouvriers qualifiés ont été les plus exposés en 2017 (68 % contre 48 % en 1994). On observe toutefois une légère amélioration entre 2010 et 2017. Par ailleurs, un quart des salariés doivent conduire sur la voie publique dans le cadre de leur travail, un pourcentage qui reste assez stable depuis la hausse intervenue entre 1994 et 2003 (+ 4 points). Cependant, cette part diminue chez les cadres (-11  points depuis 1994), probablement en lien avec un remplacement partiel de la mobilité physique par une utilisation accrue des technologies de l'information et de la communication.

L'enquête Sumer 2017 est basée sur les données collectées par 1 200 médecins du travail auprès de 26 500 salariés du secteur privé et des trois versants de la fonction publique (hospitalière, territoriale et de l'État), représentant au total près de 25 millions de salariés.

Autre risque professionnel pris en compte : le travail répétitif. En 2017, 16 % des salariés ont été exposés à la répétition d'un même geste ou d'une série de gestes à cadence élevée. Après avoir baissé entre 1994 et 2003, cette part a fortement augmenté en 2010, puis a baissé à nouveau pour revenir en 2017 à son niveau de 2003. La baisse observée entre 2010 et 2017 est plus marquée dans la construction, ainsi que pour les ouvriers non qualifiés et les employés de commerce et de services, qui étaient particulièrement exposés en 2010.

PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE L'ENQUÊTE SUMER 2017

D ans le secteur privé, la plupart des expositions des salariés aux contraintes physiques ont baissé entre 1994 et 2017, à l'exception du bruit. L'exposition à au moins un produit chimique a concerné un tiers des salariés en 2017, un niveau légèrement inférieur à celui de 1994.

L'exposition à au moins un produit cancérogène a concerné encore 10 % des salariés, soit 1,8  million de personnes. Sur les vingt dernières années, le signalement des expositions à des agents biologiques a augmenté. Ces expositions aux risques physiques, chimiques et biologiques s'inscrivent dans un contexte organisationnel toujours très contraint. L'intensité du

travail a augmenté depuis 20  ans, même si elle s'est stabilisée entre 2010 et 2017. Bien que les marges de manœuvre favorisant l'autonomie au travail soient en recul, les salariés se plaignent moins souvent en 2017 qu'en 2003 de manquer de moyens pour faire correctement leur travail.

Après un pic en 2010, le signalement de comportements hostiles est revenu en 2017 au niveau de 2003, tandis que la tension au travail s'est stabilisée à un niveau élevé et que les écarts entre salariés se sont creusés concernant le manque de reconnaissance au travail. Afin de lutter contre l'ensemble de ces expositions, près d'un salarié sur deux est couvert par des pratiques formalisées de prévention des risques professionnels.

Après une période d'augmentation des cadences imposées, la récente diminution du travail répétitif peut être rattachée aux évolutions technologiques, dont l'automatisation. Elle s'explique aussi par des évolutions organi-

sationnelles, dont la rotation des salariés sur différents postes, ainsi que par un contexte réglementaire prenant en compte ce facteur de risque professionnel (article L4161-1 du Code du travail).

L'enquête révèle également que le nombre de salariés effectuant un travail répétitif d'une durée longue (dix heures ou plus par semaine) a également diminué ; 7 % des salariés y ont été exposés en 2017 contre 13 % en 1994 (voir figure 1). La part des salariés exposés à un travail répétitif moins de dix heures est restée stable entre 1994 et 2017 (7%). Pour ces salariés, la rotation régulière 30 des postes est en augmentation entre 2003 et 2017, avec un pic en 2010. Ces évolutions pourraient traduire un recours accru à la polyvalence pour les salariés exposés à certains critères de pénibilité et aux modifications de process avec l'automatisation.

EXPOSITION AUX AGENTS CHIMIQUES EN BAISSE DANS L'INDUSTRIE

L'exposition aux agents chimiques est également un risque professionnel potentiellement important. En 2017, un tiers des salariés du secteur privé ont été exposés à au moins un produit chimique lors de la dernière semaine travaillée précédant l'enquête (voir tableau page 21). Après une hausse entre 1994 et 2003 (+ 3 points), le pourcentage de salariés exposés a diminué entre 2003 et 2010 (-4 points), et s'est stabilisé en 2017 (-1  point par rapport à 2010), revenant légèrement au-dessous du niveau de 1994. Cette évolution se retrouve quels que soient les secteurs d'activité, les catégories socioprofessionnelles, les distinctions de durées (dix heures ou plus) et les familles de produits (solvants, cancérogènes).

En 2017, 34 % des salariés de l'agriculture ont été exposés à au moins un produit chimique, ce qui constitue une baisse particulièrement forte dans ce secteur depuis 1994 (-15  points). Cette diminution peut s'expliquer par la prise de conscience des conséquences de l'utilisation des pesticides pour la santé des agriculteurs, l'environnement et les consommateurs, avec la mise en œuvre du plan Écophyto.

Dans l'industrie, 38 % des salariés ont été exposés aux produits chimiques en 2017. Une baisse de 6 points est constatée depuis 1994, dans une période marquée par un recul des industries traditionnelles fortement exposantes, comme la sidérurgie et la métallurgie, et par l'automatisation de nombreuses activités. En revanche, les expositions dans la construction sont restées à un niveau élevé (58 % des salariés), supérieur à celui de 1994. Dans le secteur des services, le pourcentage de salariés exposés a augmenté, passant de 25 % en 1994 à 29 % en 2017 ; le développement important de professions comme « agents de nettoyage » et « aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales » peut expliquer cette évolution. Les salariés du tertiaire sont exposés principalement à des tensioactifs (ammoniums quaternaires et autres tensioactifs, 11 %), à de l'eau de Javel (7 %) et à des alcools (7 %). Ces évolutions sectorielles peuvent s'expliquer, en partie, par l'externalisation de la maintenance.

Les ouvriers qualifiés et les ouvriers non qualifiés restent les plus exposés à au moins un produit chimique (respectivement 61 % et 56 % en 2017). Ces proportions sont toutefois en recul par rapport à 2003 mais elles demeurent toujours supérieures à celles de 1994. Parmi les produits chimiques les plus fréquemment cités, on retrouve les carburants, les émissions de moteurs diesel et d'autres moteurs, les huiles synthétiques, le ciment, les fumées de soudage et les solvants. En 2017, 46 % des employés de commerce et de services ont été exposés, soit une hausse de 7 points depuis 1994, qui concerne notamment les produits chimiques utilisés pour le nettoyage et la désinfection. Ainsi, 19 % des employés de commerce et de services ont été exposés à l'eau de Javel et aux ammoniums quaternaires. L'exposition aux persulfates a concerné 4 % de cette catégorie socioprofessionnelle, notamment du fait des métiers de la coiffure.

À noter qu'en 2017, 9 % des salariés ont été exposés à au moins un produit chimique dix heures ou plus par semaine, un taux en baisse par rapport à 1994 (13 %). Cette diminution touche essentiellement l'industrie (-7 points) et les ouvriers non qualifiés (-7 points).

L'enquête indique par ailleurs que 13 % des salariés ont été exposés à au moins un solvant en 2017, proportion quasi inchangée depuis 1994. Cependant, la part des salariés concernés a augmenté entre 1994 et 2017 dans la construction (+ 4 points) et le tertiaire (+ 3 points) et pour les employés de commerce et de services (+ 11  points). Les salariés les plus exposés sont les ouvriers qualifiés (un sur quatre en 2017).

(1) À partir des données de Sumer 2010, c'est la nomenclature d'activité française révisée (NAF rév.2) qui est utilisée. (2) Par convention, les ouvriers agricoles sont classés dans cette catégorie. (3) Définition européenne se référant à la directive 60/269/CEE du 29 mai 1990, section 1, article 2. (4) Résultats des enquêtes Sumer 2003, 2010 et 2017 portant sur le même champ que l'enquête Sumer 1994. (5) Questions posées dans l'enquête seulement à partir des éditions mentionnées.

Enfin, la multi-exposition, à savoir l'exposition à au moins trois produits chimiques, a concerné 15 % des salariés en 2017. Elle a diminué fortement dans l'agriculture depuis 1994 (-11 points), tandis qu'elle a augmenté de 11 points pour les ouvriers qualifiés, qui sont les plus concernés (33 % en 2017).

Après une baisse de 4 points entre 2003 et 2010, les expositions à au moins un produit chimique cancérogène sont restées stables entre 2010 et 2017 et ont concerné plus de 1,8 million de salariés, soit 10 % du total.

Les salariés les plus exposés en 2017 sont toujours ceux de la construction (31 %) et les ouvriers qualifiés (30 %). Cependant, l'évolution de ces expositions apparaît très variable selon les produits. À titre d'exemple, le nombre de salariés exposés au perchlo-roéthylène et au trichloroéthylène a fortement diminué, en lien avec les évolutions réglementaires et technologiques, dont la suppression du perchloroéthylène dans les pressings.

MEILLEURE ÉVALUATION DU RISQUE BIOLOGIQUE

En 2017, 19 % des salariés ont été exposés à au moins un risque biologique pendant la semaine précédant l'enquête, soit 9 points de plus qu'en 1994. La hausse a été forte surtout entre 2003 et 2010, liée en partie à la pandémie grippale survenue en 2009, qui a conduit à ce qu'une majorité de préventeurs et d'entreprises soient sensibilisés aux repérages des risques biologiques. Cette progression a concerné essentiellement le secteur de l'agriculture (+ 16  points par rapport à 2003), secteur où les salariés sont les plus exposés (près d'un salarié sur deux). Ce sont les employés de commerce et de services, parmi lesquels on retrouve notamment les salariés « aides-soignants » et « aides à domicile, aides ménagères et travailleuses familiales », qui ont été les plus exposés en 2017 (46 %) et qui ont connu la plus forte hausse (+ 21 points par rapport à 2003). L'augmentation s'explique en partie par un meilleur repérage des risques biologiques par les professionnels de santé, mais aussi par la professionnalisation des métiers – par exemple dans les services à la personne ou dans l'agriculture – qui confère une plus grande sensibilisation des salariés à ces risques.

La très grande majorité des salariés exposés l'ont été dans un contexte d'exposition potentielle « supérieure au risque communautaire », c'est-à-dire à celle de la population générale. Parmi les salariés exposés à au moins un risque biologique, les expositions surviennent au contact d'un réservoir humain pour un salarié sur deux, résultat stable depuis 1994. Parmi les salariés exposés lors d'un contact humain, la part des salariés exposés s'est légèrement réduite pour ceux travaillant en milieu de soins depuis 2010. Les tâches les plus fréquemment exposantes sont les soins d'hygiène, le nursing et l'assistance à la personne. La part des salariés exposés lors de la réalisation de ces tâches a progressé de 11 points entre 2010 et 2017.

Les autres conditions d'exposition (travail au contact d'un réservoir environnemental, agroalimentaire, etc.) ont augmenté de 5 points entre 2003 et 2017 (de 40 % à 45 %). Par ailleurs, moins de 1 % des salariés ont été exposés dans un contexte d'utilisation délibérée (c'est-à-dire que l'agent biologique fait partie inhérente du processus de fabrication), un pourcentage resté stable par rapport à 1994.

Les évolutions des expositions physiques, chimiques et biologiques s'inscrivent dans un contexte organisationnel toujours très contraint, tendance que l'on retrouve dans l'enquête Conditions de travail et Risques psychosociaux de 2016. Les durées longues de travail (40  heures ou plus) ont ainsi concerné quelque 18 % des salariés en 2017. Après avoir connu une baisse entre 1994 et 2010, en lien avec les lois n° 98-461 et n° 2000-37 dites « lois Aubry I et II » relatives à la réduction du temps de travail, elles sont restées stables dans le secteur privé entre 2010 et 2017. Seule l'exposition des cadres et des professions intellectuelles supérieures a diminué sur cette période (-4 points entre 2010 et 2017), même s'ils restent particulièrement concernés (44 % en 2017).

L'enquête souligne par ailleurs qu'en 2017, plus d'un tiers des salariés ont travaillé le dimanche et les jours fériés, que ce soit régulièrement ou occasionnellement. Les employés de commerce et de services sont les plus concernés (60 %), mais leur exposition n'a pas progressé sur la période, malgré l'assouplissement règlementaire de la loi n° 2015-990 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

À noter également qu'en 2017, 13 % des salariés ont travaillé en équipe (travail posté), proportion stable par rapport à 1994. L'industrie reste le secteur où les salariés sont les plus exposés au travail posté (24 %). Après une augmentation de cinq points entre 1994 et 2003 dans ce secteur, la part des salariés exposés au travail posté est revenue au niveau de 1994.

Après une nette augmentation entre 2003 et 2010, la proportion de salariés qui ont déclaré des horaires variables d'un jour sur l'autre s'est stabilisée (23 % en 2010 et 2017), sauf pour les ouvriers non qualifiés qui subissent une hausse de ce type d'horaires de travail. En 2017, 5 % des salariés interrogés ont indiqué ne pas connaître leurs horaires de travail pour le lendemain et 9 % ceux pour la semaine suivante. Cette imprévisibilité des horaires est en recul depuis 2003, excepté pour les ouvriers non qualifiés.

Enfin, en 2017, un quart des salariés ont déclaré travailler « toujours » ou « souvent » plus que l'horaire prévu. Cette proportion est stable entre 2003 et 2017. Les cadres restent les plus concernés (48 %), même si leurs dépassements d'horaires ont reculé de 10 points entre 2003 et 2017. En revanche, pour les employés administratifs et les ouvriers qualifiés, ils sont devenus plus fréquents (respectivement + 6 et + 5 points).

UNE INTENSITÉ DU TRAVAIL TOUJOURS ÉLEVÉE

L'intensité du travail est l'un des facteurs essentiels des risques psychosociaux au travail. Elle est déterminée par les contraintes de rythme de travail ou par la perception que peuvent en avoir les salariés. L'enquête Sumer permet d'aborder ces deux aspects grâce à son questionnaire principal et à l'auto-questionnaire. Comme décrit par l'enquête Conditions de travail et Risques psychosociaux de 2016, les contraintes de rythme ont légèrement diminué entre 2010 et 2017, mais restent à un niveau élevé. Environ un tiers des salariés subissent toujours au moins trois contraintes de rythme marchandes ou machiniques, soit 4  points de plus qu'en 1994. Cette évolution est contrastée selon les secteurs : elle diminue dans l'agriculture mais augmente dans l'industrie, la construction et surtout le tertiaire (+ 6 points entre 1994 et 2017). L'augmentation est plus importante chez les ouvriers qualifiés (+ 9 points) et les cadres (+ 8 points).

La proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par une demande extérieure obligeant à une réponse immédiate reste élevée : plus d'un salarié sur deux (56 %) en 2017. Un tiers des salariés ont déclaré devoir respecter des normes de production ou des délais d'une journée ou plus en 2017. Après avoir augmenté entre 1994 et 2010, cette proportion est en baisse entre 2010 et 2017 (-6 points). Cette diminution touche tous les secteurs – plus particulièrement l'industrie (-9  points) – et toutes les catégories socioprofessionnelles. Néanmoins, depuis 1994, cette contrainte a augmenté pour les cadres (+ 4 points). Depuis 1994, c'est toujours un quart des salariés qui déclarent que le rythme de leur travail dépend immédiatement du travail d'un collègue.

QU'EST-CE QUE L'ENQUÊTE SUMER ?

L 'enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) connaît en 2017 sa 4 e édition, après celles de 1994, 2003 et 2010. Elle dresse une cartographie des expositions des salariés aux principaux risques professionnels en France, permettant de définir des actions de prévention prioritaires pour les acteurs impliqués dans le domaine du travail et de la santé au travail. Elle a été lancée et gérée conjointement par la Direction générale du travail (et, en son sein, par l'inspection médicale du travail) et la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), en partenariat avec la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). L'enquête s'est déroulée sur le terrain d'avril 2016 à septembre 2017 ; 1 243 médecins du travail se sont portés volontaires et ont tiré au sort 33 600  salariés, selon une méthode aléatoire. 26 500 questionnaires sont exploitables, 98 % d'entre eux s'accompagnent d'un auto-questionnaire. Ces salariés répondants sont représentatifs de près de 25 millions de salariés en France.

(1) À partir des données de Sumer 2010, c'est la nomenclature d'activité française révisée (NAF Rev.2) qui est utilisée. (2) Par convention, les ouvriers agricoles sont classés dans cette catégorie. (3) Liste constante des agents chimiques cancérogènes depuis Sumer 2003. (4) Résultats des enquêtes Sumer 2003, 2010 et 2017 portant sur le même champ que l'enquête Sumer 1994.

Quant au contrôle permanent exercé par la hiérarchie, il a été subi par 25 % des salariés en 2017, en diminution par rapport à 1994 (-4  points), avec une baisse plus forte observée pour les ouvriers non qualifiés (-14  points). Le contrôle ou le suivi exercé via des systèmes informatiques est la seule contrainte de rythme à avoir augmenté de façon constante entre 1994 et 2017 (+ 18  points), et a concerné près d'un tiers des salariés en 2017. Ce mouvement reflète la diminution de la hiérarchie intermédiaire et la diffusion des outils numériques, y compris dans les ateliers.

Par ailleurs, la proportion de salariés déclarant devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue a augmenté sur la période évaluée (de 46 % en 1994 à 58 % en 2017), ce qui est très coûteux en termes de charge mentale, selon l'étude. Cependant, ces interruptions sont moins souvent considérées comme perturbantes en 2017 qu'en 2003, notamment par les ouvriers.

Enfin, la quantité et la rapidité du travail perçues par les salariés via l'auto-questionnaire a augmenté sur la période 2003-2017. Selon l'enquête Sumer 2017, plus de 66 % des salariés considèrent qu'on leur demande de travailler très vite et 35 % jugent qu'on leur demande une quantité excessive de travail, soit des hausses respectives de 3 et 4 points entre 2003 et 2017. La part des salariés qui ont déclaré ne pas disposer du temps nécessaire pour faire correctement leur travail est restée stable depuis 2003 (30 %).

MOYENS POUR FAIRE CORRECTEMENT SON TRAVAIL : IL Y A DU MIEUX

Le manque d'autonomie est un autre facteur essentiel des risques psychosociaux au travail. Les marges de manœuvre tendent à diminuer sur la période 2003-2017, réduisant ainsi l'autonomie des salariés. Ainsi, en 2017, 42 % des salariés n'ont pas pu faire varier les délais fixés, contre 35 % en 2003. Et ce sont les catégories socioprofessionnelles les plus exposées qui connaissent la plus forte hausse, selon l'enquête : employés administratifs (+ 10  points), ouvriers non qualifiés (+ 9 points) et qualifiés (+ 8 points). Lorsqu'il se produit quelque chose d'anormal dans leur travail, un quart des salariés font généralement appel à d'autres pour régler le problème en 2017, proportion en hausse depuis 2003. Avoir ou non les moyens de faire correctement son travail est un déterminant du travail empêché et, par là même, des risques psychosociaux. En 2017, 15 % des salariés ont déclaré manquer de moyens matériels pour faire correctement leur travail, soit 4 points de moins qu'en 2003 (voir figure 2). De même, on observe un recul des proportions de salariés déclarant manquer de collègues ou de collaborateurs, d'une formation adaptée ou d'informations claires et suffisantes pour effectuer correctement leur travail. En 2017 comme en 2010, environ 7 % des salariés ont déclaré au moins trois indicateurs de travail empêché, contre 11 % en 2003. 71 % des salariés ont déclaré travailler avec le public en 2017, de vive voix ou par téléphone, soit un niveau équivalent à celui de 2003. Les employés de commerce et de services sont les plus concernés (95 %, + 2  points entre 2003 et 2017). En revanche, la proportion de salariés qui indiquent vivre en permanence ou régulièrement des situations de tension avec le public est restée stable entre 2010 et 2017 (8 %), un peu moins élevée qu'en 2003 (10 %).

En 2017, parmi les salariés en contact avec le public, 15 % ont déclaré au moins une agression verbale de la part du public au cours des douze derniers mois, une proportion relativement stable par rapport à 2010. Les catégories socioprofessionnelles les plus concernées sont les employés administratifs (18 %), les employés de commerce et de services (17 %) et les professions intermédiaires (17 %).

FORTE SATISFACTION AU TRAVAIL MALGRÉ LES RISQUES

En 2017, 15 % des salariés ont déclaré subir des comportements hostiles sur leur lieu de travail contre 22 % en 2010, un niveau proche de 2003 (16 %). Cette diminution est également observable dans l'enquête Conditions de travail et Risques psychosociaux, qui enregistre une baisse des comportements hostiles vécus entre 2013 et 2016.

La baisse entre 2010 et 2017 concerne aussi bien les « comportements méprisants » (-5  points) que le « déni de reconnaissance du travail » (-4  points) et, dans une moindre mesure, les « atteintes dégradantes » (-1  point). L'ensemble des salariés est concerné par cette baisse, quels que soient la catégorie socioprofessionnelle et le secteur d'activité (sauf l'agriculture).

La baisse des comportements hostiles entre 2010 et 2017 est plus importante pour les salariés de 60 ans ou plus (-8 points). Il est possible que, pour cette tranche d'âge, la sortie du marché du travail (retraite, rupture conventionnelle, inaptitude, etc.) ait pu constituer une solution pour les personnes concernées.

À noter que les comportements hostiles sont moins souvent cités dans les petits établissements (moins de dix salariés), mais leur recul a été plus important dans les établissements de 250  salariés ou plus, notamment entre 2010 et 2017 (-8 points) ; il est possible que cette baisse résulte de mesures de prévention mises en place dans ces établissements.

Concernant la « tension au travail » ou job strain, elle s'est stabilisée, mais à un niveau élevé. Entre 2003 et 2010, la part des salariés en tension au travail avait fortement augmenté. En 2010, la proportion de salariés ayant à la fois un score de « demande psychologique » supérieur au score médian de 2003 et un « score de latitude décisionnelle » inférieur au score médian de 2003 s'élevait à 32 % contre 27 % en 2003 ; elle reste à ce niveau en 2017. La tension au travail augmente dans les secteurs qui étaient les moins exposés en 2010, comme l'agriculture et la construction, alors qu'elle diminue dans l'industrie, secteur le plus concerné en 2010. En 2017, 18 % des salariés se sont classés, d'après leurs déclarations, en situation dite d'iso-strain (salariés en job strain qui présentent aussi un faible soutien social). Les évolutions depuis 2003 vont dans le même sens que celles du job strain, à savoir que les expositions ont augmenté dans les secteurs qui étaient les moins exposés en 2010.

ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DE LA POPULATION SALARIÉE ENTRE 1994 ET 2017

L a structure des salariés du secteur privé en France métropolitaine, y compris Mutualité sociale agricole (MSA), a beaucoup évolué entre 1994 et 2017. Ces changements contribuent, dans une certaine mesure, à quelques-unes des évolutions des expositions professionnelles observées. Sur cette période, on remarque une augmentation de la part des cadres et professions intellectuelles supérieures (12% à 17 %) et des employés de commerce et de services (de 15 % à 22 %), tandis que les ouvriers non qualifiés sont moins nombreux (de 16 % à 10 %).

Dans le secteur tertiaire, qui regroupe la plus grande partie des salariés (75 %) et qui connaît une hausse de près de 15  points sur la période, la part des employés de commerce et de services et des cadres et professions intellectuelles supérieures a augmenté, alors qu'il y a une diminution de la part des employés administratifs et des professions intermédiaires sur la période (-4 points). Le secteur de l'industrie connaît globalement une baisse importante sur les vingt dernières années (de 26 % à 17 %). Par ailleurs, dans ce secteur, on observe une baisse importante des ouvriers non qualifiés (-12 points) et une forte hausse des cadres et professions intellectuelles supérieures (+ 11 points). La part du secteur agricole, qui concerne près de 2 % des salariés en 2017, a été divisée par trois depuis 1994 (-3  points). Ce secteur voit la part des ouvriers qualifiés baisser (-12  points) et celle des ouvriers non qualifiés augmenter (+ 19 points). Les évolutions dans le secteur de la construction sont moins marquées (de 8 % en 1994 à 7 % en 2017), sauf pour les employés administratifs dont la part augmente de 4 points. Les fonctions principales exercées par les salariés ont également évolué entre 1994 et 2017. Les changements majeurs concernent la « production, fabrication, chantier, installation », qui diminue progressivement sur la période, allant de 27 % en 1994 à 24 % en 2003, 22 % en 2010 et 19 % en 2017, soit - 8 points en 20 ans. C'est par ailleurs la fonction qui touche le plus de salariés enquêtés. La « gestion, compatibilité, fonction administrative » diminue de 4  points entre 1994 et 2017 (de 11 % à 7 %). Pour les autres fonctions principales, les évolutions sont moins marquées : la fonction « commerce, vente technico-commerciale », qui concerne 18 % de salariés en 2017, a augmenté de 3  points depuis 1994. À l'inverse, la fonction principale « manutention, magasinage et transports » a diminué d'environ 2  points, tout comme l'« installation, réparation, maintenance ». Au sein de cette dernière fonction, l'externalisation de la maintenance pourrait expliquer en partie la baisse de ces salariés dans le secteur industriel (de 33 % en 1994 à 26 % en 2017) au profit des secteurs de la construction (+ 6 points) et du tertiaire (+ 5 points).

(1) Il s'agit des résultats des enquêtes Sumer 2003, 2010 et 2017 portant sur le même champ que l'enquête Sumer 1994. (2) Questions posées dans l'enquête seulement à partir des éditions mentionnées. Champ : ensemble des salariés du secteur privé et de la Mutualité sociale agricole ; France métropolitaine. Source : DGT-Dares, enquêtes Sumer 1994, 2003, 2010 et 2017.

Le sentiment de manquer de reconnaissance au travail est par ailleurs en baisse (-4  points), mais ce résultat est contrasté selon la catégorie socioprofessionnelle. La catégorie socioprofessionnelle des employés administratifs demeure la plus impactée (57%), tandis que le manque 30 de reconnaissance recule pour les ouvriers non qualifiés (-10 points), qui deviennent 25ainsi la catégorie socioprofessionnelle la moins 20 exposée (42%). En 2017, la proportion de salariés qui ont déclaré ne pas bénéficier 15 d'un soutien suffisant dans les situations difficiles est en 10 baisse. Il en va de même de ceux dont la situation professionnelle ne 5 correspond pas bien à leur formation ou encore de ceux qui 0 considèrent qu'ils ne reçoivent pas le respect et l'estime qu'ils mériteraient au travail au regard de leurs efforts. En revanche, la part de salariés qui jugent que leurs perspectives de promotion ne sont pas satisfaisantes est restée stable entre 2010 et 2017 (23% en 2010 contre 22 % en 2017).

Enfin, près de neuf salariés sur dix se sont déclarés satisfaits dans l'ensemble de leur travail, proportion stable depuis 2003. Déclarer être satisfait de son travail peut recouvrir plusieurs sens : la satisfaction d'avoir un travail, la satisfaction de ses conditions de travail, mais aussi l'importance que le travail revêt dans la vie des personnes. Si ce résultat peut paraître surprenant au regard du niveau élevé de tension au travail, la psychodynamique ou la clinique du travail indique que l'on peut être satisfait de son travail malgré les difficultés rencontrées dans son exécution.

MEILLEURE PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS

Depuis l'enquête Sumer de 2010, un volet a été ajouté au questionnaire principal pour décrire les pratiques formalisées de prévention des risques professionnels dans les établissements. L'article L.4121-1 du Code du travail prévoit que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures comprennent « des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ».

Selon les médecins du travail qui ont réalisé l'enquête Sumer de 2017, près d'un salarié sur deux (49 %) est couvert par un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou assimilé au niveau de l'établissement. Ce chiffre est en hausse par rapport à 2010 (+ 4  points). En 2017, près de 60 % des salariés ont disposé dans leur établissement d'un document unique d'évaluation des risques (DUER), dont plus des deux tiers ont été élaborés ou mis à jour au cours des douze mois précédant l'enquête. Ces dispositifs de prévention sont plus souvent cités dans les établissements de 50 salariés ou plus, où les institutions représentatives du personnel sont les mieux implantées. Lorsqu'il y a un CHSCT, la proportion des salariés ayant un DUER élaboré ou mis à jour récemment dans leur établissement est beaucoup plus importante (66 %) que lorsqu'il n'y en a pas (16 %). Enfin, 38 % des établissements ont recouru en 2017 à des intervenants extérieurs en matière de prévention des risques professionnels (IPRP ou autres consultants), soit 8  points de plus qu'en 2010. Cette hausse touche toutes les tailles d'établissements, y compris ceux de moins de dix salariés (+ 6 points, de 5 % à 12 %).

À noter que l'intégralité de l'enquête Sumer 2017 est téléchargeable à l'adresse https: // dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_ analyses_evolution_expositions_profession-nelles_salaries_sumer_2017.pdf.

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