«Ladirective2013/35/UE introduitlesnotionsd'effetssensorielsetsanit aires»

Le 01/04/2016 à 0:00

Mesures.Avant d'aborder la nouvelle directive 2013/35/UE, en tant que formateur à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur ce sujet, quelle est la connaissance générale des personnes sur les champs électromagnétiques?

Patrick Moureaux. Pour beaucoup de personnes encore, les champs électromagnétiques restent un peu du domaine de la boule de cristal. On peut même avancer que les champs électromagnétiques sont à l'électricité ce que l'électricité est à la mécanique en termes de perception de la part du grand public… Il y a une énorme méconnaissance, voire des a priori forts sur le sujet. Quand les CHSCT [Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr] ou les médecins du travail me sollicitent, je vois bien que toutes ces personnes sont perdues. Les informations dont elles disposent aujourd'hui viennent de ce qu'elles lisent dans la presse généraliste ou sur Internet. Évidemment, quand on cherche « champs électromagnétiques » sur Internet, on va trouver dix pages de tout, parfois du pire (« Je suis confronté à des ondes très nocives pour la santé », la nocivité des ondes paraît acquise sans autre justification), avant d'arriver sur le site de l'INRS ou de ceux de personnes qui ont de réelles compétences sur le sujet. Du fait du déploiement de la téléphonie mobile ces quinze dernières années, il y a eu beaucoup de débats médiatisés autour de ce thème. Il ne se passait pas une semaine sans qu'il y ait un article dans la presse sur des associations ou des lanceurs d'alerte qui voulaient faire démonter des antennes. Ces personnes reprenaient des informations bien souvent sorties de leur contexte ou qui abondaient dans leur sens. Ils faisaient également référence à des études, anciennes ou parfois plus récentes, qui sont très controversées dans le milieu scientifique ou, en tout cas, qui n'ont jamais été reproduites dans des conditions similaires. À cela vient par ailleurs se greffer la notion d'hypersensibilité: certaines personnes se disent hypersensibles aux champs électromagnétiques et les employeurs sont désarmés ( voir encadré page 24 ). Évidemment, quand on est face à une source qui émet des centaines de volt par mètre (800V/m, 1000V/m, voire plus) à des hautes fréquences, en haut d'un pylône TDF ou à côté d'un dipôle de radio FM, un échauffement des parties du corps exposées peut être ressenti. De la même façon, devant une presse à souder à 27MHz, des effets connus et constatés sur le terrain ont été ressentis: les chevilles se réchauffent, par exemple, parce que les courants induits par l'exposition au champ électromagnétique sont tels que la densité de courant est suffisante pour générer une élévation de la température dans les zones de faibles sections comme les chevilles.

Mesures. Vous venez de citer trois exemples de sources électromagnétiques. Quels sont les principaux types de sources dans le domaine industriel?

Patrick Moureaux. Le groupe de travail que l'INRS anime,constitué d'ingénieurs et de techniciens provenant des centres de mesures physiques des Carsat [Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, ndlr] de toute la France a mené, il y a quelques années,une campagne de mesures sur certaines sources que l'on savait les plus exposantes. Cette étude a été définie sur la base des compétences et de l'expérience des uns et des autres, elle n'est donc pas exhaustive.Nous nous sommes focalisés sur le milieu industriel, en excluant tout ce qui était en relation avec les radiocommunications et les télécommunications - un sujet déjà étudié et débattu. Ces principales familles de sources étaient les inducteurs, les microondes industrielles, les presses HF, le soudage électrique, les magnétiseurs/ démagnétiseurs, la magnétoscopie et l'électrolyse industrielle. Il existe des appareils de diverses puissances,de diverses tailles,des petits inducteurs de table pour chauffer des roulements à billes jusqu'aux fours à induction pour cuire des pneus de 4 m de diamètre ou des inducteurs pour faire fondre de l'acier dans les aciéries. D'ailleurs, les résultats sont toujours un peu surprenants; ce ne sont pas nécessairement les plus grosses installations qui émettent le plus de champs électromagnétiques, loin de là.

Mesures. Avez-vous des exemples d'application?

Patrick Moureaux. Le cas des inducteurs est intéressant. Les petits modèles pour chauffer des roulements à billes fonctionnent à l'air libre: le courant passe dans le conducteur et, par induction, vient chauffer le roulement à billes. Il y a donc un vrai rayonnement vers l'extérieur et vers l'opérateur qui est devant l'appareil. Les valeurs limites d'exposition [on distingue les valeurs limites d'exposition (VLE) liées à des effets internes à l'organisme et les valeurs déclenchant l'action (VA) liées à des valeurs de champs externes, voir figure 1 page 25 ] peuvent ainsi être dépassées à une distance de 50cm ou 1m. Dans le cas d'un four à induction, les industriels cherchent à économiser l'énergie et font en sorte que la conception de leur four soit telle que l'énergie d'induction soit utilisée pour chauffer, et non pour être perdue à travers des champs de fuite. Dans la pratique, aucun rayonnement, ou presque, n'est mesuré à l'extérieur de ces gros fours quand ils sont fermés pendant la phase de chauffage.

Patrick Moureaux, expert en rayonnements ionisants, non ionisants et optiques au département Expertise et conseil technique de l'INRS

C. Lardière

Ingénieur électronicien de formation, Patrick Moureaux a commencé sa carrière dans la R&D en aéronautique et spatial chez Dassault Electronique. Il a ensuite été chargé de mettre en place un laboratoire de Compatibilité électromagnétique (CEM), dont il a été le responsable, au sein du groupe Apave. Patrick Moureaux a par la suite travaillé une douzaine d'années à la direction technique de Bureau Veritas, sa fonction l'amenant à prendre en charge les mesures particulières (champs électromagnétiques, électrostatiques, courants faibles, etc.). La demande croissante en matière de risques des champs électromagnétiques pour la santé l'a conduit à mettre en place un réseau d'ingénieurs compétents sur le sujet, ainsi que des laboratoires de mesure sur site accrédités par le Cofrac. En 2011, Patrick Moureaux rejoint l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) en tant qu'expert en rayonnements ionisants, non ionisants et optiques au département Expertise et conseil technique. À ce poste, il assure l'assistance auprès des médecins du travail, des préventeurs en entreprises, des Intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), des organismes de prévention, etc., ainsi que la formation auprès des services de santé au travail (médecins du travail, Caisses d'assurance retraite et de la santé au travail [Carsat]), des associations régionales de médecins…

Mesures. Revenons à l'étude menée par le groupe de travail de l'INRS… Patrick Moureaux. Les campagnes de mesures ont été effectuées par les centres de mesures physiques des Carsat, dès lors qu'ils avaient l'occasion de se rendre sur une des installations citées précédemment. C'est ainsi que nous avons eu un retour d'environ 1 500 mesures au total, lesquelles mesures sont en cours d'exploitation à l'heure actuelle. Notre objectif est de développer un outil d'évaluation simplifiée des risques, qui devrait être disponible d'ici à cet été. Étant donné que nous nous sommes focalisés sur les installations les plus exposantes, et comme les mesures récupérées ne sont pas exhaustives, nous parlons plutôt de familles d'appareils. Pour une famille donnée, on pourra alors indiquer la probabilité qu'une machine respecte les limites d'exposition ou si une évaluation complémentaire plus poussée est nécessaire (mesures in situ). Seul le résultat de cette évaluation permettra le cas échéant de déterminer quelles sont les mesures de protection et de prévention à mettre en œuvre pour réduire l'exposition (écran ou zonage à mettre en place, par exemple). Si toutes les sources que j'ai citées auparavant affichent un risque d'exposition potentiel au-delà des valeurs limites (ou valeur déclenchant l'action selon la directive), on se rend finalement compte que nombre d'industriels ont déjà avancé sur ce sujet, qu'ils s'étaient déjà un peu appropriés la directive précédente (2004/40/CE).Contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer, il a été constaté que la majorité des fours micro-ondes industriels émettent finalement très peu –ce sont des fours clos et bien blindés–, sauf en cas d'un défaut au niveau d'un joint de fenêtre ou de la porte d'accès. Seuls les fours sur un convoyeur, par exemple en agroalimentaire pour cuire des gâteaux, peuvent peut-être poser un problème, du fait de la présence d'un espace libre à l'entrée et à la sortie du convoyeur, espace qui représente alors une communication possible entre l'intérieur et l'extérieur du four.

Il y a une énorme méconnaissance, voire des a priori forts sur le sujet. ” Patrick Moureaux

Mesures. Intéressons-nous maintenant à la directive 2013/35/UE du 26 juin 2013 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé pour les travailleurs exposés à des champs électromagnétiques. Quelles sont les raisons qui ont amené à ce changement?

Patrick Moureaux. Dans les grandes lignes, disons que le milieu médical et plus particulièrement les utilisateurs d'IRM [Imagerie par résonance magnétique, ndlr], ont considéré que les limites en champ statique fixées par la directive 2004/40/CE ne leur permettraient plus d'utiliser ces installations. Il ne s'agissait pas des personnels situés au poste de commande, mais de ceux amenés à travailler tout près de l'IRM (personnel d'entretien, médecins et assistants médicaux devant faire de la contention ou être à côté d'un enfant, d'un patient agité). Des opérations chirurgicales sont également pratiquées sous IRM. Le personnel médical se retrouve alors autour du patient qui est sous l'IRM, avec la tête tout près du centre de l'anneau magnétique. Il est alors possible de percevoir des effets de type sensoriels qui peuvent être préjudiciables en fonction de l'activité. En 2009, l'ICNIRP [ International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection,ndlr ] avait mis à jour les limites d'exposition sur la base de nouvelles études, c'est notamment pour l'ensemble de ces raisons que la directive a été revue pour fixer des valeurs limites d'exposition plus élevées… La directive de 2004 s'appuyait sur des connaissances et des études qui remontaient aux années 1990 et, en une vingtaine d'années, des apports assez importants ont été faits.

Mesures. Pouvez-vous nous en dire plus sur les effets sensoriels évoqués précédemment?

La notion d'hypersensibilité…

Mesures. Des employeurs sont désormais confrontés à des personnes se disant hypersensibles aux champs électromagnétiques…

Patrick Moureaux. Il s'agit aujourd'hui d'un vrai sujet. On sait que les souffrances de ces personnes se disant hypersensibles sont réelles. Personne ne les remet en question. On dénombre d'ailleurs plusieurs dizaines, jusqu'à 80 symptômes déclarés par ces mêmes personnes (problèmes de concentration, de sommeil, maux de tête, fébrilité…).

Mesures. Qu'en est-il réellement? Patrick Moureaux. À ce jour, il n'a pas pu être démontré, au travers de différentes études menées bien souvent en double aveugle, que le groupe des personnes hypersensibles soit capable de détecter des champs plus forts, ou plus faibles, que le groupe témoin des personnes qui se disent ne pas être hypersensibles. En d'autres termes, il n'a jamais pu être démontré que qui que ce soit soit capable de détecter, de percevoir la présence d'un champ électromagnétique d'un niveau courant (ambiance de bureau, ambiance de travail normale), et les résultats des études tendent à avancer qu'il n'y a pas de relation de cause à effet entre la présence d'un champ électromagnétique faible et la perception des effets mentionnés. D'ailleurs, sur ce sujet particulier, les études se poursuivent.

Patrick Moureaux. La directive de 2004 et celle de 2013 ne traitent que des effets avérés sur la santé, ceux qui sont connus, démontrés et prouvés. Il en existe trois familles différentes: deux catégories d'effets potentiellement dangereux au plan sanitaire et une famille d'effets sensoriels. On trouve les effets sensoriels dans plusieurs zones du spectre électromagnétique. En champs statiques, notamment près des gros aimants, tels que les gros électro-aimants et les IRM (3 T ou plus). Quand on se déplace dans un champ statique et du fait que le corps humain est conducteur, il va être le siège de courants induits qui vont stimuler le système nerveux, en particulier si la tête est exposée lorsqu'elle est en mouvement. Les effets sensoriels, qui peuvent être des nausées, des vertiges, la sensation de goût métallique dans la bouche, n'apparaissent qu'à partir d'une vitesse de déplacement de l'ordre de 1m/s. Des effets sensoriels peuvent aussi être ressentis pour des fréquences comprises entre 1 Hz et 400Hz,les sources concernées sont essentiellement celles liées à l'énergie électrique (le 50 Hz) : par exemple, les câbles d'alimentation des grosses installations (au-delà d'un certain courant). Ces effets sont les phos-phènesrétiniens,c'est-à-dire la perception de taches blanches à la périphérie de la vision - cela peut être éventuellement gênant - , et la perte momentanée de certaines fonctions cognitives. Un dernier effet sensoriel apparaît, lui, en très haute fréquence (de l'ordre du gigahertz), en relation avec les champs impulsionnels uniquement. Ce sont donc surtout les applications radars qui vont être concernées. Cet effet se traduit par ce que l'on appelle le clic auditif, c'est-à-dire la perception d'un clic, d'un grésillement ou d'un claquement dans le conduit auditif. Ce clic est attribué à l'expansion thermoélastique au niveau de la zone auditive du cortex cérébral. Cet effet sensoriel pourrait se transformer en effet sanitaire s'il était répétitif ou si la personne y est exposée trop longtemps.

Mesures.Qu'en est-il des effets potentiellement dangereux pour la santé?

Patrick Moureaux. Les effets potentiellement dangereux au plan sanitaire sont les effets ayant un risque de contractions des muscles, y compris du muscle cardiaque, un risque de stimulation électrique du système nerveux central et périphérique (les fréquences concernées sont comprises entre 1Hz et 10 MHz), ainsi que les effets thermiques, c'est-à-dire qui provoquent l'échauffement des tissus du corps humain (fréquences entre 100kHz et 300GHz). Il y a donc une zone de recouvrement de ces deux effets entre 100kHz et 10MHz. Si l'effet de stimulation est immédiat - il n'y a pas de durée d'exposition-, ce n'est pas le cas avec l'effet thermique. On comprend aisément que notre corps, du fait de la thermorégulation liée à la circulation sanguine et de la surface d'échange avec le milieu extérieur, a une certaine capacité d'évacuer les calories. Si un échauffement des tissus est provoqué par le champ électromagnétique, il va s'établir une sorte de lutte entre notre capacité à évacuer les calories et l'apport d'énergie qui tend à nous réchauffer. L'effet sur la santé intervient en fait en cas de déséquilibre et du dépassement d'une certaine température. Un dépassement se traduisant par l'élévation de la température du corps entier de l'ordre de 1°C et pour une exposition d'une durée de 6min est considéré comme excessif. À cela s'ajoute également une notion de zone d'exposition. Les valeurs limites d'exposition sont données pour le corps entier, mais aussi pour les membres, les extrémités. Nous verrons ultérieurement que cette notion est importante lors de l'évaluation des risques. Si l'on se trouve suffisamment loin d'une source, on peut considérer que l'on est uniformément exposé. Si l'on est en revanche très proche d'une source (juste en dessous d'une source en hauteur), le niveau de champ électromagnétique au niveau de la tête va être nettement plus important qu'au niveau du tronc et encore plus important qu'au niveau du bassin, compte tenu de la décroissance rapide du champ avec la distance. Dans ce cas, si l'on veut comparer l'exposition globale par rapport à une valeur limite donnée pour le corps entier, il va falloir réaliser un moyennage spatial des mesures effectuées sur le volume occupé par le travailleur. Rappelons que l'avantage avec les champs électromagnétiques est qu'ils décroissent très rapidement avec la distance (en 1/d, voire 1/d 2 ou 1/d 3 , selon la géométrie de la source).

Mesures. Vous parlez de valeurs limites, cela signifie qu'il existe des seuils…

Patrick Moureaux. Effectivement, tous les effets thermiques et de stimulation sont des effets à seuils. En dessous du seuil, rien ne se produit ; au-dessus, l'effet apparaît. Comme on parle ici d'effets internes à l'organisme, un coefficient de sécurité est appliqué sur ces seuils, pour aboutir à la notion de valeur limite d'exposition (VLE) décrite dans la directive. Ou également de valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP). Ces VLE sont donc toujours internes à l'organisme, qu'elles soient pour la stimulation du système nerveux central et périphérique ou pour les effets thermiques. Pour ces derniers, la VLE est d'ailleurs également appelée densité d'absorption spécifique (DAS) et se mesure en watt par kilogramme de tissu biologique. On calcule ensuite, par simulation, le champ électrique ou magnétique externe qui est à l'origine du champ électrique ou du DAS interne générant l'effet, au coefficient de sécurité près - on a donc une marge par rapport au seuil. Les valeurs de champs externes ainsi obtenues, qui sont donc mesurables au niveau d'un poste de travail, sont appelées valeurs déclenchant l'action (VA).

Mesures. Que vont devoir désormais prendre en compte les industriels avec la directive 2013/35/UE?

Patrick Moureaux. Les notions de valeurs internes (VLE) et de valeurs externes (VA) existaient déjà dans la directive 2004/40/CE, mais des nuances ont été ajoutées dans la nouvelle directive. Pour la partie basse du spectre, c'est-à-dire des fréquences comprises entre 1Hz et 10MHz, elle introduit des valeurs limites sanitaires et des valeurs limites, plus basses, pour protéger des effets sensoriels. Dans la directive de 2004, il n'existait qu'une seule valeur limite pour couvrir ces deux types d'effets. Les valeurs limites pour les effets thermiques n'ont, quant à elles, quasiment pas été modifiées: une VA égale à 140V/m à partir de 2GHz,au lieu de 137V/m,par exemple. En basses fréquences, et plus particulièrement autour du 50Hz, laVA a été très franchement relevée: de 500µT à 1mT pour laVA des effets sensoriels et 6mT pour laVA des effets sanitaires.Autant il y avait des situations à risque sur la base de la directive 2004/40/CE, autant on ne va presque plus trouver de telles situations avec la nouvelle directive, mais le 50Hz est une source d'émission omniprésente dans les environnements de travail et il conviendra d'en tenir compte. S'il ne s'agit que de l'éclairage, de la climatisation et des câbles électriques dans nos bureaux, le risque est inexistant. Mais les personnes travaillant en milieu industriel peuvent être confrontées à des courants de plusieurs centaines ou milliers d'ampère, d'où des champs magnétiques très élevés à proximité. Puisqu'il est très difficile d'atténuer, de blinder des sources de champs magnétiques à 50Hz, on ne peut jouer en général que sur la distance. Cela veut dire que les techniciens intervenant en haut de pylônes à très hautes tensions doivent mettre en œuvre des méthodes de travail spécifiques pour diminuer leur exposition. Il faut savoir que l'on n'a pas aujourd'hui de retours concernant des maladies professionnelles. Nous avons été capables de démontrer qu'il existe des effets sanitaires sur la base d'études in vivo et in vitro; nous savons qu'un certain nombre de personnes ont été très exposées, voire surexposées si l'on prend les valeurs limites mentionnées dans les deux directives; mais, mis à part des échauffements ou des brûlures, des cas d'électrostimulation dans les basses fréquences n'ont encore jamais été signalés à ma connaissance.

Mesures. D'autres différences existent-elles entre les deux directives?

Patrick Moureaux. En ce qui concerne les effets sensoriels, ils ne sont pas dangereux, en tout cas pas autant que les effets sanitaires. Mais la directive 2013/35/UE introduit la notion de risques pour la sécurité, que je trouve d'ailleurs très intéressante. Il faut com-prendre par là que, si un travailleur ressent un effet sensoriel, un vertige par exemple, alors qu'il est en train d'utiliser un outil coupant ou qu'il travaille en hauteur, cela peut conduire à une situation dange-reuse pour lui-même et/ou pour les autres personnes à proximité. Lorsqu'une entreprise fera l'analyse des risques, elle devra donc se poser des questions sur la situation de travail pour intégrer ce risque. Une autre notion que l'on trouve désormais dans la nouvelle directive est celle de dérogation. Les États membres peuvent en effet mettre en place trois types de dérogations différents. Le premier concerne les IRM. C'est une dérogation de fait, c'est-à-dire que les entreprises ne sont pas obligées de la demander… sous réserve de démontrer que la valeur limite d'exposition est dépassée, sous réserve de justifier que tous les moyens ont été mis en œuvre pour éviter que les personnes soient exposées à des valeurs de champs supérieures aux VLE (éloignement, blindage, méthodes de travail, information des personnes, limitation du temps d'exposition, etc.) et sous réserve que le dépassement est temporaire. La deuxième dérogation concerne les installations militaires. Les militaires pourront ainsi ne pas répondre à la nouvelle directive, s'ils ont mis en place un système amenant à des résultats équivalents en termes de protection des travailleurs. La troisième dérogation est celle qui nous intéresse le plus: une installation dans un secteur spécifique pourra faire l'objet d'une dérogation, si l'employeur peut démontrer que laVLE interne est dépassée, qu'il a tout mis en œuvre en termes de protection et de prévention. À ce moment-là, l'État membre peut autoriser un dépassement temporaire des VLE. C'est ce que dit la directive, mais je ne sais pas comment les États membres - la DGT [Direction générale du travail, ndlr] en France-vont transposer ces dérogations,sachant qu'il s'agit d'exigences minimales. Est-ce que ce seront des dérogations au cas par cas? Est-ce que ce sera l'inspection du travail qui délivrera cette déro-gation?Est-ce que ce sera une dérogation sectorielle? En tout cas, la directive 2013/35/UE (article 10) ouvre cette possibilité encadrée pour des installations spécifiques, mais le fait de dépasser lesVLE, sans aller jusqu'aux valeurs seuils, signifie que l'on grignote sur le coefficient de sécurité. En tant que pré-venteur, j'ai plutôt tendance à dire: « Si l'on peut réduire le champ électromagnétique, faisons-le. » Ce qui risque de se passer est que ceux qui auront les moyens (les grandes entreprises) pourront vérifier le respect desVLE et que les autres (micro-entreprises, PME et ETI, soit quand même environ 70% des salariés) n'auront pas facilement accès à cette vérification et devront respecter les VA qui sont un peu plus contraignantes. Fort heureusement, dans la grande majorité des situations de travail, la réduction de l'exposition sera simple à mettre en œuvre et à moindre coût.

La majorité des fours micro-ondes industriels émettent finalement très peu, sauf en cas d'un défaut. ” Patrick Moureaux

Mesures. Savez-vous quand la nouvelle directive sera transposée en droit français?

Patrick Moureaux. La réponse à cette question ne dépend pas de moi, mais des services de l'État en charge de cette transposition. Compte tenu de l'avance-ment des travaux en cours, je pense que la DGT fait tout son possible pour tenir le délai du 1 er juillet 2016. Si le texte qui sera présenté en Conseil d'état est «retoqué», il faudra compter un délai supplémentaire.

Mesures. Est-ce que les entreprises auront droit à une période de transition?

Patrick Moureaux. Là non plus, je ne sais pas. C'est lorsque la directive sera transposée qu'on en saura plus sur les valeurs limites fixées, les dérogations, les informations d'ordre juridique, la date de mise en application, etc.

Mesures. En résumé quelles conséquences la directive 2013/35/UE entraîne-t-elle pour les industriels?

Patrick Moureaux. Comme pour tous les autres risques, les industriels devront faire l'analyse des risques, en identifiant en plus les sources de champs électro-magnétiques. Quand on est candide sur le sujet, cela peut déjà poser question. La directive dit clairement que, pour l'évaluation des risques, l'employeur va pouvoir s'appuyer, en premier lieu, sur des bases de données documentaires. Il existe un guide européen, qui vient d'ailleurs d'être traduit en français, et qui liste, par secteurs d'activité (télécommunications, bureaux, industries légères, industries lourdes, médical) un certain nombre de sources ou de familles de sources. Pour chacune d'entre elles, le guide indique, d'une manière simple, les sources à risque, ou pas, pour les travailleurs sans risques particuliers, les travailleurs à risques particuliers hors porteurs d'implants (les femmes enceintes, les gens qui suivent un traitement médical spécifique) et les porteurs d'implants actifs - les implants actifs sont à l'origine d'un risque à prendre en compte, car ils peuvent dysfonctionner pour des champs électromagnétiques plus faibles que ceux générant les effets biologiques (voir la brochure de l'INRS ED4206 sur les stimulateurs cardiaques). Quand la source est considérée comme pouvant présenter un risque, le guide indique qu'il faut faire une évaluation complémentaire. Ce guide est un vrai outil aidant les entreprises à traduire simplement et rapidement le risque électromagnétique en actions simples.

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