«Noussommesbienaucœur d'unerévolutionindustrielle»

Le 01/01/2016 à 15:00

Mesures. L'industrie du futur se prépare maintenant.C'est l'un des enseignements que l'on avait tiré de la table ronde organisée par la revue Mesures en octobre dernier, en entame de la soirée de remise des Palmarès technologiques. Partagez-vous ce point de vue ou estimez-vous qu'on en fait un peu trop en ce moment autour de cette thématique?

OlivierVallée. Je souscris tout à fait à ce point de vue. Il faut agir maintenant car nous sommes dans une phase de mutation de l'industrie. Lors des cinq prochaines années, le monde va changer autant qu'au cours des deux dernières décennies. Quelques chiffres pour s'en convaincre. Selon une étude du cabinet McKinsey, d'ici à 2020, un milliard de nouveaux consommateurs accèderont à la classe moyenne et génèreront un supplément de consommation de 8000 milliards de dollars, qui se traduira notamment par une augmentation de 30% de la consommation d'eau, de 50% de la consommation énergétique, de 80% de la consommation de métaux, et de 100% de la consommation de véhicules.Et qui dit consommation supplémentaire, dit fort accroissement de la demande en production industrielle, en ressources (énergie,matières premières, etc.) et en infrastructures. De quoi mettre une pression intense sur les industriels qui vont devoir composer avec l'augmentation de la demande d'une quantité limitée de ressources, ce qui va les inciter à éliminer les procédés de fabrication inefficaces et à investir massivement dans la productivité des ressources. Le cabinet McKinsey estime à quelque 1000 milliards de dollars par an l'investissement nécessaire pour rele-vertous ces défis. Et c'est effectivement maintenant que cela doit commencer.

Mesures. Au-delà de la montée en puissance des pays émergents qui va booster la consommation mondiale, la manière même de consommer est en train de changer radicalement dans les pays industrialisés.

Olivier Vallée, architecte solutions TCE chez Rockwell Automation France

DR

Après une formation technique (diplôme de technicien supérieur en automatismes industriels de l'IFACAP Lille), Olivier Vallée a débuté sa carrière en 1988 en tant qu'automaticien à la Société d'électricité et d'automatismes industriels (SEAI) à St Amand, en charge de la programmation et de l'installation de systèmes automatisés sur sites industriels. En 1991, il rejoint la société Tekelec Airtronic où il officie en tant qu'ingénieur chargé de la commercialisation de solutions dans le domaine de la productique. C'est en février 1995 qu'Olivier Vallée rejoint Rockwell Automation France. Il y occupait alors le poste d'ingénieur commercial et responsable de compte rattaché à l'agence de Lille, ce jusqu'en septembre 2000. Fidèle à la filiale française de l'automaticien américain, il a ensuite été en charge du développement de l'activité MES autour des solutions Factory Talk de Rockwell, puis responsable produits Visualisation, Interfaces opérateurs et PC industriels, avant de devenir responsable du marché Process Contrôle et du lancement de l'offre PlantPax. Depuis 2010, Olivier Vallée est architecte solutions TCE chez Rockwell Automation France.

OlivierVallée. Effectivement, on assiste depuis quelques années à un changement en profondeur du business model qui a prévalu au cours de ces trois dernières décennies, et qui a hissé au rang de Graal la production de volume à bas coût. En fait, nous sommes entrés il ya peu dans l'ère de la production à la demande qui impose aux industriels de s'adapter aux desiderata de leurs clients en personnalisant leurs produits. L'exemple le plus probant de cette nouvelle tendance ou, devrais-je même dire, de ce nouveau phénomène de société, est le smartphone. En sortie d'usine, rien ne ressemble plus à un iPhone ou à un Galaxy S6 qu'un autre iPhone ou un autre Galaxy S6. Mais mettez-les quelques heures entre les mains de leurs nouveaux acquéreurs et ils ne se ressembleront plus du tout, chaque propriétaire ayant personnalisé son smartphone à sa guise avec moult applications qui font que chaque appareil devient unique de par les fonctionnalités qu'il peut délivrer. Et bien sûr, cette personnalisation des produits doit s'opérer sans délais supplémentaires, ni surplus de coût,sinon le consommateur ne l'accepterait pas. Le coût de fabrication d'un équipement ou d'un appareil produit à un exemplaire ne doit pas excéder le coût d'un produit réalisé à 1000 exemplaires. C'est d'ailleurs l'un des avantages des procédés de fabrication additive (ou impression 3D, ndlr). La personnalisation des produits gagne d'autres secteurs de l'industrie tels que l'automobile, les vêtements de sport, etc.

Mesures. L'industrie du futur est une thématique particulièrement importante pour l'Europe. Comment se positionnelaFrancedanscecontexte? Olivier Vallée. En Europe, l'industrie reste un secteur d'activité important puisqu'il génère encore 16% du produit intérieur brut du continent. Mais cette part ne cesse de s'effriter et il devient urgent d'inverser la tendance car une zone où la part de l'industrie est trop faible n'est jamais prospère. S'il existe des programmes équivalents aux Etats-Unis, mais aussi en Chine, l'industrie du futur se décline suivant différents programmes à travers l'Europe ( voir illustration en page 24,ndlr ). Sur notre continent, tout est parti d'Allemagne avec le programme Industrie 4.0 lancé par Angela Merkel en 2012. En France, le projet du gouvernement français pour désigner ce renouveau de l'industrie porte le nom d'Alliance industrie du futur. Mais quel que soit le nom choisi, nous parlons tous de la même chose: des moyens pour rendre notre industrie plus efficace en termes de productivité, tout en maîtrisant sa consommation d'énergie et de matières premières, et en satisfaisant les exigences toujours plus drastiques des consommateurs. Mais si l'on regarde d'un peu plus près, tous les pays d'Europe n'ont pas le même niveau de préparation pour l'industrie du futur. Selon le cabinet Roland Berger, on peut classer les pays européens en quatre grands groupes ( voir illustration en page 26, ndlr ). Il y a les «meneurs», c'est-à-dire les pays déjà fortement industrialisés et qui sont prêts à mettre en application les préceptes de l'industrie du futur. On y trouve sans surprise l'Allemagne et l'Autriche, mais aussi la Suède et l'Irlande. On trouve ensuite les «conservateurs», à savoir les pays qui sont fortement industrialisés, mais qui restent dans une vision assez traditionnelle de l'industrie. Ce sont essentiellement les Pays de l'Est. Il y a ensuite le groupe des «hésitants». Ce sont des pays qui disposent d'une industrie assez développée, mais qui hésitent encore à franchir le pas de l'industrie connectée. Ce groupe rassemble les pays du Sud et certains pays de l'Est. Enfin, le dernier groupe, celui des « outsiders », est constitué de pays dont la part de l'industrie est assez faible dans le PIB, mais qui sont relativement bien avancés dans leur réflexion pour s'attaquer à l'industrie du futur et ainsi redorer le blason de leur industrie. C'est dans ce groupe que l'on trouve le Royaume-Uni et la France notamment.

Mesures. Peut-on parler véritablement de révolution industrielle?

OlivierVallée. Les précédentes révolutions technologiques ont toujours été marquées par des ruptures technologiques. La première a vu le jour à la fin du XVIII e siècle grâce à l'avènement des machines à vapeur. La deuxième, au début du XX e siècle, est liée à la généralisation de l'utilisation de l'électricité et à la production à la chaîne avec le Taylorisme. Quant à la troisième, elle est intervenue à partir des années 1970 avec l'arrivée de l'électronique dans les usines et de la production automatisée et robotisée. Aujourd'hui, nous basculons dans une usine où les machines sont connectées et où convergent plusieurs technologies liées à l'Internet des Objets, au Big Data, à la cobotique (ou robotique collaborative, ndlr), à l'impression 3D, etc. Une telle convergence de technologies nouvelles et le fait que les données deviennent prépondérantes par rapport aux machines font qu'à mon sens, c'est bien d'une révolution industrielle dont il s'agit.

Lorsqu'en 2008, Rockwell a lancé son programme de transition vers l'industrie du futur, programme baptisé «Entreprise connectée», l'objectif était de développer une plate-forme unique d'optimisation du groupe à l'échelle mondiale. Des résultats probants ont d'ores et déjà été obtenus.

RockwellAutomation

Mesures. Le groupe Rockwell Automation a décidé d'appliquer à lui-même les principes de l'industrie du futur. Pouvez-vous nous parler de ce projet?

Olivier Vallée. Permettez-moi avant tout chose de préciser quelques éléments à propos de RockwellAutomation qui permettront de faire comprendre à vos lecteurs l'intérêt d'appliquer à nousmême les principes de l'industrie du futur. Comme vous le savez, Rockwell est une entreprise spécialisée dans l'informatique et l'automatisation industrielles et qui fournit des solutions à des secteurs aussi variés que l'agroalimentaire, le traitement du pétrole ou l'automobile pour n'en citer que quelques-uns. Nous sommes donc avant tout une entreprise industrielle qui fabrique des produits. Environ un tiers des 22500 employés de l'entreprise travaille dans nos 20 sites de production répartis à travers le monde, et gère un catalogue de produits de près de 400 000 références. Les produits de l'entreprise ont une durée de vie moyenne de 20 ans et une commande moyenne comprend environ 200 articles, avec des délais de livraison allant de quelques jours à plusieurs mois. Comme beaucoup de groupes industriels de ce type et de cette envergure, nous avons investi beaucoup d'argent au début des années 2000 dans des outils permettant d'optimiser nos opérations, et cela à deux niveaux. D'une part au niveau de la production avec, dans un premier temps, l'optimisation de l'automatisation des lignes de fabrication –ce qui passe par l'utilisation de machines plus performantes et d'une architecture intégrée– et dans un deuxième temps, l'optimisation des opérations à l'échelle de chaque usine avec l'utilisation d'un réseau unique, en l'occurrence EtherNet/IP, en lieu et place des trois réseaux que nous utilisions auparavant. D'autre part, nous avons aussi beaucoup investi à cette période dans des outils de gestion des différents sites de l'entreprise tels que des logiciels de planification des ressources de production (MRP), de gestion de la chaîne logistique (SCM) et de gestion intégrée (ERP).

Mesures. A ce stade on ne peut pas encore parler d'industrie du futur… OlivierVallée. Non effectivement. Car au-delà du fait qu'aucune connexion, aucune convergence, n'existait entre les technologies de l'information (IT), qui permettent une bonne gestion de l'entreprise, et les technologies opérationnelles (OT), qui optimisent les outils et les chaînes de production, chacune de nos usines disposait de ses propres outils d'optimisation et ne communiquait pas avec les autres. Lorsqu'en 2008, nous avons lancé notre programme de transition vers l'industrie du futur, programme que nous avons baptisé «Entreprise connectée», l'objectif était justement d'établir des connexions à la fois verticales (entre l'entreprise et la ligne de production) et horizontales (entre sites ou entre usines) avec l'idée de développer une plate-forme commune unique à l'échelle mondiale. Nous savions qu'une stratégie globale à l'échelle de l'entreprise reliant nos usines nous per-mettrait d'avoir une meilleure visibilité sur nos opérations, d'améliorer les mesures de performances et les comparaisons entre les usines, et de prendre de meilleures décisions aux meilleurs moments, décisions fondées sur des données fiables et incontestables.

Mesures. Concrètement, comment avez-vous procédé?

Olivier Vallée. Pour déployer un seul système connecté à l'échelle mondiale, Rockwell Automation a dû revoir son approche de l'infrastructure de réseau. L'entreprise a décidé de mettre en œuvre le protocole réseau EtherNet/IP, un standard ouvert que nous utilisions déjà au niveau de nos lignes de production et qui permet d'établir une interopérabilité sécurisée entre les réseaux informatiques d'entreprise et les applications industrielles. A partir de cela, nous avons développé, en partenariat avec Cisco, une architecture réseau globale sécurisée baptisée CPWE (Convergence PlantWide Ethernet). Par ailleurs, l'entreprise a également remplacé ses différents ERP dispersés dans ses usines à travers le monde par un seul ERP global capable de gérer facilement les nombreux systèmes en place dans nos installations mondiales. Le nouveau système standardisé fournit des processus et des points de référence pour mesurer en permanence les performances dans toutes les installations. Parallèlement à ce nouvel ERP, Rockwell Automation a déployé un nouveau système de gestion de la production (MES) pour standardiser les processus de tous ses sites de production. L'entreprise a choisi d'employer son propre logiciel FactoryTalk ProductionCentre, qui utilise un moteur de workflow extensible et un modèle opérationnel pouvant évoluer au rythme des opérations. La grande flexibilité de ce logiciel permet également de prendre en charge les divers processus nécessaires pour fabriquer la large gamme de produits de l'entreprise. Rockwell Automation a également déployé son logiciel d'intelligence manufacturière d'entreprise (EMI) FactoryTalkVantagePoint, qui suit et enregistre les données, et peut aider à identifier les tendances de la production. Le système combiné MES-EMI place des informations provenant de centaines d'applications dans un seul emplacement centralisé. Il fournit aux employés des informations compréhensibles et exploitables qui leur permettent d'apporter des améliorations et d'analyser en temps réel les indicateurs de performance clés, tels que la qualité, les performances de production et la gestion du workflow.

Mesures. Quels sont les résultats obtenus ?

Olivier Vallée. Rockwell Automation continue de déployer l'Entreprise Connectée dans toutes ses usines et a d'ores et déjà constaté de nombreuses améliorations sur les sites où le nouveau système a été mis en œuvre. L'entreprise a notamment diminué son coût total de possession, ce qui lui a permis de réduire son délai de roulement des stocks de 120 à 82 jours et d'économiser chaque année 30% des coûts en capital. L'entreprise a également réduit ses délais de commercialisation, avec des délais de livraison divisés par deux. En outre, l'entreprise estime avoir amélioré sa productivité annuelle de 4 à 5%. Le transit des données en entrée et en sortie du système d'ERP via la plate-forme MES a entraîné une baisse continue des délais de résolution des problèmes et a contribué à alléger les opérations. Cela a permis d'améliorer l'efficacité de la production, ce qui constitue un facteur clé dans la rentabilité de tout fabricant. Rockwell Automation a également fait profiter ses clients des avantages de l'Entreprise Connectée. Le taux de livraisons dans les délais est passé de 82 à 98%, et le nombre de défauts en parties par million a été divisé par deux grâce à l'amélioration de la qualité. Rockwell Automation prévoit de déployer son nouveau système dans 95% de ses installations au cours de ces deux prochaines années. Et même une fois ce but atteint, nous considérerons encore que l'Entreprise Connectée est un effort continu nécessitant de définir de nouveaux objectifs et de s'engager pour une amélioration continue. Pour nous, l'Entreprise connectée est la révolution industrielle du XXI e siècle. Elle offre de nombreux avantages concurrentiels qui seront impératifs pour les fabricants au cours des années à venir, tels que la découverte de nouvelles opportunités d'augmentation de la production mondiale, le soutien des efforts de durabilité et l'amélioration de la flexibilité.

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