Les PME de l'IAA rattrapent les grands groupes en performance énergétique

Le 01/03/2016 à 0:00

D epuis six ans, l'Observatoire de la maturité énergétique des industriels de l'agroalimentaire suit l'évolution du premier secteur d'activité industrielle à l'échelle nationale, au travers d'une étude annuelle détaillée de l'Institut Okavango, association à but non lucratif créée par Okavango-energy ( voir Mesures n° 870 ). Les objectifs de cet observatoire sont triples : il s'agit d'évaluer l'importance accordée à l'efficacité énergétique par les entreprises de l'industrie agroalimentaire, de mettre en lumière les différences de maturité entre les secteurs et les typologies d'entreprises et, enfin, d'identifier les axes de progrès et les meilleures pratiques à généraliser.

Le secteur de l'industrie agroalimentaire (IAA) est le premier secteur en France en termes de chiffre d'affaires avec un montant cumulé de 165,1 milliards d'euros en 2012.Il employait à l'époque 425000 salariés dans 13500 entreprises, dont plus de 70% d'entre elles regroupaient moins de 10 personnes. Le solde commercial de l'industrie agroalimentaire est positif, à 9,2 milliards d'euros (toujours en 2012) au lieu de 8,1 milliards l'année précédente. Du point de vue énergétique ( voir figure 1 ), l'industrie agroalimentaire est le deuxième secteur le plus consommateur en France (16%), après l'industrie chimique (26%) et talonné par la sidérurgie (15%).

Pour les entreprises de l'agroalimentaire de plus de 10 salariés, l'énergie coûte plus de 2,6 milliards d'euros, soit près de 1,6% de leur chiffre d'affaires. Mais, au sein du secteur, de nombreuses disparités sont observées. La consommation énergétique d'un secteur dépend en effet à la fois de l'importance de son activité et de l'intensité de sa consommation d'énergie. Les 0,8% des entreprises les plus énergie-intensives représentent ainsi 33% des consommations énergétiques de l'ensemble de l'industrie agroalimentaire (1) .Ces entreprises, parmi lesquelles on retrouve notamment les industriels de la transformation des produits amylacés et du sucre (soit 31 sites industriels), n'ont volontairement pas été intégrées dans les résultats de l'enquête.Sur les dix dernières années, ces industriels ont fortement investi dans ce domaine et utilisent notamment la cogénération «vapeur/électricité». Sur la majorité des sites, les industries du sucre et de l'amidon produisent par cogénération de l'électricité qu'elles auto-consomment (elle représente respectivement 7% et 10% de l'énergie totale consommée).

Avant de s'intéresser aux résultats de l'enquête 2015 de l'Institut Okavango, rappelons que l'étude nationale représentative du secteur est focalisée sur les entreprises de plus de 10 employés, quelle que soit leur localisation géographique. L'enquête 2015 a été menée sur un large échantillon de 1338 sites qui représentent 66% de la consommation d'énergie du secteur en 2015. Les informations ont été recueillies selon trois modes de consultation différents: 41% par des visites sur site, 30% par des entretiens téléphoniques et 29% par une consultation sur Internet. L'évaluation des réponses, quant à elle, est basée sur le Leanergy Index. Cet outil développé par Okavango permet de mesurer la maturité énergétique des industriels, à travers les huit leviers majeurs qui ont un impact sur la facture énergétique, ainsi que de comparer d'une manière pertinente des industriels exerçant dans des secteurs d'activité différents.En prenant une photo à date,cela permet de positionner les industriels les uns par rapport aux autres et notamment par rapport aux best performers , de manière à définir des axes de progrès.

La maturité moyenne de l'IAA progresse

Le premier enseignement que l'on peut tirer de l'enquête 2015 de l'Institut Okavango porte sur la maturité de l'industrie agroalimentaire. La maturité moyenne de ce secteur progresse, cette année encore ( voir figure 2 ). Comme en 2014, seules 6% des entreprises ne sont pas passées à l'action - ce qui correspond à une note inférieure à 4. En revanche, les résultats montrent une bonne progression du nombre d'entreprises ayant adopté une démarche d'amélioration continue (note supérieure à 10). Alors qu'elles ne représentaient que 12% en 2014,elles comptent en effet pour 15% cette année. Ainsi, de plus en plus d'industriels de l'agroalimentaire recherchent l'excellence en matière de performance énergétique grâce à une démarche structurée. Le reste des entreprises (79%) réalise des actions ponctuelles,mais n'a pas de plan d'action systémique.

L'«Optimisation technique» et les «Achats d'énergie» sont les leviers les plus mis en œuvre, tandis que les gisements liés à la remise en cause des besoins et du process de production sont trop souvent négligés. La maturité énergétique moyenne de l'industrie agroalimentaire est modérée, mais elle ne reflète pas une situation homogène de l'industrie. En fonction du secteur d'activité et de la taille des entreprises, on constate en effet des maturités très différentes ( voir figure 3 ). On peut par ailleurs classer les leviers à disposition selon trois catégories différentes: les leviers matures, les leviers en développement et les leviers avec un fort potentiel. Avec leur note moyenne relativement élevée, les leviers matures sont ceux qui sont les mieux maîtrisés et les plus utilisés par les industriels. La maturité du levier «Optimisation technique» s'explique par l'expertise technique des industriels, et les «Achats d'énergie» sont souvent gérés au niveau du groupe où une politique spécifique est définie.

Les leviers en développement, eux, sont régulièrement mis en œuvre par les indus-triels, mais principalement de manière ponctuelle et non pas de manière systématique.Parmi ces leviers,l'«Écoconduite des installations» a bien progressé. Les industriels commencent à réaliser que l'écoconduite de leurs installations peut être facile à mettre en œuvre, en veillant notamment à optimiser le temps de fonctionnement des équipements. On retrouve aussi les «Comportements», les «Investissements durables» et l'«Intégration thermique». Troisième et dernière catégorie de levier, ceux avec un fort potentiel affichent une maturité qui reste, en moyenne, à l'heure actuelle faible. Cela s'explique par le fait qu'ils demandent une remise en question des manières et des méthodes de travail, et font face aux résistances au changement, comme c'est le cas pour la «Conception alternative» et le «Redesign des besoins». La très grande majorité des entreprises a enclenché des actions de maîtrise de sa consommation énergétique ( voir l'évolution de la distribution des maturités entre 2013 et 2015 en figure 4 ), puisque seulement 6% d'entre elles ne se sont pas encore mobilisées. Les industriels ont commencé par nommer un responsable énergie pour 77% d'entre eux, mais seuls 17% gèrent réellement un budget dédié aux économies d'énergie. Parmi les autres actions, on retrouve la réalisation d'un suivi de leurs consommations (88%), même si seuls 28 % les corrigent par les facteurs d'influence, ainsi que la réalisation d'un diagnostic énergétique (66%) et la mise en place d'un plan d'actions (59%).

Les actions se concentrent toutefois sur un nombre restreint de leviers: 78% réalisent des actions ponctuelles sur les utilités et 57% sur les équipements de production; 66% révisent régulièrement les termes de leurs contrats; 49% passent systématiquement des appels d'offres; 67% valorisent les Certificats d'économie d'énergie (CEE); 56% ont installé des systèmes de récupération de chaleur; 63% ont pris des mesures pour limiter la marche à vide des équipements; 71% réalisent des chasses aux gaspillages. A noter que la motivation principale pour mener à bien un programme d'efficacité énergétique est très majoritairement économique (92% des cas), mais la moitié des répondants a une autre motivation, principalement environnementale.

Deux leviers à l'origine de l'amélioration

Comparée à l'année précédente, 2015 est marquée par une nette amélioration de la maturité sur deux leviers, à savoir l'« Optimisation technique » et l'«Écoconduite des installations» ( voir figure 3 ). Les actions en «Optimisation technique », mises en place sur les utilités (groupes froid, chaudières…) et sur les équipements de production, sont plus nombreuses cette année. Cela résulte en partie d'une implication plus importante du personnel qui est sollicité pour proposer des initiatives dans 25% des entreprises interrogées. Dans une moindre mesure, une augmentation de 5% des plans d'amélioration du matériel peut être notée, ces plans étant maintenant établis dans 40% des usines. Pour l'«Écoconduite des installations», la progression de ce levier est portée par une augmentation du nombre d'entreprises ayant mis en place des mesures pour limiter la marche à vide des équipements.Près de deux-tiers des répondants s'appliquent maintenant à limiter le temps de marche de leurs équipements aux périodes de production. Les industriels ont donc bien compris que ces mesures sont faciles à mettre en œuvre et peuvent mener à des gains énergétiques considérables.

En parallèle,la progression limitée du levier «Achats d'énergie» s'explique par sa maturité déjà atteinte. Les contrats sont en effet régulièrement revus avec les fournisseurs dans près de 70% des entreprises, et la moitié des industriels passe systématiquement des appels d'offres pour réduire le prix d'achat de l'énergie. Avec la probable augmentation du coût de l'énergie dans les années à venir, ce dont les industriels de l'agroalimentaire semblent conscients, une grande importance est accordée à la politique d'achat de l'énergie. On peut d'ailleurs observer une augmentation de 7% des répondants ayant défini une stratégie d'achat spécifique à l'énergie.

Certains leviers, où une certaine maturité existe déjà, ont peu évolué cette année, les répondants semblant éprouver des difficultés à effectuer la transition entre actions ponctuelles et plan d'actions. Il s'agit des «Comportements»,de l'«Intégration thermique» et des «Investissements durables». Au niveau des «Comportements», la sen-sibilisation du personnel est relativement importante, puisqu'elle est présente dans deux-tiers des entreprises. Cependant, peu d'industriels sont passés à l'étape supé-rieure qui consiste à définir des objectifs d'amélioration de la performance énergé-tique basés sur des indicateurs de performance énergétique (seulement 15%). On note également une progression de la formation des équipes d'encadrement sur la gestion de l'énergie. Cette année, plus de 30% des répondants l'intègrent en effet dans leurs formations, soit deux fois plus qu'en 2014.

Sur le levier de l'«Intégration thermique», environ la moitié des répondants sont passés à l'action en installant un ou plusieurs systèmes de récupération de chaleur. On peut estimer que ce chiffre sera amené à encore progresser dans les années à venir, puisqu'un tiers des industriels ont identifié des possibilités de récupération de chaleur sur leurs sites. Toutefois peu d'entreprises (26%) ont réalisé un bilan des puits et des sources de chaleur, bilan qui pourrait leur permettre de mieux cibler leurs potentiels de récupération. Enfin, grâce notamment aux CEE qui sont valorisés par 66% des répondants, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à prendre en compte la consommation énergétique lors de l'achat d'un équipement (55%), ce que l'on désigne par les «Investissements durables».

Pour aller encore plus loin, les industriels de l'agroalimentaire pourraient demander des engagements à leurs fournisseurs en termes de performance énergétique. Et les leviers « Conception alternative » et «Redesign des besoins» sont les moins matures et donc ceux qui présentent le plus gros potentiel de progression. Le premier consiste à revoir le process de production pour en réduire la consommation énergétique. Nombre de répondants (34 %) n'osent pas toucher au process par peur d'altérer la qualité de leur produit. D'autres (39%) l'envisagent, mais ne sont pas encore passés à l'action. Enfin, un quart des répondants a franchi le pas et a décidé de modifier au moins une étape pour rendre le process plus performant énergétique-ment. Contrairement à la « Conception alternative», le «Redesign des besoins» ne vise pas à modifier le process ou les équipements de production, mais à limiter les apports énergétiques au strict nécessaire. Dans cette optique, 70% des répondants ont déjà réalisé des chasses aux gaspillages d'énergie, mais à peine la moitié d'entre eux a mené des campagnes de révision des consignes des équipements (température, pression…). Seules 7% des entreprises interrogées ont réalisé une évaluation de l'énergie minimale requise (EMR) par leurs produits, qui permet de définir précisément leurs besoins en énergie.

Une marge de progression encore importante

Comme l'atteste la figure 5, les 10% des entreprises les plus matures (les best performers ) ont une longueur d'avance sur leurs concurrents pour l'ensemble des leviers évalués. Cette avance est plus marquée sur les leviers à fort potentiel que sont la « Conception alternative» et le « Redesign des besoins». Cela montre bien que ces best performers ont été capables d'aller encore plus loin sur tous les leviers, confirmant ainsi le potentiel d'amélioration. Ils se sont notamment attaqués, pour une grande partie d'entre eux, à une refonte de leur process. En général, les différences entre les divers leviers sont moins marquées pour les 30 entreprises les plus performantes, leur Leanergy Index étant plus homogène.On peut voir que les meilleurs répondants ont des plans d'action en place sur presque tous les critères, et ont même adopté une démarche d'amélioration continue pour certains.

Ces résultats caractérisent souvent des entreprises certifiées selon la norme ISO 50001 Système de management de l'énergie, puisque le système d'amélioration continue est un point central de la norme. Parmi les best performers , on retrouve des grands groupes (73 %) ainsi que quelques PME.Les grands groupes peuvent en effet s'appuyer sur une plus grande capacité d'investissement, et peuvent donc plus facilement s'engager dans des projets d'amélioration de leur performance énergétique avec des retours sur investissements qui peuvent être assez longs. Un luxe que peu de PME peuvent se permettre… même si l'utilisation des CEE leur offre quand même l'opportunité d'investir dans de nouveaux équipements plus économes.

Par ailleurs l'enquête 2015 montre un retard des PME, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros, sur les grands groupes, un retard plus ou moins marqué selon les leviers, bien que l'écart global continue de se réduire ( voir figure 6 ). Plus particulièrement, en ce qui concerne les «Achats d'énergie»,on observe souvent une mutualisation entre les différents sites des grandes entreprises, avec une gestion des achats centralisée au niveau du groupe. Le volume d'achats est également plus important pour les grands groupes, augmentant ainsi le pouvoir de négociation et les économies réalisées.L'avance des grands groupes est aussi notable au niveau de l'«Intégration thermique».Les volumes de production plus grands génèrent en effet des flux plus importants et donc plus de potentiel de récupération de chaleur et plus de rentabilité.

Au niveau des «Investissements durables», la différence est faible grâce aux CEE qui aident les PME à acheter elles aussi de nouveaux équipements moins énergivores. De même, un avantage limité des grands groupes pour l'«Optimisation technique» témoigne que l'organisation de la technique et la maîtrise des équipements ne sont pas fondamentalement différents entre les deux types d'entreprises. Les grands groupes restent toutefois davantage matures d'une part grâce aux moyens plus importants dont ils disposent et aux enjeux supérieurs auxquels ils sont confrontés, et d'autre part grâce aux moyens supplémentaires fournis par leur groupe d'appartenance.

Des barrières limitées aux enjeux techniques

Les retours sur investissement (ROI) longs et incertains représentent encore la barrière la plus mentionnée par l'IAA ( voir figure 7 ). Cela traduit l'assimilation de la problématique énergétique à une problématique essentiellement technique dans l'esprit des industriels interrogés. Les best performers démontrent toutefois qu'une approche transverse et systémique permet de démultiplier les résultats, et que de nombreux gisements de performances résident dans les leviers non techniques à faible coût, comme la remise en cause des besoins ou l'écoconduite des installations. Autre moyen d'avancer vers une optimisation des consommations, la norme ISO 50001. Elle est en effet encore très peu diffusée au sein de l'industrie agroalimentaire: 10% seulement des entreprises sont certifiées, soit une progression de 2 points depuis 2014. Et seules 15% prévoient d'obtenir la certification d'ici trois ans. Pourtant, 39% des entreprises ont déjà franchi une première étape avec la formalisation de leur politique énergétique.Rappelons que 43% des entre-prises classées dans les premiers 10% sont déjà certifiées ISO 50001 et près de 40% d'entre elles l'envisagent pour les années à venir.

En conclusion, on peut affirmer que la maturité énergétique du secteur agroalimentaire a encore progressé en 2015, alors que beaucoup d'industriels, poussés par la réglementation, ont entrepris des audits avant décembre 2015. La marge de progression reste donc importante sur l'ensemble des huit leviers. La plupart des entreprises ont maintenant pris en compte l'efficacité énergétique dans leur fonctionnement et y dédient des moyens, mais de manière opportuniste. Le passage à une démarche construite, globale et transverse demande en effet un investissement souvent financier et humain qui bloque certains industriels interrogés. Une solution évoquée par certains participants serait par exemple un accompagnement technique et financier par des sociétés spécialisées, qui leur permettrait de franchir cette barrière et ainsi s'assurer un avantage compétitif sur la concurrence.

(1) Source : Agreste – Enquête annuelle sur les consommateurs d'énergie dans les IAA en 2012 ESANE 2011.

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