«La formation doit s'adapter aux besoins du tissu industriel local»

Le 11/05/2017 à 15:00

Mesures. Tout d'abord, pouvez-vous nous retracer l'historique de la licence professionnelle (LP) «Mécatronique & Robotique» dont vous êtes responsable? ChristineToumoulin. En 2008,lorsque j'ai été nommée responsable delali-cence professionnelle «Mécatronique & Robotique» pour l'amener à l'alternance, j'ai tout de suite cherché à développer des relations étroites avec les in-dustriels et à rénover, en lien avec ces derniers, le contenu de cette formation pour l'adapter au plus près de leurs besoins en matière de compétences. En effet, les partenariats avec les industriels nous permettent de faire entrer l'entreprise au cœur des centres de formation. Ainsi, en mettant sur pied des équipes pédagogiques mixtes enseignants/industriels, il est possible de bâtir une formation qui prend en compte à la fois l'intérêt des étudiants, avec une réelle expérience axée sur l'industrie, mais aussi les besoins du tissu industriel local. En 2012, le prolongement de cette politique nous a conduits à développer, dans le cadre de cette formation, une plateforme robotique en partenariat avec l'entreprise ARSN et les fabricants de robots ABB et Fanuc, puis à mettre en place un centre de formation délocalisé ABB en robotique pour la formation continue (pour des formations en Programmation et Maintenance électrique). Cette plateforme robotique comprend aujourd'hui 4 robots ABB et 4 robots Fanuc.

Mesures. Parlez-nous plus précisément de cette licence professionnelle. Christine Toumoulin. Deux choix de parcours s'offrent aux étudiants qui intègrent la LP «Mécatronique & Robotique » : le parcours ISAR (Ingénierie des Systèmes Automatisés et Robotique), en place depuis 2008, et le parcours PASTEL (Production Automatisée des SysTèmes Électroniques), développé depuis la rentrée 2016/2017 en partenariat avec le Campus ESPRIT Industrie de Redon. La promotion 2017 compte 37 inscrits en parcours ISAR (il y en avait 22 en 2008) –dont 52% sont issus d'un BTS, 40% d'un IUT et 8% sont des salariés en reprise d'étude– et 13 en parcours PASTEL. La sélection à l'entrée –environ 30 % des postulants sont retenus – s'effectue dans un premier temps par dossier, puis devant une commission composée d'enseignants et d'industriels partenaires. La motivation de l'étudiant, son projet professionnel ainsi que sa compétence technique sont les principaux critères de choix de cette commission. Mais l'admission définitive de l'étudiant est conditionnée à l'obtention d'un accord avec une entreprise pour un projet donné: 1 étudiant = 1 projet = 1 entreprise.

Christine Toumoulin, responsable de la licence professionnelle «Mécatronique & Robotique » de l'IUT de Rennes

Titulaire d'un doctorat de l'université de Rennes obtenu en 1987, Christine Toumoulin est entrée à l'IUT de Rennes en 1990 en tant qu'enseignant-chercheur. Elle y enseigne l'informatique, l'informatique industrielle, la robotique mobile et la robotique industrielle aux étudiants de niveaux DUT GEII (1 re et 2 e année) et LP «Mécatronique & Robotique». Elle est actuellement chef de projet pour la mise en place de l'usine école «Outils de production intelligents».

En parallèle, elle mène des travaux de recherche au laboratoire de Traitement du Signal et de l'Image (LTSI – Inserm U1099). Ces travaux s'inscrivent dans une thématique d'analyse d'images dédiée à des applications médicales à visées diagnostic et thérapeutiques, ciblées plus particulièrement sur les pathologies vasculaires périphériques et cardiaques. Madame Toumoulin a également été membre cofondatrice du Laboratoire international associé (LIA) «Information Biomédicale sino-français» en 2006 entre les laboratoires LTSI et LIST de l'université du Sud-Est de Nankin, en Chine. Elle a par ailleurs été assistante éditoriale de la revue IEEE T-BME de 1996 à 2001, éditrice associée pour la même revue de 2002 à 2007 puis pour la revue «Innovation in Research & Biomedical Engineering» (IRBM – Elsevier Eds) de 2012 à 2016. Elle a également été membre du comité d'organisation de l'école d'été IEEE en imagerie biomédicale en 1996, 2000, 2002, 2004, et 2006, puis du congrès «Research in Imaging and Health Technologies» (RITS) en 2011 et 2013. Enfin, elle a été trésorière de la Société Française de Génie Biologique et Médical (SFGBM) de 2008 à 2013, puis vice-présidente de 2013 à 2015.

À l'issue de cette licence professionnelle, 70% des étudiants trouvent un emploi dans les entreprises partenaires, 15% poursuivent leurs études et les 15% restant s'engagent dans un autre type de carrière, par exemple dans le management.

Mesures. En quoi consiste ce projet d'usine école que vous êtes en train de mettre en place au sein du département GEII (Génie électrique et informatique industrielle) de l'IUT de Rennes et de la licence professionnelle «Mécatronique & Robotique»?

Christine Toumoulin. Le projet usine école «Outils de production intelligents » que nous mettons sur pied actuellement au département GEII de l'IUT de Rennes peut se définir comme un centre de formation consacré à l'usine du futur et dédié à la formation initiale, en alternance, ou continue, à destination des étudiants de niveaux Bac à Bac + 5, des salariés et des personnes en reprise d'étude. Ce projet vise à répondre de façon novatrice au besoin d'articulation du tissu économique local avec celui de l'enseignement et de la recherche. L'objectif à travers ce projet est de contribuer à revaloriser l'industrie et à améliorer l'attractivité des métiers industriels auprès des étudiants, mais également d'accompagner les entreprises dans l'innovation et l'amélioration de leur compétitivité par le développement des compétences de leurs salariés.

Il s'agit d'un concept innovant en termes de formation dans le sens où cette usine école sera construite à partir d'équipements industriels permettant d'immerger les apprenants dans un environnement industriel et de les faire travailler sur des problématiques concrètes qu'ils rencontreront dans leur environnement professionnel. Plus généralement, cette usine école permettra d'illustrer à nos étudiants, au travers d'activités pédagogiques, les concepts de l'usine du futur,de montrer aux nouvelles générations les nouvelles technologies qui intègrent l'industrie afin d'améliorer l'attractivité des métiers industriels, de développer la formation continue pour permettre aux salariés des entreprises partenaires d'évoluer et de s'adapter aux évolutions technologiques, mais aussi et surtout de faire évoluer les formations pour les adapter aux besoins socio-économiques et anti-ciper la transformation des métiers. En somme, nous préparons ces futurs acteurs de l'industrie que sont nos étudiants, mais aussi les salariés, à entrer dans l'ère de l'industrie du futur.

Mesures. Qu'est-ce qui fait la spécificité de ce projet?

Christine Toumoulin. L'usine école a pour vocation de représenter un écosystème industriel centré sur l'outil de production, doté des dernières technologies en matière d'automatisation de process, et s'appuyant sur les technologies de l'information et de la commu-nication (TIC) pour collecter et traiter des informations relatives aux processus de production et aux produits dans un objectif de performance industrielle. Bref, il est question ici d'opérer le lien entre les technologies de l'information (IT) et les technologies de la production industrielle (OT).

Il s'agit plus précisément de mettre en place une ligne d'assemblage et de conditionnement numérique intelligente. L'intelligence sera intégrée aux procédés et aux outils ainsi qu'aux produits. Les données résultantes seront traitées, véhiculées et gérées par un système d'information de production intelligent capable de prise de décision et échangeant des informations de manière autonome entre les machines, les systèmes de gestion des entrepôts et le système de production. La formation sera organisée autour de plusieurs entités: un système d'approvisionnement de pièces automatisé, des postes d'assemblage et d'encaissage comportant un système d'acheminement des différentes pièces et un magasin d'alimentation de caisses préformées, des systèmes de convoyage intégrant des fonctions intelligentes d'aiguillage, des postes de contrôles qualité,un transstockeur auto-matisé, un robot de « dévracage », un robot collaboratif, ainsi qu'un robot mobile pour retour de pièces dans le magasin d'approvisionnement.

Mesures. Quelles seront les thématiques abordées?

ChristineToumoulin. Les thématiques abordées sont très vastes car elles doivent couvrir tout l'éventail des compétences que l'on attend chez un jeune diplômé formé pour travailler autour de la thématique de l'usine du futur. Elles vont de la programmation des automates et de la supervision, des servomoteurs,des entraînements moteurs, des variateurs et du contrôle de mouvement jusqu'au suivi de la production (ordonnancement des opérations, traçabilité des produits, traçabilité des opérations machines, lien entre flux physiques et flux d'information, etc.), de la qualité et de l'analyse de la performance, en passant par les capteurs communicants et intelligents, le paramétrage et les communications réseaux (ASI, IO-Link, EtherCAT, Ethernet/IP, Profinet, etc.) et la communication entre systèmes (diagramme d'échanges, chronogramme, etc.). Le fonctionnement en mode dégradé,les systèmes de transfert de pièces avec aiguillage et les systèmes d'accumulation par ordonnancement dynamique local figurent également au programme. De même que les bases de données SQL (structure, interrogation, écriture), les interfaces homme-machine (IHM) sur base serveur Web/tablettes et les technologies de traçabilité, type code à barres, QR code, RFID. Sans oublier la gestion de maintenance, la gestion des stocks, des approvisionnements et des commandes, la sécurité informatique et fonctionnelle, ainsi que la surveillance et la gestion énergétique.

Mesures. Parmi les thématiques importantes de cette formation, les capteurs IO-Link figurent en bonne place. En quoi sont-ils si importants dans le cadre de cette formation?

Christine Toumoulin. Les capteurs et actionneurs IO-Link communicants et intelligents, seront intégrés à tous les niveaux de la chaîne. Associés à des outils de supervision et de monitoring en temps réels, ils permettront notamment de sensibiliser les étudiants à l'efficacité énergétique au travers de l'étude de différents scenarii d'économie d'énergie. Ces scenarii sont basés sur la mise en place de méthodologies d'analyse pour identifier les sources de surconsommation et sur l'adaptation de l'alimentation des machines au besoin réel de la production via, par exemple, la programmation d'une mise en veille ou d'une extinction des machines ne produisant pas en continu, les jours fériés ou sur des tranches horaires variées (extinction le soir, le week-end, les jours fériés). Associés aux outils d'analyse et de traitement des données (data analytics), les capteurs permettent également de sensibiliser les étudiants à la maintenance prédictive et à ses avantages par rapport à la maintenance préventive et curative (réduction du temps d'immobilisation des machines, réduction des coûts, amélioration de l'efficacité énergétique, etc.).

Mesures. La robotique y joue également un rôle essentiel, en particulier les nouvelles formes de robotique.

Christine Toumoulin. Effectivement. Un robot collaboratif –en l'occurrence un modèle Yumi d'ABB– et un robot mobile de BA Systèmes seront intégrés à notre usine école afin d'illustrer le travail collaboratif entre l'homme et les robots et entre les robots. Chaque robot intègre des fonctions de sécurité (sécurité intrinsèque, capteurs, caméras…) pour sécuriser les interactions hommerobot.Le robot collaboratif sera placé sur un support permettant au robot mobile de le déplacer entre 2 postes: un poste «correction bac non conforme» et un poste «quai d'expédition». Le robot mobile se déplacera et évoluera de ma-nière autonome, au sein de la plateforme, sans intervention de l'opérateur. Les partenaires positionnés sur ce poste sontABB et BA Systèmes donc,mais également l'intégrateur robotique ARSN.

Mesures. Ce projet rencontre un beau succès auprès des industriels locaux. En quoi est-ce intéressant pour un industriel d'être partenaire de ce projet?

Christine Toumoulin. Il s'agit d'un projet collaboratif entre l'IUT de Rennes et des entreprises. Sa mise en œuvre, innovante dans sa démarche, est le fruit d'une collaboration entre un établissement public et des industriels reconnus sur le marché. Ces industriels sont des intégrateurs/ensembliers,des fabricants et fournisseurs d'équipements, des entreprises utilisatrices de technologies. Et le succès est effectivement au rendezvous puisqu'ils ne sont pas moins de 21 industriels à avoir rejoint le projet usine école. À savoir ABB, Actemium Rennes, ARSN, BA Systèmes, Clemessy, Electro Ouest, Groupe API, ifm electronic, Interroll, MS industrie, OET, Omron, Pilz, Phoenix Contact, Siemens, Sick, SPIE, Sterkelec, SMC Pneumatique, SVA Jean Rozé et Syleps. Cette collaboration s'appuie sur une dynamique basée sur une intelligence collective, dans laquelle chacun s'investit à la fois financièrement, mais également au ni-veau de la conception et de la réalisation des systèmes. Car il s'agit d'un lieu d'échange et d'expérimentation à la disposition des industriels où les entreprises pourront venir tester la faisabilité d'une nouvelle ergonomie de travail, mettre au point de nouveaux produits ou encore améliorer une technique de production. Les industriels pourront également y réaliser des études de faisabilité et des tests d'équipements innovants sur un site non contraint par une nécessité de production, mais aussi développer des démonstrateurs dans le cadre de projets collaboratifs de recherche (entreprises/écoles/centres d'études et de recherche) ou bien encore promouvoir une technologie auprès de clients potentiels (vitrine pour réaliser des démonstrations).

La licence professionnelle «Mécatronique & Robotique » de l'IUT de Rennes dispose d'une plateforme robotique particulièrement bien équipée (4 robots ABB et 4 robots Fanuc de dernière génération). Cette plateforme a été cofinancée par des fonds publics/privés en partenariat avec la région Bretagne et les entreprises ABB, Fanuc et ARSN.

Mesures. Quels éléments vous ont permis de concrétiser ce projet?

ChristineToumoulin. Ce projet a été rendu possible grâce à deux choses. En premier lieu grâce aux liens étroits construits avec les entreprises dans le cadre de la licence professionnelle «Mécatronique & Robotique». Depuis son passage à l'alternance, en 2008, notre objectif a été de travailler avec les entreprises pour faire évoluer le programme de formation afin de le mettre en cohérence avec les réalités industrielles du bassin d'emploi ; de rénover nos équipements pédagogiques afin de permettre à nos étudiants d'acquérir les compétences recherchées par les entreprises ; et enfin d'intégrer les industriels dans la formation pour les y faire participer,que ce soit sur des cours,mais également des TP.L'autre point essentiel dans la concrétisation de ce projet est le partenariat que nous avons mis en place avec le campus ESPRIT Industrie de Redon et la région Bretagne dans le cadre de l'accompagnement du campus dans la construction de formations. Le projet usine école « Outils de production Intelligents » bénéficie d'un cofinancement public/ privé au travers d'un Programme InvestissementAvenir (PIA) «Partenariat pour la formation professionnelle et l'emploi», bâti conjointement avec le campus ESPRIT Industrie.

Mesures. Pouvez-vous nous décrire plus précisément le rôle des indus-triels dans ce projet?

ChristineToumoulin. Citons l'exemple de la plateforme robotique. Elle a été cofinancée par des fonds publics/privés en partenariat avec la région Bretagne et les entreprises ABB, Fanuc et ARSN (intégrateur robotique localisé au Rheu et intervenant dans la formation). Cette plateforme représente un outil industriel dédié à la formation, également ouvert aux entreprises pour réaliser des études de faisabilité ou d'avant-projet sur des applications robotisées.Elle nous permet de former nos étudiants à la programmation des robots et à la sécurité machine, mais aussi à l'utilisation des robots dans un environnement applicatif, à la communication robot-caméra-automates selon différents protocoles, aux fonctions de convoyeur tracking, à la programmation de pinces Robotiq, etc. 40% de la formation est dispensée par des industriels. Ces derniers accompagnent les étudiants dans l'acquisition des compétences et partagent leurs expériences professionnelles. Cela constitue une véritable valeur ajoutée pour nos étudiants qui plébiscitent leur présence. Ces industriels participent également au conseil de perfectionnement et aux réunions pédagogiques pour aider à la construction du programme et des sujets de TP (ARSN,Actemium,BA Systèmes,Neotec Vision, Delta Prim, HTTPProject, Omron,SVA Jean Rozé,ACM Consulting pour le parcours ISAR).

Le parrainage de la formation représente une autre manière d'inviter les entreprises à nous rencontrer.Il donne l'occasion à une entreprise de tisser des liens plus étroits avec les étudiants en organisant des rencontres au travers de visites de sites,afin de présenter l'entreprise,de faire connaître les métiers, de partager les expériences professionnelles des salariés avec les étudiants. Ces actions permettent d'aider ces derniers à se projeter dans leur futur métier et à construire leur projet professionnel.L'UIMM a parrainé la formation pendant trois années et au travers de cette organisation patronale, trois industriels ont assuré à tour de rôle la fonction de parrain,en l'occurrence Deltadore, BA Systèmes et Sanden. Cette année, c'est l'entreprise Yves Rocher qui a pris le relais.

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