«L'Internet des objets va dans les usines»

Le 01/05/2015 à 15:00

Mesures. L'Internet des objets suscite un intérêt croissant de toute part, et pas uniquement dans les applications grand public. Ce concept pénètre également l'industrie et les usines. Comment définiriez-vous ce que l'on appelle l'Internet desobjets industriels? Que peut apporter ce concept à la production industrielle?

Rahman Jamal. L'Internet des objets indus-triels se caractérise par un grand nombre de systèmes industriels connectés qui communiquent et coordonnent leurs analyses de données et leurs actions pour améliorer les performances industrielles et augmenter les bénéfices des entreprises. Les systèmes industriels qui ont pour but de résoudre les problèmes de contrôle complexes, en reliant le monde numérique au monde physique par l'intermédiaire de capteurs et d'actuateurs, sont principalement connus sous le nom de systèmes cyber-physiques. Ceux-ci sont combinés à des solutions Big Analog Data afin de recueillir des informations à partir de données et d'analyses. Imaginez des systèmes industriels capables de s'adapter à leur environnement, voire à leur état de santé: les machines programmeraient elles-mêmes leurs opérations de maintenance et –mieux encore– adapteraient leurs algorithmes de contrôle dynamiquement pour compenser une pièce usée et communiquer les données concernées aux autres machines et aux personnes qui en dépendent. En intégrant davantage d'intelligence sous forme de capacités de traitement et de communication locales dans les machines, l'Internet desobjets industriels pourrait résoudre des problématiques jusqu'ici insolubles. Bien entendu, « si c'était simple, tout le monde le ferait ». Or l'évolution des technologies s'accompagne de l'augmentation de leur complexité, ce qui fait de l'Internet des objets industriels un défi de taille auquel aucune entreprise ne peut faire face seule.

Mesures.Quels sont les défis à relever pour l'Internet des objets industriels?

Rahman Jamal. Les difficultés sont d'autant plus évidentes lorsque l'on compare les spécifications de l'Internet des objets industriels à celles de l'Internet grand public. Si les deux réseaux impliquent de connecter des appareils et des systèmes à travers le monde, l'Internet des objets industriels impose des spécifications plus strictes en termes de latence, de déterminisme et de bande passante au niveau des réseaux locaux. Les machines de précision peuvent par exemple tomber en panne si leur synchronisation est rompue ne serait-ce qu'une milliseconde, c'est pourquoi respecter leurs spécifications s'avère crucial pour la santé et la sécurité à la fois des opérateurs, des machines elles-mêmes et des affaires en général.

Pour s'adapter à l'évolution constante des besoins, les appareils qui alimentent l'Internet des objets industriels doivent reposer sur une plate-forme matériel/logiciel intégrée et un réseau temps réel capables de satisfaire les spécifications des nouvelles technologies. ” Rahman Jamal

L'Internet des objets industriels présage déjà un grand changement pour les systèmes industriels traditionnels. Généralement, leur architecture et leur évolution se caractérisent soit par la conception d'une solution de bout en bout personnalisée ou propriétaire, soit par l'ajout de fonctionnalités en complétant le système avec des solutions sous forme de « boîtes noires » définies par le fabricant. La seconde option est certes rapide à mettre en œuvre, mais elle a un prix… L'un des plus gros avantages de l'Internet des objets industriels réside dans le fait que les données peuvent très facilement être partagées et analysées pour permettre des prises de décision optimales. Dans une solution de surveillance conditionnelle définie par le fabricant, par exemple, les données acquises et analysées sont difficilement disponibles; le système se limite à l'envoi de simples alarmes pour prévenir une défaillance catastrophique. Les données peuvent être disponibles suite à un événement pour analyser et déterminer la cause du problème, mais cela coûte du temps et de l'argent. Si les données de surveillance ne sont pas analysées en continu et disponibles via une interface standardisée, il est impossible de s'en servir pour adapter les algorithmes de contrôle, ni même de les corréler pour contrôler les événements, améliorer l'efficacité du système ou encore éviter les temps d'arrêt.

Rahman Jamal, Global Technology & Marketing Director de National Instruments

National Instruments

Diplômé en génie électrique de l'Université de Paderborn (Allemagne), Rahman Jamal a rejoint National Instruments en 1990 en tant qu'ingénieur d'applications, contribuant également à l'établissement de la filiale du groupe américain à Munich. Il occupe ensuite différents postes en Allemagne, à savoir Applications Engineering Manager,Technical & Marketing Director pour l'Europe centrale et Technology & Marketing Director pour l'Europe. Rahman Jamal supervise aujourd'hui les organisations de marketing à travers l'Europe, les Amériques et l'Asie-Pacifique. Il participe par ailleurs à plusieurs conseils consultatifs tels que ceux de l' OPC Foundation et de la VDE Association of Electrical,Electronic and Information Technologies , et il est président des Instruments virtuels dans la pratique, un événement de conférences utilisateurs et industrielles européen de National Instruments.

En revanche, les solutions de bout en bout peuvent parfaitement fonctionner conjointement avec l'ensemble des composants d'un système – mais cela ne résout pas le problème fondamental. Lors de la construction d'une solution de bout en bout, les protocoles de communication sont uniformes et les données peuvent être facilement partagées. Néanmoins, à ce stade, les protocoles de communication propriétaires font de la solution en question essentiellement une « boîte noire ». Aussitôt qu'une mise à jour est requise, l'ingénieur chargé du projet se trouve confronté à un dilemme: ajouter une solution qui pourrait avoir des difficultés à communiquer avec le reste du système, ou recommencer le processus du début en créant une nouvelle solution. Les systèmes de l'Internet des objets industriels doivent être adaptables et évolutifs par le biais de logiciels ou l'ajout de fonctionnalités capables de s'intégrer facilement avec l'ensemble d'une solution; or cela est impossible quand le système entier est construit sous forme de « boîte noire ». Alors comment intégrer des systèmes composites et réduire leur complexité sans renoncer à l'innovation?

Mesures. Adaptabilité et évolutivité sont certes deux critères majeurs pour que l'Internet des objets industriels s'impose dans l'industrie. Mais le principal défi à surmonter n'est-il pas celui de la sécurité? Rahman Jamal. L'adaptabilité et l'évolutivité ne sont effectivement qu'une partie des défis posés par l'Internet des objets industriels: la gestion et la sécurité des systèmes sont également d'une importance majeure. De plus en plus de réseaux de systèmes sont mis en exploitation; or ces systèmes doivent communiquer entre eux mais aussi avec les entreprises, souvent sur de grandes distances. Bien entendu, ces opérations doivent être sûres si l'on veut éviter le risque de compromettre des millions de dollars d'actifs. L'exemple le plus parlant pour illustrer l'importance de la sécurité est le smart grid , qui représente une véritable réussite de l'Internet des objets industriels. Les dommages causés par une atteinte à la sécurité sur ce genre de réseaux sont susceptibles d'être d'autant plus importants que les informations qui y circulent sont facilement accessibles.

Ces systèmes ne doivent pas seulement être sécurisés, ils doivent également être régulièrement modifiés et entretenus pour répondre aux spécifications de maintenance et aux fonctionnalités en constante évolution. L'ajout de capacités s'accompagne de mises à jour logicielles ou de l'adjonction de systèmes supplémentaires qui, très vite, forment un véritable lacis de composants interconnectés. Le nouveau système doit s'intégrer non seulement avec le système original, mais aussi avec tous les autres. Imaginez la difficulté qu'impliqueraient la modification et la mise à jour des centaines de millions de systèmes situés partout dans le monde…

National Instruments

Mesures. Concrètement, quelles sont les briques technologiques qui permettent de développer un Internet des objets industriels compatible avec les exigences de l'industrie? Rahman Jamal. Développer et déployer les systèmes qui constitueront l'Internet des objets industriels représente un énorme investissement pour les décennies à venir. Il ne s'agit pas d'essayer de prévoir l'avenir, mais de déployer un réseau de systèmes suffisamment flexible pour évoluer et s'adapter aux besoins futurs. Dans cette optique, l'approche basée plate-forme s'impose comme la voie à suivre : le déploiement d'une même architecture matérielle souple sur plusieurs applications réduit grandement la complexité matérielle et déplace chaque nouveau problème au niveau logiciel. Le même principe doit s'appliquer aux outils logiciels, afin de former une plate-forme matériel/logiciel performante et de créer une solution unifiée. Une approche basée plate-forme efficace ne s'appuie ni sur le matériel, ni sur le logiciel indépendamment, mais plutôt sur l'ensemble des technologies innovantes au cœur de l'application. Aujourd'hui, il existe un certain nombre de plates-formes dédiées au développement de l'Internet des objets industriels. Celles vers lesquelles se tournent les concepteurs doivent reposer sur un système d'exploitation compatible avec les environnements informatisés, afin qu'elles soient bien approvisionnées et configurées et qu'elles puissent correctement identifier les utilisateurs et les autoriser à maintenir l'intégrité du système tout en optimisant son temps de disponibilité. Cela passe par l'utilisation d'un système d'exploitation ouvert, qui permet aux spécialistes en sécurité informatique du monde entier de collaborer et de développer de nouvelles solutions de sécurité embarquée.

En intégrant davantage d'intelligence sous forme de capacités de traitement et de communication locales dans les machines, l'Internet des objets industriels pourrait permettre de résoudre des problématiques jusqu'à présent insolubles. ” Rahman Jamal

Ces plates-formes doivent également s'appuyer sur des technologies standards comme Ethernet et inclure des normes en évolution pour permettre un réseau plus ouvert et plus déterministe, capable de répondre aux spécifications de latence, de déterminisme et de bande passante de l'Internet des objets industriels, tout en maximisant l'interopérabilité des fournisseurs de systèmes industriels et des consommateurs de l'Internet des objets. Les organisations telles que l' Industrial Internet Consortium (IIC) consignent les cas d'usage et garantissent une certaine interopérabilité. L'IEEE, de son côté, a formé le groupe de travail Time-Sensitive Networking dans le but d'adapter la norme IEEE 802.1 aux nouvelles spécifications.

Mesures. Quelles sont les perspectives d'avenir pour l'Internet des objets industriels?

Rahman Jamal. La conception actuelle de l'Internet des objets industriels représente un marché colossal ainsi que des possibilités technologiques ouvertes à tous. Les organisations comme l'IIC, l'IEEE et l'alliance AVnu orientent leurs efforts sur la définition de l'Internet des objets industriels et en rassemblent consciencieusement tous les cas d'usage pour déterminer la meilleure façon de poursuivre l'innovation dans ce domaine. Les ingénieurs et les scientifiques implémentent d'ores et déjà des systèmes à la pointe de l'Internet des objets industriels, mais plusieurs aspects doivent encore être définis et la tâche est loin d'être achevée. Vous pouvez vous pencher sur l'approche basée plate-forme et rejoindre la génération de l'Internet des objets industriels en vous impliquant dans ces organisations pour définir l'avenir de cette technologie et garantir que l'innovation –par opposition à l'intégration – soit au cœur des préoccupations des entreprises.

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