Les unités pédagogiques technologiquesdanslem

Le 20/03/2017 à 0:00

C. Lardière

Q ue ce soit dans les secteurs de la chimie, de l'énergie ou de l'agroalimentaire, les industriels recherchent des ingénieurs et des techniciens en charge de la conception et de la conduite de leurs usines de production. Les filières d'enseignement, initiales et professionnelles, sont évidemment essentielles pour former des personnels compétents et opérationnels – le génie des procédés se trouve au carrefour de plusieurs disciplines. Mais encore faut-il que ces étudiants aient pu déjà être confrontés à des unités de production réelles, ou en tout cas très proches de celles qu'ils seront à même de rencontrer dans leur carrière professionnelle.

Nous apprécions cette notion de partena-riat,que tout le monde s'implique dans un projet.Avec Krohne,c'est d'ailleurs une longue histoire: l'entreprise Pignat a d'abord été fournisseur de Krohne pour les tubes en verre, et on l'est toujours. ” Patrice Pignat, président de l'entreprise éponyme

« Avec ses unités conçues avec du matériel industriel, le modèle français s'est vraiment développé il y a une vingtaine d'années et plaît beaucoup à l'étranger. Nous avons en effet de la chance d'avoir un modèle français qui s'exporte très bien, en particulier pour la formation d'opérateurs,par rapport au modèle anglais très universitaire et au modèle allemand très industriel », affirme Patrice Pignat, président de l'entreprise éponyme. EnAllemagne, les unités pédagogiques sont financées par les entreprises elles-mêmes, et il faut disposer des utilités d'une usine, des moyens d'une usine et, donc, du budget d'investissement d'une usine pour acquérir de telles unités, bien que la situation commence à évoluer un peu.

Sur le marché des unités pédagogiques en génie des procédés, l'entreprise lyonnaise ( voir encadré page 52 ) occupe une place à part: elle est en effet l'une des rares sociétés dans le monde à concevoir et à fabriquer à la fois des unités pour les procédés industriels et des unités pédagogiques. « Même si elles ressemblent aux modèles industriels,nos unités pédagogiques ont des tailles où les temps d'équilibre sont de l'ordre du quart d'heure,ce qui permet de réaliser une manipulation en seulement 4 heures.Dans les années 1960,les unités de procédés étaient des copies d'installations industrielles et mettaient souvent plusieurs heures pour s'équilibrer », rappelle Patrice Pignat. Les unités pédagogiques actuelles consomment par ailleurs peu de produits, soit grâce à des solutions pour les régénérer, soit en travaillant avec de l'eau.

Et les unités pédagogiques de l'entreprise Pignat s'exportent dans le monde entier, comme le montre le projet développé pour l'Université de Calgary. « Nous avons en effet été retenus par cette université pour l'équiper de douze bancs de régulation identiques. Le cahier des charges était assez simple : nous avons en fait récupéré la spécification des bancs d'un concurrent, qui a dû abandonner le projet entre-temps », explique Patrice Pignat. Comme le projet initial ne correspondait forcément pas exactement aux spécifications de ses bancs, l'entreprise a dû les adapter pour répondre aux exigences imposées par l'Université de Calgary. « Notre standard intégrant des cuves en inox – nous sommes paradoxalement des verriers –, nous avons dû au débotté sortir un nouveau projet. Et nous nous sommes beaucoup inspirés d'un banc déjà fait, surtout pour les vannes de régulation. Comme il ne nous connaissait pas,ce client est venu du Canada nous rencontrer pour juger de ce que l'on était capable de faire. Une fois le client rassuré, nous avons réalisé les études, les vues 3D qu'il a validées », poursuit-il.

L'entreprise Pignat a développé pour l'Université de Calgary douze bancs de régulation pédagogiques. L'une des originalités de ces bancs réside dans le fait qu'un seul fabricant, à savoir l'allemand Krohne, a fourni l'ensemble de l'instrumentation.

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Des bancs à double cuve et régulations en cascade

Le résultat est un pilote fonctionnant uniquement avec de l'eau et composé de deux cuves.Avec la première, qui est dotée d'un système de chauffe par résistance électrique,il est possible de réaliser une régulation de température. En sortie de cette première cuve, une pompe, associée à un débitmètre électromagnétique et à une vanne de régulation, assure le transfert de l'eau à la deuxième cuve, au travers d'une régulation de débit. « La deuxième cuve permet de mettre en œuvre différentes configurations, que ce soit des régulations simples, des régulations en cascade de niveau et de débit. Pour la simple régulation de température – elle ne peut pas être mise en cascade –, on agit cette fois sur la circulation d'eau froide dans un échangeur pour maintenir la température souhaitée en sortie (réglage de la température d'entrée et de sortie de la cuve, via une vanne utilisée entre 0 et 100 % de son ouverture pour laisser passer plus ou moins d'eau froide) », explique Patrice Pignat. Les étudiants auront également la possibilité, avec ces bancs pédagogiques, de réaliser une autre boucle cascade. Il s'agit d'une régulation en cascade ni-veau-pression: une valeur de niveau est définie, cette première grandeur étant obtenue en faisant varier la vitesse de la pompe située dessous la cuve. Pour gagner en réactivité, lorsque le niveau commence à descendre, un capteur de pression va envoyer une autre consigne (pression plus faible ou trop forte) pour commander la pompe.Au niveau de la partie électronique, tout se passe dans un régulateur Mini8 d'Eurotherm (groupe Schneider Electric). « Tous les signaux y sont remontés en 4-20 mA, même les sondes de température, et tous les équipements sont pilotés à partir de ce boîtier. C'est un peu comme un micro-automate », décrit Patrice Pignat.

En mettant en œuvre une logique filaire entièrement en 4-20mA, le câblage en est grandement simplifié, sans compter la facilité de nettoyage de l'unité. Cette solution n'est toutefois pas toujours bien adaptée, lorsqu'on l'installe dans des équipements en verre. « Il était possible de connecter directement les sondes Pt100 au régulateur Mini8 ou alors de passer par un convertisseur 4-20 mA. Mais le fait de travailler avec des fiches bananes en sortie, toutes les grandeurs physiques devaient être accessibles selon le même format », indique Christophe Tolosa, technico-commercial chez Krohne France. « Et c'est vrai que c'est très pratique », insiste Patrice Pignat. En plus de disposer d'un écran tactile de 9,7 pouces de l'italien Ascon Technologic, où l'on retrouve toutes les courbes, l'une des originalités de ce banc de régulation est la présence de connexions sur fiches bananes. Comme tous les signaux d'entrée et de sortie sont amenés à ce niveau, les étudiants viendront ainsi câbler l'unité et,surtout, apprendront à se poser les bonnes questions. « L'objectif est d'enseigner aux étudiants ce qu'est un régulateur, ce qu'il faut connecter en entrée (les capteurs) et en sortie (les actionneurs, les vannes). Une fois tout le câblage fait, ils ont une vue globale de l'installation, avec les branchements, les MSP ( Master Set Points ) et les MPV ( Master Process Values ) qu'ils peuvent afficher et suivre en grand. Si les branchements sont corrects, les étudiants pourront voir la boucle de cascade,basculer en mode cascade »,explique Patrice Pignat. Cet aspect très pédagogique n'est pas possible avec une unité industrielle. Toujours au niveau du panneau de contrôle, l'entreprise a par ailleurs intégré une interface USB qui permet de récupérer tous les fichiers ou de recharger directement le programme, mais aussi de se brancher sur un PC pour récupérer les écrans de visualisation. Et l'on peut également se connecter via un port Ethernet.

Le fait que nous proposons maintenant toutes les gammes d'instrumentation de process (débitmétrie,niveau,température et pression) est très intéressant.Le site de Romans-sur-Isère,dans la Drôme,est en plus le centre de compétences pour les mesures de niveau radar. ” Christophe Tolosa, technico-commercial chez Krohne France

C. Lardière

Un seul fournisseur en instrumentation

En ce qui concerne l'instrumentation de ces bancs pédagogiques, l'offre avait été faite avec du matériel venant un peu de différents fabricants, tels qu'Emerson Process Management (ancien nom d'Emerson Automation Solutions), Kobold, Krohne, etc. C'est d'ailleurs une pratique courante pour ne léser personne et,surtout,pour trouver les matériels les moins chers possibles. « Mais, pour ce projet,j'ai souhaité que ce soit le même fabricant qui nous fournisse l'instrumentation pour tous les bancs. Suite à un appel d'offres auprès de plusieurs sociétés,telles queYokogawa, avec qui nous travaillons pour les capteurs de pression, d'Endress+Hauser et de Krohne, qui pouvaient toutes les deux répondre sur la totalité de l'instrumentation, c'est cette dernière qui a été retenue », précise Patrice Pignat. Ce qui a fait pencher la balance en faveur de l'allemand Krohne était surtout, au-delà de l'aspect économique – toutes les propositions étaient finalement très proches les unes des autres –, l'adhésion immédiate de la société au projet. « Nous apprécions cette notion de partenariat, que tout le monde s'implique dans un projet.Avec Krohne, c'est d'ailleurs une longue histoire : l'entreprise Pignat a d'abord été fournisseur de Krohne pour les tubes en verre, et on l'est toujours. Et, non seulement c'est une société à taille relativement humaine, mais surtout une partie de la production se fait en France, dans la région », explique Patrice Pignat.

L'activité industrielle crédibilise l'activité pédagogique

« Avec la présence de tous les corps de métiers,dont trois souffleurs de verre – l'un des deux métiers stratégiques avec les informaticiens –,nous sommes une entreprise un peu atypique », explique Patrice Pignat, président de l'entreprise éponyme. C'est surtout l'une des rares dans le monde à concevoir et à fabriquer à la fois des unités pour les procédés industriels et des unités pédagogiques, la premier activité apportant une crédibilité à la seconde. Créée en 1960 à Lyon (Rhône) et employant actuellement une trentaine de personnes, l'entreprise Pignat était essentiellement présente dans le soufflage de verre. « Certains clients,à l'image des centres de recherche dans le domaine du pétrole qui apparaissaient dans les années 1970,nous ont alors demandé de fabriquer des installations plus compliquées (distillations semi-automa-tiques,par exemple),parce que le montage d'installations avec des éléments en verre n'est pas simple.D'où la commercialisation de petites unités clés en main,tout en conservant le savoir-faire verrier », se souvient Patrice Pignat. C'est à cette époque, en 1973 plus précisément, que l'entreprise déménage dans l'Est lyonnais, à Genas. Lors de la décennie suivante, des investissements importants sont par ailleurs réalisés à l'exportation, au Maghreb et au Mexique notamment.

Si l'activité pédagogique n'était qu'une activité comme une autre jusqu'à la fin des années 1980, le marché s'est réellement accéléré en 1989 avec la loi Jospin, par laquelle les Régions avaient désormais en charge des investissements et des lycées. Aujourd'hui, le chiffre d'affaires de l'entreprise se répartit à 50% pour l'industrie et à 50% pour le pédagogique, sachant que ce denier représente près de 90% des ventes à l'exportation (Amériques, Asie et Moyen-Orient). « Même si de plus en plus d'industriels français sont aujourd'hui implantés à l'étranger et que les projets sont de plus en plus importants », précise-t-il. L'offre pédagogique de Pignat comprend des unités pour le génie chimique (cristallisation, distillation, extraction), l'environnement, la dynamique des fluides, la régulation (automatismes, étude de capteurs, régulations simple boucle ou complexes), etc. L'offre industrielle, elle, se compose d'unités personnalisées et de la gamme Kilolab, des unités qui ont vocation à être standard (filtres, réacteurs multifonctions).

« Le fait que nous proposons maintenant toutes les gammes d'instrumentation de process – la débitmétrie,évidemment,mais aussi le niveau, la température; avec le rachat du suédois Inor en 2006, et la pression –, est très intéressant. Le site de Romans-sur-Isère, dans la Drôme, est en plus le centre de compétences pour les mesures de niveau radar [voir Mesures n°825], ce qui facilite la réactivité avec nos clients français », explique Christophe Tolosa (Krohne France). Pour l'entreprise Pignat, le fait de ne travailler qu'avec un seul fournisseur, pour la partie instrumentation, lui permet de s'appuyer également sur lui pour la promotion des unités pédagogiques, et donc de son matériel. Cela serait différent avec plusieurs fabricants. Autre avantage, même si c'est elle qui assure elle-même les services après-vente de ses bancs dans le monde entier, l'entreprise Pignat peut éventuellement s'appuyer sur une filiale de Krohne pour intervenir à l'autre bout du monde en cas de problème.

Chaque banc de régulation se distingue par la présence de connexions sur fiches bananes, ce qui permettra aux étudiants de venir câbler l'unité et, surtout, d'apprendre à se poser les bonnes questions en matière de régulation, de branchement.

C. Lardière

« À l'image des bancs de régulation pour l'Université de Calgary, nos unités pédagogiques sont autant de vitrines technologiques pour nous et pour nos fournisseurs.C'est d'ailleurs pour cette raison que Krohne nous a proposé d'ajouter la mesure de niveau par la technologie de radar à ondes guidées, alors que c'était la technologie capacitive qui était prévue à l'origine », se rappelle Patrice Pignat. Après validation auprès du client de la technologie radar, il a même été très content du résultat. Le choix de la technologie radar filoguidée, ici un transmetteur de la série Optiflex 1100C, s'explique par des caractéristiques très intéressantes, telles que de faibles zones mortes, une précision de mesure de 1mm, une longueur de tige de 2m, mais qui peut être coupée à la bonne longueur par l'utilisateur, et un bon rapport qualité-prix – le coût est inférieur à 600 euros car c'est un matériel produit en série et disponible sur stock.

À côté du radar filoguidé, Krohne a également installé d'autres technologies de mesure de niveau: un débitmètre électromagnétique et un débitmètre par P. « Le débitmètre électromagnétique Optiflux 1000 en montage sandwich est associé à un convertisseur IFC 050 pour allier fiabilité de mesure et des économies », indique ChristopheTolosa (Krohne France). En ce qui concerne la mesure par P, la technique est très robuste et très intéressante pour faire le zéro. « Dans les applications industrielles aussi, les avantages de la mesure par P sont la possibilité de délocaliser le point de mesure et de réaliser des mesures par bullage ou très complexes. Le niveau est certainement la grandeur physique la plus compliquée à mesurer », ajoute Patrice Pignat.

De la commande aux tests en six mois

Même s'il y a eu des changements par rapport à un projet faisant intervenir des unités sur étagère, il n'a fallu à l'entreprise Pignat que six mois entre la commande, en avril 2016, et la fin de la phase de test et de validation des douze bancs de régulation, en septembre dernier. « C'est une belle performance que nous avons réalisée là. Le prototype ayant été terminé au mois de juin, les personnes de l'Université de Calgary sont venues tout début juillet pour réceptionner le premier banc », explique Patrice Pignat. Tous les bancs ont ensuite été testés et validés avant d'être envoyés chez le client, ce qui différencie l'entreprise d'une ingénierie. Il s'agit de s'assurer de leur bon fonctionnement et qu'aucun souci n'apparaisse lorsque le client va démarrer les douze unités pédagogiques.

« Le Diable se cache dans les détails et,s'il faut renvoyer des pièces depuis le Canada,cela coûte vite très cher. Un détail par exemple : nous avions demandé à notre fournisseur à ce que les résistances nous arrivent décapées et passivées. Une fois montées, on se rend compte qu'elles sont piquées, ce qui nous a obligé de les redémonter, les décaper et les passivées », explique Patrice Pignat.Autre «détail», des dépôts de particules noires sont apparus sur l'une des deux cuves lors des tests. Cela venait en fait, non pas des pompes, mais des vannes de régulation qui n'avaient pas été nettoyées correctement. Avec un process en inox, cela n'arrive pas et ce n'est pas le genre de détails qui se voit aussi; avec une installation en verre, les particules s'accrochent plus facilement et ce n'est vite plus esthétique. Comme les 24 vannes de régulation étaient déjà montées, l'entreprise Pignat a trouvé une astuce, en faisant circuler de l'eau dans le process et en l'évacuant en un endroit de la canalisation ouvert temporairement.

Les unités pédagogiques développées pour l'Université de Calgary recèlent une autre nouveauté, au niveau de la tuyauterie cette fois. Si, jusqu'à maintenant, ce type d'installations aurait plutôt été réalisé avec des raccords vissés ou des raccords à bague,le choix s'est porté sur une tuyauterie sertie. « Cela nous permet de valider l'ergonomie de l'ensemble et ensuite de sertir sur place. La procédure est donc beaucoup plus rapide que si l'on devait mettre du Téflon. Avec la présence d'un joint torique, il est possible de monter jusqu'à 16 bar », précise Patrice Pignat. En conclusion, à l'instar d'autres unités pédagogiques développées à l'origine pour un client donné, le banc créé pour l'Université de Calgary va devenir un standard et intégrer le catalogue pédagogique de l'entreprise Pignat, un catalogue fort de plus de 160 références.

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