«Les communications M2 Msont en pleine mutation »

Le 01/05/2013 à 0:00

Mesures.Y a-t-il encore aujourd'hui des limites technologiques au développement des communications entre machines (M2M)?

Christian Bonnet. il y a une multitude d'acteurs dans le monde du m2m, qui interviennent dans trois grands domaines. D'abord, les appareils au sens large, destinés à récolter des mesures : les capteurs, réseaux de capteurs, ou encore les passerelles faisant de la médiation de protocole. Ensuite, le réseau, qui transporte les données, puis les applicatifs, les logiciels qui les exploitent. Dans chacun de ces domaines, il existe des solutions déjà matures, mais aussi des limitations. La problématique la plus commune est de trouver pour chaque type d'application une solution dans chacun de ces domaines pour constituer une chaîne efficace. il n'y a pas de limitations fondamentales pour cela aujourd'hui, si l'on considère chaque application de façon indépendante. Bien sûr, il est toujours possible de trouver des solutions plus performantes que d'autres dans un domaine donné. mais la multiplicité des applications et des types d'appareils à gérer pose une limite: un modèle ne peut pas être répliqué d'une application à l'autre. L'enjeu est donc de fédérer ces solutions hétérogènes plutôt que de rester sur des solutions ad hoc, car il est coûteux de bâtir des interfaces propriétaires pour chaque domaine d'application. Comment récupérer des données hétérogènes, et les mettre en commun pour des fins différentes ? Cette même préoccupation s'était présentée avec les réseaux mobiles, dont la première génération était orientée sur la téléphonie. Les différentes applications restaient dans un même cadre, jusqu'à l'arrivée de la transmission de données, qui a fait évoluer l'architecture.

Mesures. Peut-on envisager une infrastructure universelle pour les communications M2M?

Christian Bonnet. C'est le rêve des personnes travaillant à l'élaboration des standards: l'application irait chercher ses informations sur une infrastructure d'accès qui cacherait la spécificité des appareils, pour ne plus être dépendant de ce choix, ou de celui de la passerelle réseau. Ce défi impliquerait la mise en place d'une couche d'abstraction, de mécanismes supplémentaires. Un tel système simplifierait la partie logicielle, mais les mécanismes sous-jacents seraient alors plus lourds à intégrer. L'enjeu technique est de fédérer les différentes sources d'informations pour des applicatifs différents, et uniformiser les moyens d'y accéder ainsi que les formats. Cela reste un défi. De plus, il n'y a pas de consensus à ce sujet: vaut-il mieux une solution directe, ou se mettre dans un moule plus général au prix de solutions techniques plus compliquées?

Mesures. Les standards sont-ils encore sujets à discussion, ou sont-ils bien implantés?

Christian Bonnet. Les organismes de standardisation sont régionaux : l'ETSi (institut européen des standards de télécommunications) a un rayonnement fort en Europe, mais pas jusqu'en Chine, ou ailleurs. Cet organisme a recensé plus de 140 organisations concernées par les standards m2m : c'est une grande dispersion. Or, si chaque région du monde adopte un standard différent, dans le marché global, tout le monde est perdant. Les industriels s'organisent donc en forums pour harmoniser ces standards et éviter les compétitions.au sein d'un même territoire, on peut très bien avoir également des perspectives différentes. Un industriel peut mettre au point une solution ad hoc dont il sera propriétaire. il existe une multitude de standards de fait, selon les domaines applicatifs. Pour la domotique, par exemple, pour contrôler avec des capteurs la température ou les intrusions, il est une multitude de solutions normalisées qui se sont impo-sées. L'évolution se fait beaucoup depuis des solutions filaires vers le sans-fil, comme le Zigbee, 6LoWPaN. Le marché fait que certains sont plus populaires que d'autres. Cet enjeu n'est pas capital : on n'attend pas une norme révolutionnaire qui unifierait tout. L'enjeu est plutôt de fédérer facilement ces différents standards.

Mesures. Le standard IP pourrait-il servir à la plupart des applications?

Christian Bonnet. Ce standard a un intérêt lorsque l'appareil est intelligent. On peut considérer certains objets comme de petits ordinateurs, sans la lourdeur des systèmes d'exploitation, mais capables de comprendre des protocoles d'accès comme l'iP. Les caméras de surveillance en sont un exemple classique aujourd'hui. mais si l'on utilise un détecteur d'intrusion dont le rôle sera simplement d'indiquer s'il est activé ou pas, il n'y a pas besoin de cette intelligence. Un historique des standards s'est imposé de fait, on ne peut donc pas imposer que tous les capteurs d'un bâtiment soient adressables en iP. L'objectif serait plutôt de trouver des solutions capables de regrouper des objets intelligents et d'autres qui le sont moins, et ne sont pas adressables avec l'iP. il est possible d'envisager plusieurs niveaux, pour rassembler d'abord les données d'une première série de capteurs, par exemple. Cela représente tout un pan d'activités industrielles, qui vise à préciser le rôle des passerelles. Doivent-elles simplement faire de la conversion de format entre protocoles, ou faire des traitements localement sur les données reçues avant de les traduire? Le cas échéant, quels traitements doivent-elles appliquer? Ces questions techniques ont un impact sur le marché. Leur normalisation essaie de capter les différents intérêts. Le standard devra être large, mais sans dire que tous les capteurs doivent être intelligents. À chacun de respecter cette interface, les industriels ne souhaitant pas utiliser de standards pourraient alors garder leurs propres formats et empaqueter leurs données.

Christian Bonnet

Christian Bonnet est chercheur et professeur à EURECOM, école d'ingénieur et centre de recherche en télécommunications de la technopole de Sophia Antipolis. Il travaille notamment sur les protocoles pour la gestion de la mobilité et des accès radio.

DR

Mesures. Est-il nécessaire d'intégrer dès maintenant la norme IPV6?

Christian Bonnet. il n'y a pas de spécificités propres aux applications m2m à ce sujet. Ce développement est inéluctable du fait de la pénurie d'adresses iPV4. Si l'on imagine à l'avenir surtout des appareils intelligents, ce qui est le but de l'internet des objets, l'iPV6 servira à adresser individuellement ces composants. aujourd'hui, ce standard continue sa pénétration dans le domaine des réseaux. Cette vague est importante mais je n'ai pas encore rencontré d'industriel déjà prêt à abandonner complètement l'iPV4. La prise en compte devrait se faire naturellement: si une passerelle prend en charge cette norme, cela résout une partie du problème sans rien changer aux capteurs. Comme les ordinateurs, certains composants vont passer petit à petit à l'iPV6. mais si un industriel met au point un nouvel objet intelligent, doit-il dès aujourd'hui le rendre compatible avec l'iPV6 ? Certains y réfléchissent, mais ce n'est pas évident. C'est la philosophie du standard 6LoWPaN, mais je ne perçois pas que cette contrainte soit prise en compte de façon généralisée.

Mesures.Quelle est l'importance des solutions en cloud computing dans ce contexte?

Christian Bonnet. il est extrêmement important de savoir comment un applicatif particulier va récupérer les données. On retrouve cette problématique pour toutes les applications. Où seront-elles stockées? C'est un problème technique en soi. La réponse dépend de ce que l'on veut obtenir, s'il faut gérer un historique, s'il faut faire des calculs importants, pour avoir par exemple une température moyenne. La solution des passerelles est efficace à petite échelle. mais pour des applications qui nécessitent un traitement plus lourd des données, les solutions de type cloud qui arrivent dans le monde du m2m constituent une révolution.Elles aident à gérer un parc étendu de passerelles, ou à stocker de grandes quantités de données. Celles-ci sont alors dématérialisées: on n'interroge plus une base de données sur un boîtier en particulier. Les applicatifs doivent être capables de gérer ce type d'interface. il s'agit d'interagir avec des services web plutôt que des interfaces propriétaires. C'est une tendance lourde, qui mène vers des services uniformisés. Cela concerne à la fois les applicatifs et les passerelles, qui peuvent transmettre leurs données à travers un schéma de services web. Ce sont des techniques générales, indépendantes de l'application. Là aussi, il est possible de garder des protocoles propriétaires et de les empaqueter afin de les orienter vers les protocoles du web.

DR Inaugurée en février, la plate-forme Com4Innov permet aux académiques, comme EURECOM, et aux entreprises de tester leurs composants M2M au sein d'un réseau industriel.

Mesures. Quelles autres évolutions technologiques pourront gagner le M2M ces prochaines années?

Christian Bonnet. Des équipes d'EURE-COm travaillent sur le web sémantique. Le but est de mettre au point des applicatifs intelligents capables d'interconnecter les données récoltées. Pour cela, on leur donne du sens en ajoutant une “décoration sémantique”. Si l'on relève un chiffre, à quoi cor-respond-il?Est-ce une température? Quelle est son unité? Où a-t-elle été relevée? Est-elle normale selon le contexte? Cet aspect sémantique, selon nous, va réellement se développer, et permettre d'interconnecter plusieurs domaines d'applications entre eux, pour traiter les informations automatiquement et de façon pertinente. C'est un mouvement de fond, qui s'observe déjà par exemple dans le domaine de l'énergie, où l'on croise des mesures avec des données publiques pour réguler la consommation. mais on peut également imaginer à l'avenir que des informations contenues dans l'étiquette RFiD d'un produit soient transmises à un client en fonction de son profil, afin de l'informer par exemple de la présence de substances auxquelles il serait allergique. L'ETSi a commencé à travailler sur la standardisation de la mise en œuvre de règles sémantiques dans les données du m2m.

Mesures.Quel intérêt présente l'arrivée de la 4G pour les applications M2M?

Christian Bonnet. Tout un pan de l'activité industrielle considère que faire remonter des données par le domaine réseau est une solution facile à mettre en place. Pour envoyer de petites données avec de longs intervalles, on utilise généralement la radio grâce à un module GPRS. Le SmS est également très utilisé. Les composants nécessaires sont bien connus, peu chers, et nécessitent peu de bande passante. mais dans certaines conditions, ce système montre ses limites. Dans une structure mobile, par exemple, il faut parfois transmettre une position de façon très fréquente. Si l'on utilise des applicatifs plus intelligents qui traitent les données, et que l'on veut envoyer le résultat de leurs calculs, on change de dimension: l'utilisation sporadique du GPRS ne suffit plus forcément. L'augmentation du débit, en revanche, n'a pas la même importance pour le m2m que pour le grand public, qui télécharge des quantités de données beaucoup plus importantes. Cette évolution générale suit celle du réseau fixe. mais si, comme les analystes de marché le prévoient, le m2m se développe énormément dans le futur, nous verrons une densification du trafic de données qui y est lié. La génération précédente, la 2G, aura du mal à la prendre en charge. C'est encore de la prospective. Cette difficulté se présente rarement aujourd'hui. mais on peut imaginer que si l'on installe des capteurs autour du périphérique parisien, par exemple, pour récolter des informations aux heures de pointe, quand les gens quittent le travail et se mettent à utiliser leur téléphone portable, la bande passante qui restera pour les données pourrait être insuffisante, précisément au moment où l'on en aura besoin. La 4G devrait normalement répondre à ce problème. Enormément de PmE travaillent dans le m2m et doivent être très réactives sur un marché mouvant. Doivent-elles garder les solutions qu'elles maîtrisent, ou faire le saut vers la 4G? Le problème des fréquences les poussera également vers cette nouvelle norme. Certains opérateurs ont déjà demandé à convertir leurs fréquences consacrées aujourd'hui à la 2G. Les utilisateurs m2m craignent déjà que leurs modules ne soient plus valides. Cela leur force la main, mais c'est inéluctable : à terme, les fréquences 2G vont disparaître pour être mise au service de la 3G et 4G.

Mesures. Les standards liés à la 4G sont-ils aujourd'hui bien définis?

Christian Bonnet. il y a un ensemble de discussions à ce sujet. On parle en réalité de réseau LTE, pour Long term Evolution . Des modifications sont intégrées au fil des versions successives. Dans les prochaines, une partie sur les communications de type machines fera son apparition, afin que le trafic m2m soit mieux servi par ce réseau. il s'agit de savoir comment acheminer au mieux ces informations dont le profil est différent des autres communications. Du point de vue recherche, il faut définir si les mécanismes fondamentaux de cette norme doivent être remis en question pour cela. On peut citer notamment le problème de la latence, abordé par le projet européen LOLa, pour LOw LAtency , auquel participe mon laboratoire. Cela concerne une petite partie du m2m: le délai de récolte de la donnée n'est pas important si l'on veut par exemple connaître la température moyenne d'une ville. Qu'elle soit reçue en 10 secondes ou 3 millisecondes ne fait pas de différence. mais c'est le cas pour d'autres applications, comme les consoles de jeux vidéo portables. Les commandes doivent interagir extrêmement rapidement avec une application en ligne. Les standards sont-ils adaptés pour cela? C'est une problématique nouvelle, car ces domaines d'application étaient impensables auparavant avec le GPRS.

Mesures.Lescapteurseux-mêmesauraient-ils un intérêt à communiquer en 4G?

Christian Bonnet. Certaines personnes mettent au point des réseaux maillés de capteurs de cette façon, avec de la redondance. Des objets intelligents, comme une caméra, peuvent mériter une interface 4G. En revanche, pour un interrupteur de lumière, par exemple, l'intérêt est encore loin d'être évident. mais lorsque l'on dispose d'une interface radio très versatile comme celle-ci, en cas d'usages multiples, on se demande toujours si l'on a trouvé le Saint Graal, qui pourrait remplacer tout le reste. L'histoire montre que la méthode universelle n'existe pas. mieux vaut accepter l'hétérogénéité, et la gérer à tous les niveaux, quitte à garder des méthodes cloisonnées. En général, le problème est surtout d'acheminer les données jusqu'à un “puits” qui, lui, pourra les retransmettre à plus grande échelle grâce à la 4G.

Mesures. EURECOM a participé àlacréa-tion de la plate-forme Com4Innov, inaugurée en février. Quel est son objectif?

Christian Bonnet. Cette plate-forme est dédiée à la fois au domaine du m2m et à l'application de la 4G. Elle propose un vrai réseau stabilisé, avec des composants répondant aux contraintes industrielles, contrairement aux développements habituellement menés en laboratoire. C'est un «terrain de jeu » destiné aux expérimentations, dans lequel il est possible de venir se greffer à chaque étage du réseau, à tous les maillons de la chaîne, et de surveiller précisément le fonctionnement de l'ensemble. il est ainsi possible d'y tester un composant pour l'interconnexion de stations relais avec le cœur du réseau, aussi bien qu'un serveur applicatif.Tout cela serait difficile à mettre en place sur un véritable réseau commercial. Cela nécessiterait un accord avec un opérateur qui en verrait l'intérêt et accepterait le risque. Com4innov n'a pas de clients à servir. La plate-forme peut donc être mise à mal pendant quelques jours suite à l'expérimentation d'un composant sans que cela porte à conséquences. La structure est associative, et ouverte à tous les nouveaux participants. Elle héberge un ensemble de projets, menés par des universitaires comme par des entreprises, notamment par l'intermédiaire du pôle de compétitivité Systèmes Communicants Sécurisés (SCS). EURECOm participe par exemple au projet WLbox4G, qui a pour objet de concevoir une plate-forme m2m destinée à fédérer plusieurs applications et moyens de communications pour une interface unique 4G.

Les communications M2M seront prises en compte dans les prochaines versions des standards 4G. ” Christian Bonnet

Mesures. Quelle est la différence avec Open-air Interface?

Christian Bonnet. Cette plate-forme a été mise en place par EURECOm à partir de 1998. Elle se situe plus en amont que Com4innov, et sert essentiellement à étudier le lien d'accès radio. On peut y voir le comportement de flux applicatifs, expérimenter de nouveaux schémas de transmission radio, ou des stratégies d'algorithmes enfouis pour améliorer leur qualité. Pour la 4G, ce système permet par exemple d'identifier des problèmes de transmission de l'information entre terminaux et relais radio. Nous testons ainsi des systèmes qui feront partie des prochaines évolutions de la 4G, mais sans avoir encore la robustesse du produit commercial, auquel on ne se substitue pas. Nous pouvons nous concentrer sur un ensemble de fonctions sans considérer l'ensemble des problèmes.Tous les développements y sont faits de façon ouverte, en open source , au contraire de Com4innov où chaque composant est opaque. Nous avons des accords avec l'aR-CEP sur la mise à disposition temporaire de fréquences pour faire des transmissions réelles.Tout le monde y a accès. Nous avons des partenaires académiques, mais également industriels, comme le réseau Bell Labs d'alcatel-Lucent.

Mesures. Quelle différence d'approche observez-vous entre les universitaires et les industriels?

Christian Bonnet. Ce n'est pas spécifique au m2m, mais d'un côté, le milieu de la recherche se doit d'être prospectif et en rupture, de l'autre, les entreprises avancent de manière pragmatique, avec des soubresauts liés au marché, et des horizons beaucoup plus courts. EURECOm a toujours pris en compte l'interconnexion entre ces deux mondes. Nous devons à la fois garder un œil sur les avancées technologiques de rupture et sur ce qui existe déjà dans l'industrie.Nous essayons d'éviter l'écueil d'être déconnectés de la réalité, de passer à côté d'une solution existante et de réinventer la roue lorsque des systèmes fonctionnent déjà. il nous faut collaborer avec les entreprises pour étalonner la recherche,et influer sur l'industrie pour faire évoluer les standards. Parfois, cela se fait de façon souple, parfois moins. C'est là tout l'intérêt d'une structure comme EURECOm.

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