Les sonomètres et caméras acoustiques à l'ère du numérique

Le 20/12/2016 à 0:00

D e l'usine trop bruyante au défaut de production sur un produit, en passant par les installations comme les éoliennes ou le passage de véhicules, le bruit est partout. Qu'il fasse partie d'un fonctionnement normal, ou qu'il révèle une anomalie, il existe de nombreux contextes où il est utile de le détecter et de le mesurer. Le bruit peut constituer une simple gêne pour un utilisateur, une nuisance sonore pour le voisinage, ou contribuer à la pénibilité du travail. Il est donc un paramètre important à contrôler. Le plus souvent, les mesures de bruit sont des campagnes ponctuelles, même s'il existe des dispositifs destinés à la mesure en continu.

Quantifier ou localiser ?

Revenons au b.a.-ba: un bruit est une vibration qui se propage dans l'air. Le mesurer passe donc par la pression acoustique. Mais, malgré ce principe commun, il existe des systèmes de mesure très différents. Selon le besoin, on peut utiliser un sonomètre ou une caméra acoustique. Le sonomètre est un appareil doté d'un microphone omnidirectionnel. Il capte les sons in-dépendamment de la position de la source. Son objectif est de mesurer l'intensité du bruit. Il donne ainsi une mesure globale du niveau sonore, mais ne permet pas de localiser la source.

Les antennes sphériques, contrairement aux antennes planes, permettent de situer si un bruit provient de l'avant ou de l'arrière.

La localisation, c'est le rôle de la caméra acoustique. Constituée d'un ensemble de microphones répartis sur une antenne, elle permet de mettre en évidence les sources de bruit en fonction de leur intensité. En revanche, les caméras acoustiques ne permettent pas d'effectuer des mesures précises. « Une antenne sert à faire une mesure comparative , prévient Olivier Blazère, dirigeant de Viaxys, qui distribue une caméra acoustique conçue par Signal Interface Group. On ne cherche pas à obtenir une mesure absolue du niveau sonore, mais à évaluer les différences de niveaux. » Ainsi, ces systèmes et les sonomètres sont complémentaires. La localisation d'une source à l'aide d'une caméra peut être complétée par des mesures plus précises réalisées par un sonomètre.

Les nuisances sonores sont un problème sanitaire important. Les sonomètres ou les antennes acoustiques permettent de les localiser et de les mesurer.

Sur le principe de mesure, la technologie des sonomètres évolue peu aujourd'hui. Il existe une large variété de modèles, aux bandes de fréquences plus ou moins larges, avec une précision plus ou moins importante, et différentes plages dynamiques. « Il n'y a eu virtuellement aucun changement sur les quantités à mesurer ces dernières années , explique Guillaume Goulamhoussen, ingénieur recherche et développement chez Cirrus Research. Les évolutions se sont donc faites sur les autres caractéristiques des instruments, comme leur autonomie,ou l'ergonomie. » En effet, malgré la complexité que peuvent représenter certaines mesures, les sonomètres sont parfois utilisés par des personnes n'ayant pas de compétences particulières en acoustiques. « Il est donc important que les sonomètres soient simples à opérer », ajoute-t-il. Cela passe notamment par des interfaces utilisateurs améliorées. De plus, la meilleure performance des logiciels et la plus grande puissance de calcul embarquée permettent d'inclure des fonctions telles que l'ajout de marquage automatique de périodes ou l'envoi d'alertes.

Les principales avancées des sonomètres ces dernières années concernent d'ailleurs les systèmes de communication dont ils sont dotés, locaux ou à distance. Ces appareils n'échappent pas aux mutations de l'ère numérique.Ainsi, le Wi-Fi et le Bluetooth ont fait leur apparition. « Certains modèles ont une connexion 3G , indique Cédric Rigaud, ingénieur tech-nico-commercial chez Brüel & Kjær. Ils permettent de récolter des données à distance lors de mesures de longue durée. » Des campagnes à long terme peuvent en effet être effectuées pour tenir compte de la variation d'activité sur un site, par exemple. « La prochaine évolution majeure viendra des villes connectées et de l'ouverture des données , estime David Berrier, directeur du prestataire de services en acoustique Sim Engineering. L'objectif sera d'avoir accès aux données concernant le bruit à tout moment depuis Internet, grâce à des systèmes de mesure permanents, et de pouvoir les corréler avec d'autres informations,comme le trafic routier ».

Des caméras portables

Il existe aujourd'hui des caméras simpli-fiées, pour une mise en œuvre rapide sur le terrain et une prise en main facilitée, y compris pour les utilisateurs non expérimentés. Le Pulse Reflex de Brüel & Kjær ou le Noise Scanner de MicrodB sont constitués d'une antenne portative comprenant une trentaine de microphones, associée à une tablette numérique PC. Ils permettent de localiser des sources de bruits, de visualiser en direct sur l'écran leur intensité et d'enregistrer des images ou vidéos. Si Brüel & Kjær utilise des microphones analogiques de sa propre conception, MicrodB a opté pour des Mems (micro-systèmes électro-méca-niques) analogiques.

MicrodB Le secteur automobile a poussé le développement des caméras acoustiques. Celles-ci sont capables par exemple d'analyser le bruit à l'intérieur de l'habitacle d'un véhicule.

À l'aide d'une caméra acoustique, il est possible de localiser précisément les sources de bruit, y compris sur un phénomène transitoire comme le passage d'un véhicule.

D'autres caractéristiques évoluent pour suivre le développement de certaines activités, comme l'énergie éolienne. En effet, la plage de mesure habituelle correspond à peu près aux fréquences audibles par l'oreille humaine, soit environ de 20 hertz à 20 kilohertz. Or, « lorsqu'une pale de l'hélice passe devant le poteau d'une éolienne, cela produit un son de faible amplitude qui semble pouvoir porter jusqu'à plusieurs kilomètres en fonction du sens du vent et qui peut causer de l'agacement et des plaintes de la part de riverains », note Guillaume Goulamhoussen, ingénieur recherche et développement chez le fabricant (Cirrus Research). Certains modèles de sonomètres sont donc adaptés à la détection d'infrasons à partir de 0,8Hz. Cela implique d'intégrer une pondération particulière des me-sures: « La pondération A, généralement utilisée pour des mesures dans la gamme audio, ne peut s'appliquer pour des mesures inférieures à 20 Hz , explique Cédric Rigaud (Brüel & Kjær). La norme ISO 7196: 1995 définit la pondération G, à employer pour les infrasons. La mesure d'infrasons existe depuis longtemps, mais l'intégration aux sonomètres de la pondération G est très récente ».

Les caméras acoustiques représentent une technologie plus nouvelle que les sonomètres. « Des antennes se vendent depuis la fin des années 1990 , rappelle Christophe Picard, chef de projet innovation chez MicrodB. Le développement de cette technologie a notamment été poussé par l'industrie automobile. » Associées à une caméra vidéo, ces antennes permettent d'observer en temps réel la répartition dans l'espace des sources de bruit, en fonction de la fréquence. On obtient ainsi des halos de couleur autour des sources, dont le dégradé marque l'intensité. Elles permettent également d'enregistrer une séquence vidéo, et de la repasser en faisant varier divers paramètres.

Répartir les microphones

Ces systèmes ont de nombreuses applications. Ils permettent de s'assurer du respect des normes imposées dans le cas d'un bâtiment ou d'une machine.Il leur est possible d'évaluer les niveaux sonores en fonction de la fréquence recherchée. Ils servent en contrôle qualité, afin par exemple de localiser des défauts de fabrication, comme un joint défectueux. Mais également en amont, lors d'essais en soufflerie, ou encore en laboratoire. Il existe une grande variété de caméras acoustiques, et ces produits sont aujourd'hui en évolution constante.

Selon les antennes, les microphones peuvent être disposés dans un plan ou en volume, sous forme de sphère. Le but est que les sons parviennent à chacun des microphones de façon décalée, afin de pouvoir calculer, à l'aide d'algorithmes, la répartition des sources sonores. Sur les antennes plans, les microphones peuvent être disposés selon différents motifs. « C'est une question d'échantillonnage du champ acoustique , explique Christophe Picard. Les chercheurs ont beaucoup travaillé sur ce paramètre. Au début des années 2000, le positionnement aléatoire des microphones était très utilisé. Mais la répartition en spirale, avec un espace-ment logarithmique le long de chaque bras, s'est imposée comme la forme optimale. » Mais une antenne plan n'est pas capable de différencier un son provenant de l'avant d'un son provenant de l'arrière. « Les microphones mesurent la pression dans les deux sens , précise Fabien Lepercque, également chef de projet chez MicrodB. D'où l'intérêt des antennes sphériques, qui, elles, sont capables d'évaluer ce paramètre ». Tout comme les sonomètres, les caméras acoustiques utilisent généralement des microphones couvrant le même spectre sonore que l'audition humaine. Cependant, la capacité de localisation des sources n'est pas aussi étendue. « Avec 40 microphones sur une antenne de 40 centimètres de largeur,notre caméra acoustique est capable de localiser des sons à partir de quelques centaines de hertz, alors que les micros descendent jusque 50 Hz », précise Olivier Blazère (Viaxys).Pour descendre en fréquence, il faut se tourner vers des antennes de plus grande envergure.

Si les objets à analyser sont trop proches, il n'est pas possible de distinguer les sources de bruit les unes des autres. La distance à respecter dépend de la taille de l'antenne. Plus celle-ci est petite, plus elle permet de s'approcher de la source. « Pour les applications de proximité, comme l'étude d'un moteur thermique,nous disposons d'antennes de 50 cm, permettant de s'approcher jusqu'à 10 cm », décrit Christophe Picard (MicrodB). On obtient alors une cartographie des sons avec une résolution de quelques centimètres. Pour analyser les bruits émis par un bâtiment, « nous utilisons une antenne de 3 m d'envergure, qui nous permet d'effectuer des mesures à 200 m de distance », explique David Berrier (Sim Engineering).

Pas de Mems sur les sonomètres

Les microphones de type Mems, issus de l'électronique grand public, permettent de faire baisser le prix des antennes acoustiques. Mais ils ne sont pas adaptés aux sonomètres: « Les microphones Mems ne permettent pas d'atteindre les mêmes performances en termes de plage de niveaux, de stabilité en température ou de réponse fréquentielle , argumente Guillaume Goulamhoussen, ingénieur recherche et développement chez Cirrus Research. Les sonomètres sont soumis à la norme CEI 61672,qui conditionne leurs performances.Ils doivent souvent être certifiés par un laboratoire national pour être utilisés dans des applications de métrologie légale. Le microphone étant la partie la plus importante d'un sonomètre,il est nécessaire qu'il soit de grande qualité et avec les meilleures performances possibles ».

Pour des besoins plus spécifiques et ponctuels, il est possible de concevoir des produits sur mesure: « Pour la mesure en bout de piste du bruit d'un avion au décollage, Airbus a conçu une antenne d'environ 50 m d'envergure », continue Christophe Picard (MicrodB). Ce type de solutions est onéreux, et reste l'apanage des entreprises ayant des moyens importants. Les antennes n'ont théoriquement pas de portée maximale: « Si le niveau sonore est assez élevé, on peut localiser les sources de loin , explique Olivier Blazère (Viaxys). On peut ainsi voir le décollage d'un avion depuis plusieurs centaines de mètres. » Il faut alors trouver le bon compromis entre distance et résolution de la mesure. Pour des caméras acoustiques standard, une solution complète, comprenant l'antenne et le système de traitement des données, peut coûter au minimum 30 000 euros. Mais une avancée technique, venue de l'électronique grand public, est en train de changer la donne, en permettant de diviser le prix « au moins par deux », évalue Olivier Blazère (Viaxys). En effet, les fabricants commencent à proposer des antennes sur lesquelles les microphones analogiques classiques sont remplacés par des micros de type Mems (micro-systèmes électro-mécaniques). Ces microphones sont de même nature que ceux qui équipent les téléphones portables. Ils sont donc fabriqués à plus grande échelle, et par conséquent moins onéreux.

Ces dernières années, les principales évolutions se sont faites sur les autres caractéristiques des instruments, comme leur autonomie ou l'ergonomie.

De plus, les microphones Mems les plus récents sont numériques. Cela permet donc d'évacuer l'étape de conversion du signal analogique. Les branchements à effectuer s'en trouvent grandement simplifiés: « Avec les microphones analogiques,il faut un système de numérisation avec autant de voies que de microphones , décrit Olivier Blazère (Viaxys). Notre antenne est constituée d'une plaque sur laquelle sont intégrés des microphones Mems numériques,il n'y a plus de câblage, mais une seule sortie numérique pour l'ensemble des microphones. » L'antenne peut ainsi être alimentée par un simple câble USB, ce qui facilite l'usage nomade: il est possible d'effectuer des observations en branchant l'antenne sur un simple PC, sans autre source d'alimentation.

Bien sûr, les microphones Mems n'offrent pas les mêmes performances que les microphones classiques. Ils saturent plus facilement face à un niveau sonore élevé. « À partir d'environ 120 décibels, pour des turbines d'avion par exemple, ces microphones ne sont pas forcément adaptés , indique Olivier Blazère. Mais il est possible de contourner le problème en installant l'antenne plus loin pour éviter de saturer. » Certains fabricants choisissent de garder des microphones classiques, comme Brüel & Kjær : « Les microphones Mems peuvent avoir une grande disparité en production. La qualité requise dans le cadre d'un smartphone n'a rien à voir avec la qualité nécessaire pour un instrument de mesure , estime Cédric Rigaud. Pour des mesures de cartographie acoustique, la qualité du microphone, sa réponse en fréquence et en phase, restent primordiale pour obtenir des résultats corrects, absolus et quantifiables. Si la prise de mesure n'est pas bonne,les résultats ne le seront pas,malgré tous les traitements informatiques possibles ».

Un gain de temps dans le traitement des informations

Le traitement des informations peut être effectué en partie sur l'antenne : « Un contrôleur embarqué permet d'effectuer l'analyse FFT (transformée de Fourier rapide) », note Olivier Blazère (Viaxys). Mais le gros du calcul est fait sur PC, ou sur une centrale de mesure. Une partie du traitement peut être fait en temps réel, comme l'affichage de certaines fréquences. Mais certaines fonctions nécessitent des calculs plus lourds, comme la quantification précise du niveau des sources dans l'espace. Les algorithmes employés sont toutefois de plus en plus performants. « Plus la méthode de calcul est complexe et précise, plus le temps de calcul est long , explique Fabien Lepercque (MicrodB). Mais on est passé du calcul sur processeur classique à la parallélisation sur plusieurs cœurs et à l'utilisation de cœurs graphiques. Ainsi, des calculs qui prenaient une ou deux heures il y a quelques années peuvent aujourd'hui être effectués en une dizaine de minutes ».

Le filtrage des fréquences permet d'effacer les bruits de fond et de localiser plus précisément une source sonore.

Les applications des caméras acoustiques étant parfois très spécifiques, des logiciels personnalisés peuvent être nécessaires. Certaines entreprises, comme MicrodB, proposent la réalisation de logiciels personnalisés, tout en restant dans un cadre propriétaire. D'autres, comme Viaxys, proposent une plateforme ouverte permettant de développer ses propres applications. Le problème n'est pas spécifique aux caméras acoustiques, mais concerne également les sonomètres. « Nous avons développé notre propre système d'analyse,car les fabricants refusaient de nous ouvrir l'accès détaillé aux données , raconte David Berrier (Sim Engineering). Or, pour des applications comme la surveillance acoustique en continu, il faut avoir plus que les indicateurs standards pour une analyse détaillée ».

« Les normes concernant le bruit évoluent beaucoup et sont toujours plus contraignante , rappelle David Berrier. C'est un véritable enjeu sanitaire. » Les expositions professionnelles peuvent engendrer des effets délétères sur l'appareil auditif, en raison des niveaux sonores élevés. Mais, selon l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), « d'autres effets sanitaires du bruit peuvent apparaître à des niveaux d'exposition sonore plus faibles. Les expositions sonores environnementales liées aux transports ainsi qu'aux activités industrielles ou de loisirs sont principalement concernées par ces effets extra-auditifs. » Il s'agit donc d'un vaste sujet de société. La démocratisation des caméras acoustiques ou la mise en réseau des données de surveillance en continu pourraient contribuer à identifier et à réduire ces risques.

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