Les machines de mesure tridimensionnelles

Le 20/02/2021 à 11:12

Les machines à mesurer tridimensionnelles sont une technologie ancienne et mature, garantissant une grande précision. au fil des années, elles se sont modernisées en incorporant des technologies de mesure sans contact en plus des palpeurs tactiles classiques. elles s’intègrent désormais complétement à la chaîne numérique de l’industrie 4.0, permettant une meilleure préparation des contrôles, ainsi qu’une interaction avec des robots ou des outils de fabrications. aujourd’hui, il est possible d’automatiser entièrement la mesure de pièces en atelier.

es machines à mesurer tridimensionnelles (MMT, également appelées CMM en anglais, pour Coordinate Measuring Machine) sont un système de contrôle de haute précision. Initialement conçues pour mesurer un ensemble de points par contact avec la surface des objets, elles se sont diversifiées et proposent aujourd’hui un éventail de technologies beaucoup plus large (voir encadré page 64). Leur rôle consiste donc à déplacer un capteur de façon précise, afin de collecter un ensemble de points – qu’ils soient obtenus avec ou sans contact. Les MMT se déclinent en plusieurs formes : elles peuvent comporter un pont, un portique pour les modèles les plus grands, ou un simple bras horizontal. La partie mobile se déplace sur des rails pour se positionner aux endroits voulus. Elle se commande manuellement, ou directement par un logiciel. Il existe également des bras de mesure manuels, parfois qualifiés de MMT portables. Le principe est similaire : le bras sert de support pour différents types de capteurs, avec ou sans contact. S’ils sont beaucoup plus flexibles que les MMT dites fixes, ils ne peuvent cependant pas rivaliser en termes de précision.

Les applications des machines à mesurer tridimensionnelles sont majoritairement le contrôle et l’inspection. « Les principaux clients sur le marché des MMT sont les grands industriels, en particulier dans les industries automobile et aéronautique », indique Stéphane Roussel, en charge des applications de métrologie industrielle chez Zeiss. « On peut également citer le secteur ferroviaire, ajoute Fabrice Colomb, directeur des ventes de MMT chez Hexagon Manufacturing Intelligence. Ce sont ces industries haut de gamme, déjà pionnières il y a 20 ou 30 ans, qui ont porté l’essor du marché de la MMT. » Depuis, ces industries ont beaucoup évolué, et notamment en termes de précision dans la production de certaines pièces. Les systèmes de mesure ont accompagné cette évolution, avec une automatisation croissante, un élargissement des fonctions logicielles, mais aussi des gains en termes de précision et de rapidité de contrôle. Si ces grandes industries restent les principales utilisatrices de MMT, ces équipements ne sont plus réservés aux grosses structures. « Le volume de production a augmenté, ce qui a réduit les prix et démocratisé les MMT », continue Fabrice Colomb. Les grands donneurs d’ordres ont ainsi poussé leurs sous-traitants à s’équiper, parfois en leur imposant l’usage d’un logiciel spécifique pour l’application de programmes de contrôle définis. « Plus généralement, l’évolution de la politique industrielle a contribué à développer l’usage des MMT », ajoute Fabrice Colomb. En effet, pour minimiser les rebuts, il faut plus de contrôle. Des machines de toutes tailles sont ainsi utilisées dans des secteurs comme l’horlogerie (parfois en rétroconception), le médical (pour les prothèses ou les instruments chirurgicaux), l’électronique, ou encore le packaging.


Des innovations convergentes pour de meilleures mesures

Les aspects mécaniques, électroniques et logiciels des MMT ont évolué de concert pour l’amélioration des performances. « Tout s’imbrique, l’un fait évoluer l’autre, estime Jean- Michel Coquard, responsable des ventes chez LK Metrology. Les machines embarquent des règles de lecture de très haute résolution, des systèmes d’asservissement rapides. Les matrices de compensation, destinées à corriger certaines erreurs liées aux variations de température ou aux accélérations, sont partie intégrante du système. » Les logiciels se composent de différentes couches : une partie est dédiée au pilotage, une autre à la mesure, tandis qu’une partie sert d’interface entre les deux. « Tout cela cohabite de façon dynamique afin d’aboutir à une incertitude de mesure minimale », décrit Jean-Michel Coquard.

Si les évolutions sont continues, certaines innovations convergentes, comme la miniaturisation de certaines technologies de mesure, ou l’augmentation de la puissance de calcul des PC industriels, ont permis ces années dernières d’accélérer la transformation des MMT. « Les caméras, scanners lasers ou capteurs confocaux existaient indépendamment depuis longtemps, illustre Jean-Michel Coquard. Mais leur miniaturisation a permis de les embarquer sur une MMT, et il est possible d’avoir des logiciels capables de gérer ces différents capteurs. » Ainsi, en quelques années, ces améliorations conjointes ont transformé les MMT en outils de mesure multicapteurs. Autre grande tendance, l’implantation de plus en plus courante des MMT dans les ateliers, au bord des lignes de production, voire intégrées à celles-ci. « Le challenge est de proposer des machines capables de contrôler rapidement et avec une grande précision, explique Stéphane Roussel (Zeiss). Il faut donc des machines étanches à l’huile et aux poussières, insensibles aux vibrations et aux variations de température. » Cela passe notamment par l’usage de matériaux avec un faible coefficient de dilatation thermique, et peu sensibles à l’hygrométrie. Les matrices de compensation jouent également un rôle important. Ainsi la compensation de température sur des machines classiques permet aussi une uti– lisation en atelier en combinaison avec des équipements de protection. Afin d’assurer l’étanchéité nécessaire, certaines machines peuvent par exemple être installées dans une cabine. Les vibrations sont plus complexes à prendre en compte : « C’est un paramètre qui n’est jamais constant, souligne Jean-Michel Coquard (LK Metrology). Pour s’en affranchir, il faut les quantifier, prendre en compte la spécificité du poste de production, et mettre en place une isolation à air ou à ressorts. Grâce à cela, on peut installer des MMT à côté de machines telles que des presses. » Dans certains cas, il est possible d’obtenir en atelier une précision équivalente à celle que l’on a en laboratoire. Bien que cela ne soit pas toujours le cas, la limitation par l’environnement n’est généralement pas un problème : « On ne se pose pas les mêmes questions en phase de production qu’en recherche et développement, note Jean- Michel Coquard. Chaque étape a ses objectifs spécifiques. »

La compatibilité des MMT avec un environnement difficile permet de les intégrer à la chaîne de production. « Le chargement des pièces peut être automatisé, avec un convoyeur ou un robot », décrit Stéphane Roussel (Zeiss). « C’est une demande de plus en plus courante, observe Fabrice Colomb (Hexagon Manufacturing Intelligence). La communication de nos machines avec des cobots est possible depuis environ cinq ans. Avec certains fabricants, tels que Kuka ou Universal Robots, nous sommes capables de proposer des solutions très faciles à mettre en oeuvre. » On obtient ainsi un système de mesure entièrement automatique. « Une fois la mesure effectuée, le robot peut classer la pièce en fonction de sa conformité, ajoute Abdel Taourit, responsable produit MMT chez Mitutoyo. On peut ainsi assurer une production continue et entièrement autonome. » Plus largement, « l’industrie 4.0 est en train de rentrer dans les moeurs, et concerne de plus en plus les MMT », résume Stéphane Roussel (Zeiss). Plus il y a de communication avec les autres équipements, plus grande est la disponibilité des informations, et donc meilleure sera la réactivité en cas de problème. « Toutes les données de mesure sont disponibles sur des tablettes, décrit Fabrice Colomb (Hexagon Manufacturing Intelligence). Si un paramètre s’approche d’une valeur limite, le responsable qualité peut être averti automatiquement de la dérive potentielle. » Il est également possible de communiquer directement avec les logiciels d’usinage. « Si l’on constate qu’une cote dérive au fil des mesures de pièces successives, alors on envoie la correction adéquate à la machine-outil », décrit Abdel Taourit (Mitutoyo).

La chaîne numérique optimise la programmation

L’industrie 4.0 vise aussi à établir une chaîne numérique ininterrompue, de la conception à la fabrication. Cette démarche simplifie la mise en oeuvre des mesures avec les MMT. « À partir du fichier CAO, on anticipe le programme de mesures, continue Abdel Taourit. On le crée grâce au jumeau numérique de la machine, ce qui permet de sélectionner les outils les mieux adaptés, d’éviter les collisions, et d’optimiser le programme. » On évite ainsi l’étape de programmation de la machine en mode apprentissage, et l’optimisation au fil de son utilisation. Cela permet de mieux répondre aux exigences croissantes de maîtrise des procédés de fabrication, qui imposent de produire plus rapidement, tout en limitant les pertes. « Le plan de relance et de modernisation des usines va dans ce sens, commente Stéphane Roussel (Zeiss). L’exigence en termes de qualité est de plus en plus sévère. » L’automatisation et les capacités de communication des MMT sont également profitables dans le cadre des petites séries, autre tendance croissante dans l’industrie. Ainsi, le programme de mesure est modifié en fonction du produit à contrôler. Les informations sur les machines ellesmêmes sont également profitables. « Des logiciels permettent d’analyser leur taux d’utilisation, et ainsi de l’optimiser », précise Abdel Taourit (Mitutoyo). À cela s’ajoute la maintenance prédictive, grâce au suivi en temps réel de différents paramètres. Si la durée de vie d’une tête orientable est estimée à un certain nombre de rotations, chacun des mouvements est comptabilisé. Il en va de même pour d’autres éléments, comme le nombre de points mesurés pour un palpeur tactile, ou les distances parcourues par les axes de la machine. « Lorsque l’outil atteint un seuil d’usage défini, une alerte rappelle de le changer, ou de prévoir une opération de maintenance, indique le responsable produit de Mitutoyo. Cela permet d’anticiper, et de ne pas être retardé par le délai de livraison d’une pièce à changer. » Le panel de machines de mesure tridimensionnelles est très large. En termes de précision, de dimensions, de capteurs, ou encore de résistance à l’environnement, il existe beaucoup de choix. De plus, bien qu’il existe des gammes des machines standards, il est possible de faire construire des machines sur mesure. Comment alors s’orienter sur ce marché ? Le premier critère est le volume de la plus grande des pièces à mesurer. Pour les plus petits volumes, on trouvera plus facilement la machine adéquate sur catalogue. Mais la géométrie des pièce a son importance également dans la définition des courses utiles de la machine. En effet, il faut parfois prévoir un espace de dégagement pour accéder à des zones internes, par exemple. L’ajout d’un changeur d’outils, pour plusieurs types de mesures, demande également de l’espace supplémentaire. Selon les secteurs industriels, certains paramètres de mesure sont très différents. Cela commence par les matières utilisées, qui peuvent orienter vers des mesures avec ou sans contact. La précision recherchée est elle aussi très variable. L’usinage du métal tolère en général moins d’incertitude de mesure que la plasturgie. Ce paramètre est lié à la cadence de mesure voulue : plus elle est élevée, plus on perd en précision. Les fabricants mentionnent souvent la vitesse de déplacement des axes ou du palpeur, mais également l’accélération. « C’est surtout cette dernière qui caractérise les qualités dynamiques d’une MMT, précise Jean-Michel Coquard (LK Metrology), car on ne déplace que très rarement une machine d’une extrémité à l’autre de sa course. » Lorsque l’on écrit le programme de mesure, en connaissant la vitesse que peut atteindre la machine, on cherche à obtenir le bon ratio. Pour les machines destinées aux salles de métrologie, on privilégie généralement la précision, tandis que les machines d’atelier doivent être plus rapides. Pour celles-ci, la possibilité d’automatisation peut être un critère de choix important, tout comme l’évolutivité du système.

La mesure dimensionnelle prend de l’importance

Il peut arriver que d’autres technologies de mesure soient en concurrence avec les MMT. Les bras de mesure, les lasers de poursuite, les scanners laser ou la vision avec lumière structurée ont petit à petit gagné du terrain sur des applications parfois réalisées par des MMT. Mais ces solutions n’offrent pas la même précision de mesure, la concurrence entre ces technologies est donc marginale. De plus, l’automatisation a fourni des atouts supplémentaires aux MMT. À l’avenir, celles-ci devraient donc garder une place importante dans l’industrie, surtout dans un contexte où la mesure dimensionnelle prend de l’importance. « Nous devrions observer une demande croissante pour la mesure rapide, précise et automatisée de pièces de plus en plus complexes », prévoit Abdel Taourit (Mitutoyo). « Les formations professionnelles s’y intéressent de plus en plus, observe Marilyne Vojetta, responsable marketing chez Hexagon Manufacturing Intelligence. Les écoles se rendent compte que c’est une compétence supplémentaire pour les jeunes. On constate un changement de culture, et un rapprochement entre la production et la métrologie. L’évolution vers la fabrication additive, par exemple, impose une exigence croissante sur le contrôle. » L’industrie devrait donc voir arriver dans les prochaines années de nouveaux travailleurs familiarisés avec des techniques de mesure telles que les MMT.

Antoine Cappelle 

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