Les débitmètres à effet Vortex

Le 01/06/2015 à 13:30

L'essentiel

Bien qu'elle soit connue depuis des dizaines d'années, la technologie à effet Vortex ne représente qu'une toute petite part de marché de la débitmétrie industrielle.

Ces dernières années, le segment de marché connaît une croissance liée notamment à l'intérêt grandissant des industriels pour l'efficacité énergétique.

Les débitmètres à effet Vortex sont aussi «universels » que les autres technologies, compte tenu de leur principal point faible dans les faibles débits.

Parmi les évolutions, les efforts ont porté sur le développement d'appareils multi-paramètres, une électronique améliorée pour le diagnostic, l'IHM…

Le marché de la débitmétrie industrielle est l'un des secteurs où il se passe toujours quelque chose… Pour preuve encore, dans le domaine des débitmètres à effet Vortex cette fois, pas moins de quatre fabricants ont lancé ces derniers mois une nouvelle série d'appareils : l'helvético-suédois ABB avec les gammes FSS/FSV4x0, les allemands ifm electronic (séries SV) et Krohne (Optiswirl 4200), ainsi que le suisse Endress+Hauser avec le Proline Prowirl F 200. Sans compter par ailleurs que l'américain Badger Meter a renommé sa ligne de produits, où l'on retrouve des débitmètres à effet Vortex, en Flow Instrumentation –il s'agissait en fait d'unifier l'ensemble des gammes de produits (Blancett, Cox, Data Industrial, Dynasonics, Flo-tech, Flow Dynamics, Hedland, Preso et Research Control Valves ou RCV) acquises notamment ces dernières années. Et, en 2013, l'américain Onicon a été racheté par son compatriote Harbour Group, pour un montant non dévoilé. Créé en 1987, Onicon est spécialisé dans les débitmètres électromagnétiques, thermiques, à ultrasons, à effet Vortex et à turbines, ainsi que dans les mesureurs BTU ( British Thermal Unit ).

Si cette certaine effervescence traduit un segment de marché assez actif, il n'en demeure pas moins que ce serait plutôt l'arbre qui cache la forêt. L'une des particularités de la mesure de débit industrielle est la variété des technologies susceptibles d'être mises en œuvre: l'effet Coriolis, l'électromagnétique, les organes déprimogènes, les turbines, les ultrasons, le thermique massique, l'effet Vortex, les ondes acoustiques de surface, etc. Si l'on entend parler en général plus souvent des débitmètres électromagnétiques, à effet Coriolis, à pression différentielle ( P), par exemple, chacun avec ses avantages et ses limitations selon les applications, d'autres technologies peuvent être perçues comme les parents pauvres de la débitmétrie, à l'image de l'effetVortex encore maintenant. Bien souvent associés (cantonnés ?) aux applications de vapeur, ces débitmètres se révèlent pourtant être une solution bien adaptée pour la mesure sur des liquides ou des gaz.

Petit retour dans le temps pour mieux comprendre la situation actuelle. « Yokogawa Electric est l'inventeur de ce principe de mesure à la fin des années 1960 (1968 pour être plus précis). Il s'agissait de trouver une alternative à la mesure de débit par des organes déprimogènes (plaque à orifices, tube de Venturi, etc.), évitant ainsi des montages compliqués et augmentant par la même occasion la rangeabilité, pour les applications de comptage vapeur notamment » ,rappelle Stéphane Gromada, responsable produit Débitmètre Instrumentation chez Yokogawa France. « Les fabricants furent confrontés à des réticences normales de la part des industriels, parce que les premiers débitmètres à effet Vortex souffraient beaucoup des problèmes de vibrations des tuyauteries, des pompes. Les mesures étaient alors perturbées, d'où une mauvaise réputation, comme pour les débitmètres à ultrasons à montage externe d'ailleurs », poursuit David Cohen, directeur du distributeur Engineering Mesures.

Les utilisateurs devaient mettre en œuvre différentes astuces pour s'affranchir de ces problèmes de vibrations, tels que des systèmes d'amortissements, des outils électroniques, le travail dans une plage de mesure donnée, etc. « Nous n'étions pas forcément conscients de certains des problèmes, comme les coups de bélier dans les circuits de vapeur, par exemple. Un autre fait qui a freiné l'adoption des débitmètres à effet Vortex est que la vapeur est un fluide un peu mystérieux pour beaucoup de personnes », ajoute Claude Schelcher, chef de marché Energie chez Endress+Hauser France. Ce qu'approuve d'ailleurs Sandrine Guychard, chef de produits Mesure de pression et Débit au sein de l'activitéAnalyse et Instrumentation d'ABB France: « Si un client a essuyé des déconvenues, il nous faut faire deux fois plus de travail pour le convaincre,d'autant que les clients ont du mal à entendre que ce n'est pas la technologie qui est en cause, mais plutôt l'application ».

Un tout petit marché, mais plutôt en croissance

Qui dit débitmètre à effet Vortex ne dit pas uniquement mesure de débit sur de la vapeur. La technologie peut aussi bien être mise en œuvre sur des applications faisant intervenir des liquides (l'eau déminéralisée, en particulier) ou des gaz. D'où l'éventail potentiel très grand des industries concernées : énergie, agroalimentaire, pétrole et gaz…

EndressHauser

« Il est maintenant exceptionnel d'avoir des sources de vibrations susceptibles de réellement perturber un débitmètre à effet Vortex, et l'instrumentiste doit aussi faire confiance à la mesure délivrée comme avec un débitmètre électromagnétique », confirme Jean-François Vittu, responsable produits Débit, Densité et Viscosité chez Emerson Process Management France. « S'ils étaient encore frileux, du fait qu'ils connaissaient et maîtrisaient bien mieux les plaques à orifices que l'effet Vortex, les industriels mettent en œuvre, depuis bientôt deux ans, des débitmètres à effet Vortex dans des sites pilotes sur l'efficacité énergétique », indique Romuald Brienne, responsable Produits et Marchés chez Krohne France. Dans l'Hexagone, le marché croît en effet depuis ces dix dernières années, avec une accélération liée à la mise en place de la directive européenne 2012/27/UE sur l'efficacité énergétique et à la certification selon la norme NF EN ISO 50001. « Les industriels ont découvert qu'il y avait pas mal d'économies à faire dans ce domaine-là », ajoute-t-il. D'autres fabricants s'accordent à dire que le marché des débitmètres à effet Vortex connaît actuellement une embellie. Pour EdilAlvarez, chef produits chez ifm electronic France, « Sur les huit dernières années, le marché français a doublé, grâce à l'efficacité énergétique bien sûr, avec des appareils intégrant à la fois les mesures de débit et de température et donc très intéressants pour la mesure de la consommation.» Mais le segment de marché, où l'on retrouve également des fabricants comme Grundfos, Huba Control, Kobold, Sika ou SMC, ne représente que 1% du poids global de l'instrumentation. Même constat dans le domaine des procédés industriels : « Le marché des débitmètres à effetVortex continue de croître, mais à un rythme moindre que ceux des technologies à effet Coriolis et à ultrasons. Et les principaux acteurs demeurent les mêmes depuis de nombreuses années », précise Gérard Bottino, chef des ventes mondiales Débitmétrie chez GE Measurement & Control.

Principe de fonctionnement d'un débitmètre à effet Vortex

Comme son nom l'indique, le principe de mesure d'un débitmètre à effet Vortex s'appuie sur la création de tourbillons (vortex en anglais) au moyen d'un élément perturbateur au sein même de la canalisation (un barreau). Un capteur piézoélectrique situé en aval mesure la fréquence de formation des tourbillons, la fréquence d'oscillation du capteur piézoélectrique étant une fonction directe de l'écoulement pour une largeur du barreau et une section de canalisation connues, d'où la détermination du débit volumique. Il s'agit en fait de l'exploitation de l'allée de tourbillons de Karman. Mais, pour que des tourbillons puissent se former, il faut que l'écoulement du fluide à mesurer soit dans un régime turbulent, ce qui correspond à un nombre de Reynolds (Re) supérieur à 5 000. Rappelons que le nombre de Reynolds (Re) est un nombre sans dimension défini par la vitesse caractéristique du fluide V multipliée par la dimension caractéristique L et divisée par la viscosité cinématique du fluide (qui est le rapport entre la masse volumique du fluide et sa viscosité dynamique µ) qui caractérise un écoulement, en particulier la nature de son régime.

Les trois premiers fabricants sont ainsi l'américain Emerson Process Management, Endress+Hauser (n°2 dans le monde et n°1 en France) et le japonaisYokogawa (n°1 en Asie), qui représentent à eux trois environ 75% des parts de marché mondiales. On peut ensuite citer ABB, Krohne, Foxboro (Invensys racheté par le groupe français Schneider Electric), GE Measurement & Control, Siemens, Spirax Sarco, etc. Selon les chiffres communiqués, le marché mondial s'élèverait entre 300 et 350 millions de dollars, en progression de 6 à 7%, tandis que le marché français atteindrait juste un chiffre d'affaires estimé de 3,8 millions d'euros (Me) en 2014. S'il y a eu une progression entre 2005 et 2010, passant de 2,2 à 3Me, le marché reste plus ou moins stable depuis 2011… « Même si le segment de marché des débitmètres à effet Vortex a connu une progression en France en 2009 et 2010, depuis cette période, la croissance est très faible, tous constructeurs confondus. Et, même si l'efficacité énergétique est un sujet à la mode, les parts de marché de la technologie Vortex sont inférieures à 5 % du marché français total. Nous ne voyons en effet pas les vecteurs de croissance que l'on constate ailleurs » , explique Cyrille Nolot, directeur commercial et marketing de l'activité Analyse et instrumentation d'ABB France.

Les débitmètres à effet Vortex sont en effet un petit marché –pour donner une idée, le marché européen de l'ordre de 30Me est plus petit que celui des débitmètres électromagnétiques en France. Pour Stéphane Gromada (Yokogawa France), « le nombre limité d'applications par rapport à celles des autres technologies de mesure de débit (effet Coriolis et ultrasons en tête) est l'une des raisons de la stabilité globale du secteur.» Jean-François Vittu (Emerson Process Management France), lui, voit toutefois deux raisons d'espérer: « Nous voyons frémir le marché du côté des débitmètres à effet Vortex d'entrée de gamme et des mesures très techniques (modèles haut de gamme répondant à des contraintes très strictes en termes de normes, de sécurité, de matériaux) pour l'énergie, le pétrole et gaz ».

Une technologie aussi « universelle » que les autres

Contrairement à ce que d'aucuns peuvent penser, qui dit Vortex ne dit pas forcément vapeur. Il est vrai que les applications dans lesquelles on retrouve des débitmètres à effet Vortex sont le plus souvent des installations mettant en œuvre de la vapeur, de la vapeur saturée ou de la vapeur surchauffée. Mais, comme on le verra également en s'intéressant de plus près aux avantages et limitations de la méthode de mesure, le spectre des applications d'un débitmètre à effet Vortex s'étend bien au-delà de la vapeur. « Pour les applications OEM (machines, petites applications, etc.), les principales applications concernent évidemment la vapeur, sous hautes pressions et/ou températures (groupes froid, échangeurs…), l'eau déminéralisée et, plus généralement, les liquides non visqueux. Comme l'eau déminée n'est pas conductrice, un débitmètre électromagnétique ne peut pas convenir », explique Jacques Marionneau, directeur général de Kobold Instrumentation, dont la maison mère allemande a racheté son compatriote Heinrichs Messtechnik en 2008. Par contre, pour la mesure de débit sur de l'eau « normale », un débitmètre électromagnétique restera toujours plus intéressant économiquement qu'un modèle à effetVortex.

Pour Emerson Process Management France, le marché frémit du côté des débitmètres à effet Vortex d'entrée de gamme et des mesures très techniques (modèles haut de gamme répondant à des contraintes très strictes en termes de normes, de sécurité, de matériaux) pour l'énergie, le pétrole et gaz.

Emerson Process Management

Yokogawa Electric est l'inventeur du principe de mesure à la fin des années 60. Il s'agissait à l'époque de trouver une alternative à la mesure de débit par des organes déprimogènes, évitant ainsi des montages compliqués.

Yokogawa

EdilAlvarez (ifm electronic France) fait d'ailleurs le même constat, ajoutant qu' « en plus de fonctionner sur tous les fluides - du moment que l'on choisisse le matériau le mieux adapté pour le capteur - , c'est le côté économique de la technologie Vortex qui permet de répondre aux applications mécaniques,un marché cible chez nous,et aux nombreuses applications où des débitmètresTOR étaient mis en œuvre.» Dans le domaine des procédés, et non plus du manufacturier, on retrouve par ailleurs des débitmètres à effet Vortex utilisés pour tous types de liquides, vapeur et gaz. « Parmi les très nombreux secteurs,on trouve bien entendu le pétrole et gaz, le raffinage et la pétrochimie, ainsi que tout ce qui touche aux utilités (cartographie du réseau vapeur ou d'air comprimé d'une usine, contrôle du rende-ment d'un compresseur, NDLR) et la sidérurgie (azote, hydrocarbures gazeux, fluides cryogéniques, méthane, gaz naturel…) », confirme Gérard Bottino (GE Measurement & Control France). Certains dérivés pétroliers ne sont toutefois pas adaptés aux débitmètres à effet Vortex, en raison d'une viscosité trop élevée, par exemple de l'huile à température ambiante.

« En fait, tous les fluides servant à faire tourner une usine, que les liquides soient chauds ou non, etc. Toutes les industries sont donc concernées en France : l'agroalimentaire, la pharmaceutique, l'énergie, la papeterie », renchérit Claude Schelcher (Endress+Hauser France). Il ne faudrait pas croire, au vu de ce que l'on vient de dire, que la méthode à effet Vortex soit la technologie universelle pour la mesure de débit. Comme toutes les autres méthodes existantes, elle se distingue par des avantages et quelques limitations. Avant d'aller plus loin, faisons un rappel sur le principe de mesure lui-même. Le concept d'un débitmètre à effet Vortex s'appuie sur la création de tourbillons ( vortex en anglais) au moyen d'un élément perturbateur au sein même de la canalisation (un barreau). Un capteur piézoélectrique situé en aval mesure la fréquence de formation des tourbillons, la fréquence d'oscillation du capteur piézoélectrique étant une fonction directe de l'écoulement pour une largeur du barreau et une section de canalisation connues, d'où la détermination du débit volumique (voir encadré page 42) . Il s'agit en fait de l'exploitation de l'allée de tourbillons de Karman.

Compte tenu du principe de mesure, le premier avantage d'un débitmètre à effet Vortex est donc, rappelons-le, la possibilité de travailler aussi bien sur des liquides, de la vapeur et des gaz, à des températures com-prises entre - 200 et +450°C et des pressions jusqu'à 250 bar, voire au-delà. « L'utilisation d'un barreau monobloc, intégrant deux capteurs piézoélectriques scellés hermétiquement et associé à un raccord process non soudé, mais usiné selon le besoin du client, assure une très bonne robustesse. Certains de nos appareils fonctionnent depuis 20 ans sans étalonnage », affirme Stéphane Gromada (Yokogawa France). Pour la mesure de la fréquence des tourbillons, Endress+Hauser a privilégié une autre technologie : « La particularité de nos modèles est la mise en œuvre d'une technologie capacitive équilibrée. Contrairement aux débitmètres concurrents, nos éléments de mesure sont ainsi moins sensibles aux vibrations et plus résistants aux coups de bélier, à l'encrassement, etc. Et les facteurs d'étalonnage sont garantis à vie », explique Claude Schelcher (Endress+Hauser France).

Vers des appareils toujours plus multiparamètres

Autre avantage lié aux aspects mécaniques, de par le principe de mesure, un débitmètre à effet Vortex est un appareil facile à installer (montage en ligne ou à insertion, version sandwich ou à bride, etc.). Kobold a même ajouté, en option pour son modèle DVE, un système de rétraction en ligne sous pression, évitant ainsi de prévoir l'installation d'un bypass dont le coût peut vite être très élevé entre la tuyauterie, les vannes, etc. pour des grands diamètres nominaux (DN400). « Et il n'y a plus de pièces en mouvement,comme c'était le cas avec les roues ovales et les turbines, ce qui accroît la fiabilité et nécessite peu voire plus du tout de maintenance », indique Edil Alvarez (ifm electronic France). Pour Cyrille Nolot (ABB France), dépanner un débitmètre à effet Vortex est plus compliqué que d'intervenir sur un organe déprimogène - une plaque à orifices est facile à sortir et peut être vérifiée avec un pied à coulisse… « Comme nos petits modèles DVZ sont destinés à remplacer en lieu et place des débitmètres à turbine, ils présentent le même encombrement, avec les prix qui vont avec, à savoir moins de 500 euros », rappelle encore Jacques Marionneau (Kobold Instrumentation). Jean-François Vittu (Emerson Process Management France) est toutefois plus nuancé: « Si les débitmètres à effet Vortex sont intéressants en termes de prix en deçà de DN150, les coûts augmentent très rapidement avec les diamètres nominaux plus élevés. Il faut en effet compter 2 000 ou 3 000 e au-delà de 4 pouces ».

A l'image d'ifm electronic pour sa nouvelle série SV, qui intègre un écran TFT, et non un simple afficheur traditionnel, les fabricants développent aujourd'hui des débitmètres à effet Vortex dotés d'interfaces utilisateur plus conviviales et plus modernes.

ifmelectronic

En termes de spécifications métrologiques, la rangeabilité d'un débitmètre à effet Vortex est bien supérieure à celle que peuvent proposer des modèles à organes déprimogènes, pour la vapeur - c'est l'origine de l'existence des débitmètres à effet Vortex - ; la dynamique de mesure atteint 10: 1 à 30: 1 pour la vapeur et les gaz et même 40: 1 pour les liquides. La situation est similaire avec l'incertitude de mesure: la moyenne pour un débitmètre à effetVortex se situe entre 0,75% de la mesure et 2% de la pleine échelle, tandis qu'un débitmètre à effet Coriolis peut facilement descendre à 0,1% de la mesure - mais la technologie Coriolis ne permet pas de travailler jusqu'à +450°C et le budget est sans commune mesure avec celui de la technologie Vortex - et qu'un débitmètre électromagnétique restera toujours plus précis sur de l'eau… « En plus d'une relative faible perte de charge, un autre intérêt des débitmètres à effetVortex est la présence d'une compensation possible en température, via une sonde intégrée, et/ou en pression, afin d'obtenir des débits en volume corrigés ou bien des débits massiques de la vapeur », met par ailleurs en avant Gérard Bottino (GE Measurement & Control France).

« L'une des évolutions de ces trois, cinq dernières années est en effet l'ajout dans les débitmètres à effet Vortex d'une mesure de débit volumique corrigée ou de débit massique. Cela a changé un peu la donne parce que les organes déprimogènes (diaphragmes, tubes de Pitot moyenné ou tubes de Venturi) ne peuvent pas intégrer de mesures de température et de pression. C'était une demande que j'avais formulée il y a déjà une trentaine d'années, mais les indus-triels, frileux, ne comprenaient pas la différence de prix entre les organes déprimogènes et les débitmètres à effet Vortex », constate David Cohen (Engineering Mesures). Romuald Brienne (Krohne France) cite une application type pour ces appareils multiparamètres : « Beaucoup d'utilisateurs déterminent la quantité d'énergie de leur procédé (le pouvoir calorifique) en disposant des sondes de température en entrée et en sortie du process, ce qui nécessite d'amener les informations de température aux entrées 4-20 mA du débitmètre pour calculer la compensation ».

Avec le développement du Proline Prowirl 200 F ( voir Mesures n° 868 ),Endress+Hauser a franchi une nouvelle étape dans le concept d'appareil multiparamètres. « Nous nous sommes associés à une université dans le cadre d'une recherche fondamentale dont le but était de mieux connaître le fluide qu'est la vapeur et ce qui se passe dans une conduite. C'est ce qui nous à amenés à la mesure du titre vapeur,une information supplémentaire disponible pour l'utilisateur. Les industriels mettent en place des comptages, mais cela ne leur suffit plus : ils recherchent des informations qualitatives sur le fluide (titre vapeur avec la technologie Vortex,viscosité avec la technologie Coriolis) et non plus des mesures quantitatives (débits volumique et massique). Les utilisateurs sont ainsi capables de connaître la composition du fluide, de mieux gérer les composés biphasiques, de disposer d'une meilleure traçabilité.Par exemple,savoir que la conductivité a varié de 5 à 10 % signifie sûrement que le fluide a changé », explique Claude Schelcher (Endress+Hauser France). En intégrant plusieurs mesures dans un même appareil, on simplifie de facto le montage, parce qu'un seul et unique piquage est désormais nécessaire et non plus autant de piquages que de mesures.

Le principal point faible de la technologie Vortex est directement lié à la méthode de mesure elle-même. Il faut atteindre une vitesse d'écoulement minimale pour créer des tourbillons et donc réaliser une mesure de débit. Sinon les fabricants ont développé des astuces pour réduire les longueurs droites en amont et en aval…

GE

Le principal point faible tient dans les faibles débits

Evidemment, nulle technologie étant universelle, il faut bien parler ici des limitations propres à la technologie Vortex, même si elles ne sont pas si nombreuses que cela. C'est d'ailleurs ce qui peut paraître étrange quand on sait que les débitmètres à effet Vortex ne représentent qu'une très faible part de marché du secteur de la débitmétrie industrielle. Le principal point faible est directement lié à la méthode de mesure elle-même: « Il faut en effet atteindre une vitesse d'écoulement minimale pour créer l'effet Von Karmann,c'est-à-dire pour créer des tourbillons.En deçà de cette vitesse minimale, il y a un “cut off” et aucune mesure n'est possible (contrairement à un organe déprimogène, NDLR) », indique Gérard Bottino (GE Measurement & Control France). C'est ici qu'intervient le nombre de Reynolds (Re). Il s'agit d'un nombre sans dimension qui caractérise un écoulement, en particulier la nature de son régime ( voir encadré page 42). Pour qu'un fluide se trouve dans un écoulement en régime turbulent et ainsi que des tourbillons réguliers soient générés, le nombre de Reynolds doit être au minimum de 5000. Sans quoi, soit on assiste seulement à la création de tourbillons irréguliers (écoulement en régime transitoire), soit aucun tourbillon ne peut se former (écoulement en régime laminaire correspondant à un nombre de Reynolds inférieur à 2 000). « Dans l'industrie, il est assez rare de rencontrer un fluide avec un écoulement en régime laminaire, à savoir avec un nombre de Reynolds très faible ou une très basse vitesse », précise David Cohen (Engineering Mesures). Le nombre de Reynolds explique également pourquoi la technologieVortex n'est pas appropriée aux liquides visqueux caractérisés par une valeur de Re faible.

Le fait de se trouver dans des conditions d'écoulement particulières impose un autre point faible. Les longueurs droites en amont et en aval sont bien plus importantes que celles d'un débitmètre électromagnétique ou à effet Coriolis (tube droit), par exemple. Par contre, c'est un autre atout de la technologieVortex comparée aux organes déprimogènes dont les longueurs droites en amont et en aval sont bien plus grandes. « Les utilisateurs doivent donc veiller aux contraintes d'implantation, en particulier dans le cas du remplacement d'un appareil sur une installation existante », souligne Claude Schelcher (Endress+Hauser France). Toujours dans la partie mécanique, les diamètres nominaux (DN) proposés sur le marché ne dépassent pas en général les DN300 pour les débitmètres en ligne; seuls quatre ou cinq fabricants ont dans leur catalogue respectif des modèles avec des diamètres nominaux supérieurs…

« Nous avons par ailleurs conçu des artifices mécaniques pour réduire les longueurs droites en amont et en aval et, donc, pour commencer de mesurer le plus bas possible.L'utilisateur ne se soucie ainsi plus de la nécessité d'une réduction d'une ou deux tailles et le matériel se monte plus facilement et pour un coût moindre », affirme Stéphane Gromada (Yokogawa France). Hormis l'intégration d'un système convergent/divergent,d'autres fabricants ont amélioré leur gamme avec des modèles tout inox, et non plus tout plastique, et au design plus ergonomique, tel qu'ifm electronic, ou encore des versions spéciales pour supporter les hautes pressions dans des projets d'injection de gaz à l'exportation, chez GE Measurement & Control. Jean-François Vittu (Emerson Process Management France), a identifié une autre tendance: « Nous avons fait des efforts importants sur l'équilibrage mécanique des masses pour que les débitmètres soient insensibles aux vibrations ; cela s'est notamment traduit par le développement de moyens de fabrication plus précis ».

Une électronique améliorée pour le diagnostic…

Si les caractéristiques mécaniques ont peu ou pas évolué ces dernières années, les évolutions des débitmètres à effet Vortex ont surtout porté sur la partie électronique. « Nos débitmètres à effet Vortex FSS430/450 et FSV430/450 intègrent un nouveau design de traitement du signal dont l'objectif est d'améliorer encore un peu plus les compensations en vibrations, en extrayant le signal pertinent du bruit, d'où une incertitude de mesure minimale de 0,5 %. Nous avons également ajouté des tables de données avec des compensations selon différents gaz - les facteurs de compensation sont alors plus complexes que la loi des gaz parfaits », explique Sandrine Guychard (ABB France). En améliorant ainsi la rangeabilité, il est possible d'atteindre une plage de travail de 20 à 100% de la plage nominale de travail pour une installation bien conçue, au lieu de 30 à 80%. Et donc de pouvoir mesurer des débits minimaux plus petits encore, sans pour autant descendre jusqu'à un débit nul.

Autre évolution, le déploiement des (auto) diagnostics dans les débitmètres à effet Vortex, comme d'ailleurs dans tous les autres types de transmetteurs de process. Grâce aux diagnostics, il est possible de savoir s'il n'y a pas de stress mécaniques sur la ligne ou autour, parasitant la fréquence d'oscillation (analyse spectrale du signal pour ajuster alors les filtres en conséquence). Ou encore des outils pour vérifier l'absence de dérive à cause d'un barreau endommagé, d'un problème électrique, etc. « Il est désormais donné pour certains diagnostics des valeurs limites entre lesquelles le fonctionnement est optimal et au-delà desquels les débitmètres se mettent en alarme. Dans tous les cas, les débitmètres “intelligents” doivent pouvoir indiquer à l'opérateur quel est leur état. On voit pour cela une tendance vers une conformité à la recommandation NAMUR NE 107 », explique Gérard Bottino (GE Measurement & Control France).

…et pour des interfaces utilisateurs plus modernes

Ce que confirme Sandrine Guychard (ABB France) en ajoutant que « cela permet de rendre plus facile la vie des utilisateurs via des messages d'erreur en clair,et non plus par un code dont il faut chercher la signification dans le manuel,la possibilité de passer en revue tous les paramètres en phase de configuration, de bloquer l'appareil au niveau matériel et logiciel (protection en interne),de mettre en œuvre une maintenance prédictive… » « Il s'agit également de rendre les appareils plus simples sans perte de confiance de la part des utilisateurs. Ils ont en effet beaucoup moins de temps », poursuit Cyrille Nolot. La société Endress+Hauser, elle, a développé la technologie Heartbeat qui permet de réaliser en standard le diagnostic en continu (sans arrêter le process) et en fonctionnement du débitmètre, de confirmer sur demande le bon fonctionnement du débitmètre (la vérification) et d'enregistrer en continu des grandeurs internes qui peuvent être influencées par le process (le suivi).

Les débitmètres devenant des appareils réellement multiparamètres, les industriels sont ainsi en mesure de déterminer la quantité d'énergie de leur procédé, par exemple, avec un seul appareil. Ce qui représente également un gain en termes d'installation et de coût.

Krohne

Avec tout un ensemble d'innovations techniques les rendant plus simples, les nouvelles séries d'ABB permettent de rendre encore plus facile la vie des utilisateurs qui peuvent par exemple mettre en œuvre une maintenance prédictive.

ABB

Romuald Brienne (Krohne France) ajoute par ailleurs que « les clients demandent exigence SIL 2, le stockage des informations au niveau du convertisseur et de l'afficheur – la redondance facilite grandement la maintenance ! – et la possibilité de déporter l'électronique jusqu'à 50 m (au lieu de 15 m). Dans ce dernier cas, il s'agit de réduire la pénibilité du travail, dans une chaufferie très bruyante par exemple.» Sans oublier les protocoles de communication, comme le Foundation Fieldbus en pétrole et gaz ou l'interface IO-Link en manufacturier, et l'interface homme-machine (IHM). Le confort d'utilisation est d'ailleurs l'une des évolutions principales des nouveaux débitmètres à effet Vortex SV d'ifm electronic. « Pour la première fois dans nos gammes de produits, nous avons intégré un écranTFT,et non un simple afficheur traditionnel, qui offre une interface plus conviviale et plus moderne.A savoir une zone de texte libre avec une vingtaine de caractères, une grande clarté, une faible consommation car il s'agit d'une technologie d'écran très peu gourmande en énergie », explique Edil Alvarez.

Entre l'éventail des technologies de mesure et, pour celle à effet Vortex, le large choix des modèles, il est essentiel pour les industriels de se poser les bonnes questions pour trouver chaussures à leurs pieds…

Les bonnes questions à se poser

En conclusion,il est utile de rappeler les critères à prendre en compte lors de l'acquisition d'un débitmètre à effetVortex.Pour Jacques Marionneau (Kobold Instrumentation), « les bonnes questions à se poser sont forcément liées à la technologie de mesure et, dans le cas du Vortex, il s'agit de connaître le fluide à mesurer, tel que le nombre de Reynolds - la technologie peut fonctionner sur de l'huile si la viscosité est fixe et faible - et les questions habituelles. Cela peut paraître anodin, mais combien de fois le fluide n'est pas précisé dans le devis ? » Et David Cohen (Engineering Mesures) de renchérir: « Beaucoup de personnes oublient d'indiquer aussi la rangeabilité ! Fournir le débit maximum mesurable est une chose, mais on oublie de dire que les problèmes sont dans les débits les plus petits et d'autant plus en Vortex. Et il faut bien connaître la pression et la température dans les cas les plus difficiles, à savoir les débits les plus bas ».

Hormis les conditions d'environnement, les utilisateurs doivent se renseigner sur les aspects corrosif ou agressif du fluide, pour définir le type de matériau le mieux adapté. «Attention également aux fluides trop chargés, qui contiendraient des filaments ou des algues, par exemple, ces derniers venant alors s'enrouler autour du barreau et encrasser le capteur », signale encore Jacques Marionneau (Kobold Instrumentation). Comme on l'a vu précédemment, les critères de montage ne sont par ailleurs pas à négliger. « Il ne faut pas sous-estimer l'encombrement disponible, en raison des longueurs droites en amont et en aval qui sont de l'ordre de 15D/5D pour un débitmètre à effet Vortex, contre 5D/3D en technologies électromagnétique ou à ultrasons,et nulles avec un débitmètre à effet Coriolis », insiste Romuald Brienne (Krohne France). Les autres critères à regarder de près sont plus habituels: le diamètre nominal, le type de raccordement process (en particulier dans le cas du remplacement d'un matériel existant), le type de signal de sortie, l'information à remonter (débit volumique, débit massique, …) qui nécessiterait l'ajout d'un capteur, intégré ou séparé, et/ou d'une sortie supplémentaire, la présence en zone Atex, etc.

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