« Il faut moderniser l'ima ge des métiers industriels auprès des jeunes »

Le 19/10/2017 à 0:00

La fonction d'ingénieur est attrayante, mais les métiers sont multiples. Les témoignages aident les étudiants à trouver leur branche.

Université Paris-Diderot

Mesures. Alain Bao, pouvez-vous nous présenter la Faculté des métiers ?

Alain Bao. Il s'agit d'un centre de formation installé sur trois sites, à Évry, Bondoufle et Massy, dans l'Essonne. Dédié à l'apprentissage, il forme environ 3 000 jeunes par an aux métiers de l'industrie, du tertiaire et de l'artisanat. La Faculté des métiers est née sous cette forme en 2005. Elle est l'émanation de trois CFA (Centre de formation des apprentis) historiques. Il s'agissait à l'époque de proposer une offre de formations la plus complète possible, avec 90 diplômes différents. À travers le terme de faculté, le but était aussi de revaloriser l'apprentissage et les métiers techniques. En effet, on associe trop souvent l'apprentissage à l'échec scolaire. D'autant plus pour les premiers niveaux de formation, comme les CAP ou les bacs professionnels. Nous voulions représenter une vitrine de ces métiers et pouvoir parler de leur réalité. Nous proposons aussi des formations continues, pour les salariés et les demandeurs d'emploi. 5 000 adultes passent par la faculté des métiers chaque année, pour des formations courtes, parfois de quelques jours.

Mesures. Quels métiers industriels enseignez-vous, et comment se passent les formations ?

Alain Bao. Nous enseignons des métiers en lien avec la production, comme le soudage, la maintenance, l'automatique ou la chaudronnerie. Nous formons des électrotechniciens et des techniciens en énergétique, capables de prendre en charge l'installation et la maintenance des équipements industriels et énergétiques. Nous proposons même une formation de technico-commercial, pour la vente de produits industriels. Nous donnons ainsi accès à des filières complètes. Pour un métier donné, les jeunes peuvent se projeter sur plusieurs niveaux de diplôme, et il existe des passerelles d'une filière à l'autre. Le parcours moyen est de 2 ans pour la préparation d'un diplôme en formation initiale. Il est possible d'intégrer la Faculté des métiers après la classe de quatrième, avec le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (Dima). C'est l'équivalent d'une troisième, mais avec beaucoup de stages en entreprise, afin de découvrir différents métiers. Ensuite, nous proposons des CAP, des mentions complémentaires, des bacs professionnels, des BTS, et même une licence professionnelle sur les métiers de l'énergétique. Depuis le début de l'année, et jusqu'à la fin 2019, les formations initiales en alternance sont accessibles jusqu'à l'âge de 30 ans en Région Île-de-France. Bien souvent, les candidats sont en difficulté avec le système scolaire traditionnel. Cela n'est pas un problème pour nous, car nous tra-vaillons différemment. Les cours s'appuient sur des situations de travail concrètes, vécues en entreprise. Le français, les mathématiques ou l'anglais sont contextualisés par rapport au métier enseigné. Les jeunes ont un tuteur qui les aide à progresser. Certains renouent ainsi avec le plaisir d'apprendre et reprennent confiance en eux après une situation d'échec scolaire. Nous avons environ 80 % de taux de réussite aux examens.

Mesures. Les jeunes connaissent-ils les métiers de l'industrie au moment de postuler ?

Alain Bao. Lorsque nous recevons les candidats en entretien, nous essayons de comprendre pourquoi ils choisissent une voie plutôt qu'une autre. Nous évo-quons leur projet professionnel, afin qu'ils ne se fourvoient pas dans la mauvaise branche. Nous nous assurons qu'ils comprennent bien qu'ils seront confrontés au monde de l'entreprise, qui implique plus d'obligations que d'être collégien ou lycéen. Concernant les métiers de l'industrie, il y a beaucoup d'idées reçues. Ceux qui sont liés à la fabrication, comme la chaudronnerie, l'usinage ou la maintenance, souffrent d'un déficit d'image. Les délocalisations et les fermetures d'usines observées dans notre pays y ont évidemment contribué. L'effectif de jeunes dans ces formations a baissé ces dernières années, et, lors des journées portes ouvertes, la fréquentation est moins importante pour ces métiers que pour ceux du secteur tertiaire. Cela témoigne d'un manque d'attractivité. C'est pourtant un paradoxe, car il y a une demande économique pour cela. Alors que les employeurs, notamment les grands groupes et leurs sous-trai-tants, sont confrontés à des départs en retraite, ils ont parfois du mal à trouver du personnel bien formé pour occuper des postes d'opérateur de production, ou de pilotage de ligne. Mais ceux qui choisissent ces filières ne le font pas par hasard. Souvent, c'est parce qu'une per-sonne de leur famille pratique l'un de ces métiers et sait en parler positivement. Ils en connaissent donc la réalité et sont motivés. C'est un atout ! Il y a moins de réorientations dans ces filières. Et, au moment de postuler à la formation, certains candidats ont déjà trouvé une entreprise.

Mesures. D'autres métiers industriels ont-ils une meilleure image ?

Alain Bao. Oui, les métiers de l'électrotechnique ou de l'énergétique ne sont pas confrontés à ce problème. Les effectifs se maintiennent dans ces filières, et ils progressent même pour certains métiers, comme la maintenance et l'installation de systèmes énergétiques. Avec les questions environnementales, des sujets comme l'optimisation énergétique ou les systèmes non polluants sont dans l'air du temps. Ils ont une image positive. Les métiers associés bénéficient donc d'un courant favorable, même lorsqu'ils sont mal connus. Alors que l'industrie traditionnelle a gardé une image poussiéreuse et énergivore.

Alain Bao, directeur du CFA de la Faculté des métiers de l'Essonne

Faculté des Métiers de l'Essonne

Après avoir travaillé pour un bureau d'étude spécialisé dans l'audit des installations énergétiques industrielles, Alain Bao s'est intéressé à la question de la formation. Devenu directeur de CFA (Centre de formation des apprentis), il exerce cette fonction dans un premier temps à la tête d'un établissement spécialisé dans les formations aux métiers de l'industrie. Il passe ensuite par la direction d'un CFA dédié aux métiers du tertiaire. Depuis 2012, il est directeur du CFA de la Faculté des métiers de l'Essonne. Il est également président de l'association régionale des directeurs de CFA de la région Ile-de-France (ARDRIF).

Mesures. Comment communiquez-vous au sujet des métiers de l'indus-trie ? Alain Bao. Nous allons le plus possible à la rencontre des jeunes. Dès que nous le pouvons, nous participons à des forums, des salons ou des journées d'information organisées dans les collèges. Nous y parlons de l'industrie, de ses métiers et de l'apprentissage. Nous nous associons également à des événements comme la Semaine de l'industrie ou le Bus de l'industrie, une initiative de l'UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie). Le concours « Un des meilleurs apprentis de France », organisé par la Société des meilleurs ouvriers de France et auquel nous participons, est aussi un événe-ment intéressant. Il est relayé par la presse et contribue au rayonnement de métiers comme le soudage ou la chaudronnerie, en plus de valoriser les lauréats sur le marché de l'emploi. Nous avons par ailleurs un partenariat avec l'inspection académique. Lors de nos portes ouvertes, des collégiens viennent visiter la Faculté des métiers. C'est l'occasion pour eux de découvrir nos plateaux techniques et d'entendre le témoignage des étudiants. Mais ce sont des actions ponctuelles, et l'idéal serait d'aborder le sujet en amont, et après la visite. Pour cela, il faut maintenir notre lien avec les professeurs, qui sont des prescripteurs. Nous les invitons à venir découvrir concrètement les métiers que nous enseignons, afin qu'ils sachent accompagner les jeunes dans leurs choix.

Les métiers liés à la fabrication souffrent d'un déficit d'image. La modernité des technologies utilisées est mal connue.

Safran Cabad Capa Le

Les futurs ingénieurs et l'industrie

Il y a trois ans, l'École d'ingénieur Denis Diderot (EIDD) recrutait Thierry Lorioux en tant que chargé des relations entreprises. L'un des objectifs était « de mieux faire connaître le monde industriel à des jeunes qui, souvent, en sortant de prépa, ne connaissent pas les entreprises » , explique-t-il. L'école a réalisé qu'il y avait une carence de ce point de vue. À défaut de bien connaître l'industrie, les jeunes étudiants sont intéressés par la fonction d'ingénieur. « Il y a des centaines de métiers d'ingénieurs, que ce soit en production, en qualité, en ordonnancement, ou en bureau d'étude. Mais il y a un attrait pour l'aspect technologique du métier », affirme Thierry Lorioux. À la sortie de leur année préparatoire, « les futurs ingénieurs ont une formation très scientifique , rappelle-t-il. Un ingénieur va utiliser toutes ces connaissances pour aller vers des applications pratiques . » La fonction d'ingénieur est également rassurante pour les étudiants : « c'est un métier qui permet de développer une carrière, et cela pèse dans le choix des jeunes », constate Thierry Lorioux. Les contacts avec le monde de l'industrie commencent dès la première année. À travers un « projet professionnel personnalisé », les étudiants apprennent à travailler en groupe et par projet. Ils prennent ainsi connaissance des métiers qui pourront s'ouvrir à eux, en réalisant des enquêtes et des interviews d'ingénieurs, dont ils doivent tirer des rapports. « Dans le cadre de ce projet personnalisé, nous discutons avec les jeunes pour comprendre leurs aspirations, trouver les domaines qui les intéressent, ou ceux qu'ils excluent », continue le chargé des relations entreprises. Les étudiants participent également à un « forum de l'entreprise », où sont invitées une quinzaine d'entreprises. C'est l'occasion d'établir un premier contact avec de futurs employeurs. De plus, l'école organise des séminaires où des ingénieurs viennent exposer leur trajectoire et répondre aux questions des jeunes. L'expérience concrète démarre la deuxième année, avec des stages de 2 ou 3 mois, complétés par un stage de 6 mois lors de la dernière année. « Ce stage a pour objectif de préparer le jeune ingénieur à sa carrière. Bien souvent, il se termine par une proposition de CDI », précise Thierry Lorioux. Au-delà du métier d'ingénieur lui-même, la formation vise également à familiariser les élèves avec le fonctionnement de l'entreprise. « Ce qui les surprend lorsqu'il découvrent cette réalité lors de leur stage, c'est le rythme et l'intensité du travail.

Ils s'aperçoivent qu'un ingénieur ne compte pas son temps », fait remarquer Thierry Lorioux. Mieux vaut alors avoir bien choisi sa branche !

Mesures.Y a-t-il un manque d'information quand il s'agit d'orienter les élèves ?

Alain Bao. Oui, il y a un gros travail à faire sur ce point. L'orientation vers l'alternance est souvent subie chez les plus jeunes. Elle leur est prescrite lorsqu'ils sont catalogués comme ayant des difficultés. Ceux qui acquièrent d'abord des diplômes par la voie scolaire traditionnelle ont plus le temps de gagner en maturité, et d'analyser eux-mêmes l'intérêt de passer par l'apprentissage. C'est pourquoi ce dernier se développe plus pour les diplômes supérieurs qu'aux premiers niveaux de formation. Cela montre bien qu'il y a toute une problématique liée à l'orientation. Les parents comme les professeurs ne peuvent pas parler des métiers qu'ils ne connaissent pas. Et, bien que les centres d'orientation aient de la documentation sur le milieu de l'industrie, rien ne vaut le vécu de quelqu'un qui connaît et pratique le métier, et peut témoigner de sa richesse et de sa réalité. Or, lorsqu'il s'agit d'orienter les jeunes, on leur présente avant tout des formations, sans savoir parler des métiers auxquels elles mènent. C'est prendre le problème à l'envers : il faudrait faire l'inverse, et d'abord mettre les métiers en avant. Cela peut passer par une présentation des opportunités professionnelles sur un territoire donné. En Essonne, par exemple, la filière aéronautique et spatiale est en plein essor.

Mesures. Vos différentes actions visent-elles aussi à faire évoluer l'image des métiers de l'industrie ?

Alain Bao. Oui, nous essayons d'améliorer l'image des métiers industriels en montrant qu'ils sont très modernes et sophistiqués, que la technologie y est omniprésente. L'usine du futur est une excellente opportunité pour cela. Elle utilise des systèmes de plus en plus performants, elle est tournée vers l'avenir. Mais l'usine du futur, ou « Industrie 4.0 », n'est pas encore assez connue. C'est pourquoi la Faculté des métiers est partie prenante de la plateforme dédiée à l'industrie du futur, qui est actuellement en construction à Bondoufle. L'un de ses objectifs est d'accroître l'attractivité des métiers industriels auprès du public.

Les métiers de l'électrotechnique ou de l'énergétique ont une image positive, liée notamment aux questions environnementales.

Safran Cabad Capa

Mesures. En quoi consiste ce projet ? Alain Bao. Cette plateforme a vocation à répondre à la demande des industriels en termes de compétences pour le pilotage des procédés qui voient le jour dans l'industrie, et plus particulièrement dans le secteur aéronautique. Elle sera implantée au sein de la Faculté des métiers, sur le site qui héberge déjà les formations liées aux métiers de la fabri-cation. Le consortium à l'origine de ce projet réunit des centres de formation, des acteurs institutionnels et des industriels, comme Safran. Ces derniers ont des carnets de commandes remplis sur plusieurs années, mais peinent à trouver la main-d'œuvre qualifiée dont ils ont besoin. L'industrie n'est plus dans une logique de production de masse, basée sur une main-d'œuvre bon marché. Elle s'oriente plutôt vers un mode de fabrication en quantité, mais flexible et personnalisé en fonction de la demande des clients. C'est un changement de paradigme, qui devrait mener à une relocalisation. En conséquence, la formation doit évoluer avec les moyens de production. Ce lieu a pour but de reconstituer une usine équipée de machines ultramodernes. Les jeunes y seront formés à des technologies telles que la cobotique ou les procédés de fabrication additive, notamment pour les pièces métalliques. Ils seront familiarisés avec l'ensemble de la chaîne numérique, de la conception à la fabrication. L'interconnexion des machines dialoguant entre elles de manière instantanée et continue, embarquant des capteurs communicants, capables d'autodiagnostic, les produits équipés de puces RFID, la gestion des flux de données vers l'extérieur, permettant d'interagir avec les clients, ou encore les chaînes d'approvisionnement : tout cela sera abordé. Nous espérons que cette plateforme sera opérationnelle fin 2018.

Elcima À travers la nouvelle plateforme dédiée à l'industrie du futur, les apprentis pourront se familiariser avec les technologies industrielles de pointe.

Elcimaï

Mesures. Les entreprises ont-elles une influence sur le contenu des formations de la Faculté des métiers ?

Alain Bao. Nous voulons répondre aux besoins des entreprises du territoire, confrontées à des départs massifs à la retraite. Le contenu des formations peut donc évoluer en fonction de leurs besoins. Il existe bien sûr un programme officiel pour les examens, mais nous pouvons y apporter une certaine coloration selon les demandes des entreprises. Il est possible, par exemple, d'insister sur certains types de procédés de fabrication, si beaucoup des entreprises avec qui nous travaillons les utilisent. Il nous est également arrivé d'ajouter un Certificat de qualification professionnelle (CQP) à la préparation d'un bac pro, à la demande d'une entreprise. Cela a un coût et demande une organisation particulière. Mais c'est possible lorsqu'un groupe prend beaucoup d'apprentis en formation.

Mesures. Comment se passe l'insertion des jeunes dans le monde professionnel à l'issue de leur formation ? Alain Bao. Une partie des diplômés choisit de poursuivre la formation, généralement en apprentissage également, et parfois même si une opportunité d'embauche se présente. Dans le cas des bacs pro, cela représente environ la moitié des effectifs. Il arrive que certains, entrés en Dima, aillent jusqu'en école d'ingénieur ! Nous accompagnons les étudiants dès le début de leur formation, notamment pour trouver un contrat d'apprentissage. Nous proposons des ateliers pour apprendre à rédiger un CV ou une lettre de motivation, ou encore pour les familiariser aux codes de l'entreprise. D'après ce que nous avons pu mesurer à travers nos enquêtes, sur l'ensemble des formations, le taux d'insertion est d'environ 80 % un an après la fin de la formation. Si les entreprises ont recours à l'apprentissage, c'est souvent pour faire un prérecrutement de leurs futurs collaborateurs. En général, l'expérience est très positive. De plus, toute entreprise qui recrute un salarié en contrat d'apprentissage peut bénéficier de différentes aides. Cela peut avoir un impact sur les entreprises qui hésitent. Il y a un vrai gisement d'emploi dans l'industrie, qui mérite un effort d'orientation et d'information !

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