Agir pour la place femmes dans l'industrie

Le 09/07/2019 à 14:00
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L es inégalités entre les femmes et les hommes traversent toute notre société. Dans le milieu professionnel, à l'échelle mondiale, les femmes ne représentent que 39% de l'ensemble des travailleurs, selon l'étude Women Matter de 2017, réalisée par la société de conseil McKinsey (1) .Cette inégalité est d'autant plus importante lorsque l'on considère les places les plus élevées dans la hiérarchie.Ainsi, en étudiant les grandes entreprises des pays du G20, McKinsey compte 12% de femmes parmi les membres des comités exécutifs (14% en France) et 17% dans les conseils d'administration (39% pour la France).

L'industrie se féminise, mais certaines branches, comme la chimie, sont plus mixtes que d'autres. Plus un milieu est masculin, plus il peut être difficile pour les femmes d'y trouver leur place.

Rockwell Automation

Bien sûr, cette situation n'épargne pas le milieu de l'industrie. Mais il est difficile d'en brosser un portrait général, tant les disparités sont importantes entre les secteurs, et selon les postes. Une étude de 2019 du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation recense par exemple le pourcentage de femmes travaillant dans la recherche et développement pour l'industrie (2) .Elle en compte environ 60% dans l'industrie pharmaceutique, près de 50 % dans l'industrie chimique, mais moins de 15% dans l'industrie automobile. Les chiffres de l'enseignement profession-nel nous renseignent également sur ces différences: 14% de filles s'orientent vers les formations liées au milieu de la production, comme le montre une étude de 2017 du secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes (3) .

Mais au sein de ce milieu, elles représentent 90% des effectifs dans les formations menant aux secteurs de l'habillement, du textile et le travail du cuir, 58% pour la métallurgie et seulement 2% en mécanique, électricité et électro-nique.Dans les IUT, on compte 7% de jeunes femmes en spécialité Génie électrique et informatique industrielle (GEII), contre 64,5% en Génie biologique.Les études d'ingénieurs montrent des écarts du même type: on retrouve 58,6% de jeunes femmes dans les filières «chimie, génie des procédés et sciences de la vie». En revanche, malgré son importance croissante à tous les niveaux de la société, l'informatique est le secteur qui les attire le moins, avec 16,4% d'effectifs féminins (4) .

Sexisme, inégalités salariales et précarité

En plus des disparités d'effectifs, les femmes subissent d'autres inégalités dans le milieu professionnel. Elles connaissent une plus grande précarité: 9,3% d'entre elles sont en effet en situation de sous-emploi (elles souhaiteraient travailler plus), contre 3,6% des hommes, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)(5) .Ilnote également que les femmes gagnent en moyenne environ 18% de moins que les hommes à temps de travail égal. À ces difficultés s'ajoute le sexisme ordinaire, présent dans le secteur industriel comme ailleurs. « Au début de ma carrière dans l'industrie pétrolière, on me prenait souvent pour la secrétaire », témoigne Magali Anderson, vice-présidente Santé Sécurité de LafargeHolcim. « Pour se faire entendre dans un milieu très masculin, une femme doit en adopter les codes pour être écoutée, pour qu'on ne lui coupe pas la parole, ajoute IsabelleValentin Bianco, directrice du développement des Clean Energy Systems pour l'Europe de Plastic Omnium. Mais c'est une attitude difficile à gérer,car une femme qui se comporte ainsi sera jugée plus agressive qu'un homme ».

Pire, dans une étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) réalisée pour le Défenseur des droits en 2014, 58% des femmes actives interrogées estimaient que travailler dans un univers à dominante masculine expose plus particulièrement les femmes au harcèlement sexuel (6) .Une enquête menée par l'association Femmes Ingénieurs met en évidence ce problème au sein des écoles d'ingénieurs (7) .Elle relève que 63% des étudiantes disent « avoir déjà subi directement ou avoir été témoins de violences verbales sexistes ou sexuelles sur leur campus », et 10% déclarent y avoir déjà subi une agression sexuelle. Cette étude met en évidence le fait que ces comportements sont d'autant plus courants que les femmes sont minoritaires. À l'inverse, « les statistiques de l'enquête montrent que les indicateurs de bien-être, de santé et d'épanouissement des filles comme des garçons sont meilleurs dans les établissements ayant par ailleurs des effectifs féminins plus élevés .» Ces dernières décennies, la situation a évolué. Ainsi, l'Insee note que 68,2% des femmes âgées de 15 à 64 ans étaient actives en 2018, contre 52,7 % en 1975 (8) .Lapartdes femmes parmi les cadres est passée de 31% en 1995 à 42% en 2015, en France métropolitaine (5) .Etentre 2007 et 2017, le nombre de femmes dans les conseils d'administration a augmenté de 30% (1). Chez les ingénieurs âgés de moins de 30 ans travaillant dans l'industrie, les femmes comptent pour 28%, tandis qu'elles ne constituent que 12% des effectifs pour la génération des 45-64 ans (9) .La féminisation des équipes s'observe même dans des milieux industriels traditionnellement très masculins, comme en témoigne Magali Anderson ( voir l'entretien page 36 ). Pour autant, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Heureusement, de nombreuses initiatives visent à faire avancer cette cause.

De nombreuses actions sont menées auprès des lycéennes, afin de leur faire rencontrer des femmes menant des carrières dans l'industrie, et contredire ainsi les stéréotypes.

Schneider Electric

Changer l'image de l'industrie

Beaucoup d'entreprises industrielles souhaitent une plus grande mixité de leurs effectifs, convaincues par les avantages de compter dans leurs rangs des profils diversifiés, mais aussi par les gains de productivité démontrés. À partir de l'analyse de 300 entreprises du monde entier, McKinsey relève par exemple une « forte corrélation entre la présence de femmes parmi les cadres de direction dans les entreprises et de meilleurs résultats financiers » (1) .Lasociété de conseil note également que les femmes ont en moyenne tendance à employer des méthodes de management différentes de celles des hommes, et souligne les effets positifs d'une diversité d'approches au sein des entreprises.

Cependant, pour les industries qui souhaitent recruter, les candidates féminines ne sont pas toujours au rendez-vous. En effet, le secteur étant perçu comme très masculin, les femmes s'y dirigent moins que les hommes. Partant de ce constat, différentes structures se mobilisent pour changer cette image et faire connaître aux femmes les opportunités de carrières dans le milieu de l'industrie. Les associations Femmes Ingénieurs ou Elles bougent, par exemple, mènent des actions auprès des lycéennes: elles sont invitées à rencontrer des femmes qui témoignent de leur parcours, ou à visiter des entreprises. Ces associations travaillent avec des sociétés prêtes à s'investir pour mettre en avant leurs talents féminins. « Sachant que les études d'ingénieur durent 5 ans, c'est un investissement à long terme pour les entreprises qui s'impliquent dans cette démarche, sou-ligne Aline Aubertin, directrice des achats chez GE Healthcare et présidente de Femmes Ingénieurs. Cela montre que l'enjeu est de taille. » Les filles obtiennent le baccalauréat plus souvent que les garçons (84% contre 74% en 2017 (2)), et ont donc toutes les chances de réussir. Mais, on l'a vu, leurs choix d'orienta-tion sont très différents.

Cori Les métiers de l'industrie ne sont pas souvent envisagés par les femmes en recherche d'emploi. Un travail de communication de la part des entreprises est nécessaire pour montrer leur ouverture à la mixité.

Corif

Il faut donc faire reculer les stéréotypes associés aux métiers de l'industrie. Faute d'exemples de femmes y faisant carrière, les jeunes filles ont en effet plus de difficultés à s'y projeter, comme en témoigne Aline Aubertin ( voir l'entretien page 37 ). Plus généralement, l'industrie peine à attirer à cause d'une image souvent négative, estime Christel Heydemann, p-dg de Schneider Electric France ( voir l'entretien page 40 ). Partant de ce constat, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI) s'engage, elle aussi, contre les stéréotypes. Elle organise chaque année depuis 2011 l'opération Ingénieuses, qui met en valeur des projets d'étudiantes et récompense le parcours de jeunes ingénieures.

La voie de la reconversion professionnelle

Mais les études supérieures ne sont pas la seule porte d'entrée vers les métiers de l'industrie. Des emplois moins qualifiés sont aussi ouverts aux femmes. Certaines structures visent donc à élargir le champ des options professionnelles des femmes éloignées de l'emploi, en leur faisant découvrir des métiers techniques. C'est le cas du Corif (Conseil, recherche, ingénierie et formation pour l'égalité femmes-hommes), une association des Hauts-de-France, qui travaille pour cela notamment avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). « Nous faisons savoir qu'il y a du travail dans les entreprises industrielles, et qu'il existe des possibilités de se former, explique Juliette Maillard Sobieski, consultante égalité au Corif. Beaucoup de femmes n'envisagent même pas ces métiers. Nous leur proposons donc des ateliers pour discuter des stéréotypes qui y sont associés, nous leur faisons visiter des entreprises,et nous partageons des témoignages de femmes qui aiment leur travail dans l'industrie ».

Répondre aux idées reçues

Faut-il agir en faveur de la place des femmes dans l'industrie? Cela ne va pas de soi pour tout le monde. Beaucoup d'hommes –mais aussi certaines femmes– pensent que mettre en application des mesures en faveur de la mixité seraient injustes, et que les compétences suffisent pour faire progresser sa carrière professionnelle. Pourtant, beaucoup de biais interfèrent avec cette égalité de traitement supposée. Mais comment en convaincre ses interlocuteurs? L'association Femmes Ingénieurs s'est posé la question et a conçu une brochure destinée à répondre aux idées reçues de façon argumentée, chiffrée, et parfois avec humour (https: // bit.ly/2MdDp4r).

Veiller à l'inclusion des femmes

Bien sûr, il ne s'agit pas de faire peser la responsabilité de la mixité sur les femmes elles-mêmes. Si celles-ci se portent trop peu candidates pour les emplois industriels, c'est que les entreprises ont des efforts à faire. Là aussi, des structures comme le Corif sont là pour faire avancer les choses. « Certaines sociétés veulent recruter des femmes, mais n'y parviennent pas, constate Juliette Maillard Sobieski . Nous pouvons alors travailler avec elles sur la façon de rédiger leurs annonces. Il ne suffit pas d'y préciser “H/F” pour que les femmes se sentent concernées. Les entreprises doivent être attentives à l'ensemble de leur communication, par exemple ne pas diffuser uniquement des photographies où ne figurent que des hommes. Et lorsque leurs plaquettes montrent des femmes, il ne faut pas les cantonner aux seuls rôles de secrétaires,et montrer aussi celles qui manipulent des machines.Cela peut paraître simpliste, mais l'impact est important ».

Lorsque les entreprises parviennent à recruter des femmes, elles doivent ensuite les aider à prendre leur place. « La question de l'inclusion est importante, prévient Juliette Maillard Sobieski. Elle est facilitée par le fait d'intégrer plusieurs femmes dans les effectifs. Une femme seule dans un milieu masculin peut être vue comme une“bête curieuse”, se voir confier des tâches ingrates, voire porter à elle seule la responsabilité de représenter les compétences des femmes. » Le Corif accompagne donc les entreprises dans cette démarche: « Nous pouvons en discuter avec les managers, le comité exécutif ou les partenaires sociaux. Cela se joue à plusieurs niveaux, précise la consultante égalité. Il faut être conscient des enjeux,sans pour autant ramener systématiquement les femmes à leur genre. On intègre avant tout une personne avec des compétences. » L'association propose également des mises en situation, pour sensibiliser et faire réagir les hommes comme les femmes à des situations susceptibles de se présenter.

Les entreprises ont aussi la responsabilité de proposer des perspectives d'évolution de carrière équitables. Si les femmes n'ont pas moins d'ambition que les hommes, elles sont en revanche moins confiantes qu'eux sur leur possibilité d'accéder à des fonctions de management (1) .Moins susceptibles de se mettre en avant, les femmes sont moins spontanément considérées comme des candidates potentielles lorsque des promotions se présentent. Un management en faveur de la mixité devrait donc prendre en compte ces biais, comme l'explique Isabelle Valentin Bianco ( voir l'entretien page 39 ). Cependant, ces difficultés ne sont pas unanimement reconnues : 28% des hommes ne croient pas qu'à compétences égales, les femmes connaissent plus de difficultés à monter les échelons de la hiérarchie, selon McKinsey. 54 % pensent même que d'envisager des actions pour promouvoir la place des femmes dans des postes à responsabilités est injuste envers les hommes ( voir encadré page 34 ).

Les progrès observables en termes de mixité dans l'industrie ne doivent donc pas laisser penser que tous les problèmes sont réglés. De nombreux indicateurs mettent en évidence le chemin qu'il reste à parcourir. Et la prise de conscience des problèmes est la pre-mière étape pour progresser!

(1) ÉtudeWomen Matter (McKinsey, 2017) : https: //mck.co/2IwDmtq (2)Vers l'égalité femmes-hommes ? (Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, 2019) : https: //bit.ly/2wxgJSd (3)Vers l'égalité réelle entre les femmes et les hommes (Secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, 2017) : https: //bit.ly/2W7F7ss (4) Les effectifs féminins en cycle ingénieur (CDEFI, 2018) : https: //bit.ly/2MfIOYA (5) Tableaux de l'économie

française (Insee, 2018) : https: //www.insee.fr/fr/statistiques/3303378 (6) Enquête sur le harcèlement sexuel au travail (Ifop, 2014) : https: //bit.ly/2yIx2x6 (7) Étude sociologique sur les conditions d'études des filles en école d'ingénieur (Femmes Ingénieurs, 2017) : https: //bit.ly/30QOH1P (8) Activité selon le sexe et l'âge en 2018 (Insee, 2018) : https: //www.insee.fr/fr/ statistiques/2489758 (9) 28 e enquête nationale sur les ingénieurs (IESF, 2017) : https: //bit.ly/2QsPy3Y

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