Les Instruments De Mesure Deviendront-Ils De Simples Consommables?

Le 01/12/2012 à 14:00

LAAS

Aujourd'hui, lorsque l'on voit les dimensions des appareils actuels, il ne viendrait à l'esprit d'aucun utilisateur de chromatographes de process ou d'analyseurs de gaz en ligne d'avoir le même appareil, d'un point de vue fonctionnel, dans sa poche. Et, pourtant, ces mêmes chromatographes et analyseurs de gaz ont déjà vu leur taille réduire significativement ces dernières décennies… mais de là,à tenir dans la poche d'une veste, il faudrait passer à une autre échelle de grandeur. En fait, c'est sur quoi travaillent des laboratoires de recherche et des industriels: passer de l'échelle humaine aux mondes micrométriques voire nanométriques. L'une des technologies les plus connues, parce qu'elle est déjà mise en œuvre depuis des années dans le secteur automobile, est les Micro-electro-mechanical systems (Mems) ou microsystèmes électromécaniques, technologie qui a d'ailleurs déjà investi le monde de l'industrie.

La start-up grenobloise Apix Technology est parvenue, en partenariat avec la société associée à EIF/Astute, à développer le premier instrument analytique industriel commercial du marché basé sur la technologie Nems. Il s'agit d'un analyseur de gaz reposant notamment sur une nanobalance de 3 µm de long et 300 nm de large.

Apix Technology

Des microcapteurs électrochimiques ChemFET et ElecCell

Le Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS) du CNRS travaille par exemple sur des transistors chimiques à effet de champ (ChemFET ; à gauche) et des microcellules électrochimiques (ElecCell ; à droite) pour l'analyse électrochimique en phase liquide. Il reste néanmoins des verrous technologiques, économiques et stratégiques à faire sauter avant de voir ces microcapteurs être déployés à grande échelle dans les industries.

Certains fabricants intègrent en effet des capteurs Mems dans leurs transmetteurs ou instruments d'analyse… pas toujours en mettant l'accent dessus. En 2010, le français Neosens a dévoilé un capteur d'encrassement ( voir Mesures n° 823 ) et l'américanosuisse Mettler-Toledo a introduit un analyseur calorimétrique différentiel intégrant un capteur Mems ( voir Mesures n° 830 ). L'américain GE Measurement & Control, lui, a cette année lancé la nouvelle génération de ses capteurs de pression reposant sur la technologie à silicium résonant TERPS ( Trench Etched Resonant Pressure ; voir Mesures n° 846 ). Signalons également la participation du suisse Endress+Hauser dans la société Issys dès 2009 ou, tout récemment, l'investissement de l'allemand Bürkert dans une salle blanche sur son site français de production de capteurs pour la prochaine génération ( voir Mesures n°849 ).

Si l'on fait une recherche rapide sur Internet, on trouve par ailleurs de nombreux projets, terminés ou toujours en cours, sur des microcapteurs électrochimiques, thermiques, optiques, à ondes acoustiques, à variation de masse, colorimétriques. Par exemple, le Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au travers de l'équipe Microsystèmes d'analyse (Mica), participe aux projets Nutrimeca (microdispositifs ChemFET pour l'analyse de la salive), Micasso (microcellules électrochimiques pour l'analyse du stress oxydant en phase liquide et à la surface de la peau), Maisoe-Anesis (microsystèmes d'analyse in situ pour des observatoires environnementaux), Dolfin (intégration de détecteurs optiques de fluorescence et de cellules électrochimiques sur une plate-forme microfluidique pour l'analyse couplée de la pollution de l'eau), etc.

Le premier nanoanalyseur industriel est français

Au niveau des développements industriels (1) , citons entre autres les microcapteurs électrochimiques à détection potentiométrique (transistor chimique à effet de champ ou Chemical Field Effect Transistor [ChemFET]) et à détection ampérométrique (microcellules électrochimiques ou Electrochemical microCell [ElecCell]). Un transducteur ChemFET est une adaptation de la technologie MosFET, composant de base de la microélectronique,à la détection en phase liquide. Le principe de fonctionnement repose sur la variation de la tension de seuil en fonction du potentiel électrochimique 0 créé à la jonction Electrolyte-Isolant-Solide (EIS). Des sociétés comme le néerlandais Sentron ou le suisse Microsens ont intégré cette technologie à la mesure de pH: électrodes pH-ChemFET“tout solide”pour le premier et capteurs ISFET ( Ion-Sensitive Field-Effect Transistor ) pour le second. Quant au transducteur ElecCell,il s'agit de l'intégration de microcellules électrochimiques en technologies silicium et polymères (substrats silicium oxydés Si/SiO2 ,passivation à l'échelle du substrat avec de la résine photosensible négative SU-8…). L'un des avantages de la technologie ElecCell est notamment sa compatibilité avec les substrats polymères, ce qui ouvre les portes aux technologies“flexibles”, par exemple les textiles intelligents.

Il reste néanmoins différents verrous à faire sauter avant de voir les microcapteurs électrochimiques être déployées à grande échelle dans les industries pharmaceutiques,cosmétiques, agroalimentaires et dans les applications grand public (santé, domotique…). Le LAAS-CNRS a notamment identifié des verrous technologiques (loi des S [2] ,demande du marché…), des verrous économiques (fractionnement du marché, majorité de “petites séries”, soit 1000 à 1 million de puces fabriquées par an, utilisation des moyens lourds des microtechnologies) et des verrous stratégiques (rentabilité des macrotechniques d'analyse).

La situation est semblable dans le domaine des analyseurs de process. La miniaturisation des systèmes a vraiment commencé il y a une bonne décennie avec l'apparition du concept NeSSI ( New Sampling/ Sensor Initiative ; voir Mesures n° 811 )… même s'il commence seulement à faire ses preuves sur le terrain, dans les procédés industriels, et à faire tomber certaines réticences des utilisateurs. Supportée par la norme ANSI/ISA76, publiée par l'ISA, l'architecture NeSSI s'articule autour des générations 1 (aspect mécanique), 2 (systèmes d'échantillonnage communicants) et 3 (dispositifs microanalytiques).Sil'offredesystèmesd'échantillonnage disponibles sur le marché devient intéressante, les développements de microanalyseurs aboutissent (enfin) à des prototypes voire des solutions concrètes, comme le montre la manifestation notamment International Micro Technologies Conferences (IMTeC).

Certains fabricants intègrent déjà des capteurs Mems dans leurs transmetteurs ou instruments d'analyse… pas toujours en mettant l'accent dessus. Il s'agit par exemple de GE Measurement & Control avec ses capteurs de pression RPS/DPS8000 et de Mettler-Toledo avec l'analyseur calorimétrique différentiel Flash DSC.

Mettler-Toledo

Les avantages de la réduction des dimensions portent sur les aspects techniques, avec l'abaissement des limites de détection (pas de transport de l'échantillon, pas de contamination…) et des temps de réponse, ainsi qu'avec une interchangeabilité garantie (remplacement ou ajout d'équipements standardisés). En travaillant avec des volumes de gaz extrêmement petits, on réduit non seulement les risques éventuels, ce qui accroît le niveau de sécurité des installations, mais aussi l'énergie nécessaire pour alimenter ou chauffer le détecteur.Autres bénéfices, les industriels sont également en mesure de réduire le niveau des investissements, les coûts de maintenance, les stocks, etc. Pourquoi s'arrêter à l'échelle micrométrique et ne pas pousser à l'échelle nanométrique? Les avantages n'en seraient que plus grands encore… C'est ce qu'a réussi la jeune pousse grenobloise Analytical Pixels (Apix) Technology. Elle a en effet annoncé la commercialisation courant 2013 du premier instrument analytique industriel commercial du marché basé sur la technologie Nems ( Nano-electro-mechanical systems ).

Si les premières applications industrielles sont la multiplication des points de mesure pour suivre les procédés chimiques, pétrochimiques, les émissions de gaz, l'analyse de gaz en technologie Nems peut également servir dans la sécurité (détection de fuites), la qualité d'air en milieu pharmaceutique, agroalimentaire et bien d'autres marchés encore. On peut même imaginer que, dans un futur pas si éloigné que cela, les capteurs industriels seraient à usage unique, comme le pense Endress+Hauser. Une fois l'application hygiénique ou pharmaceutique finie, la cuve et les capteurs sont jetés au lieu d'être nettoyés. Cette nouvelle façon de penser pourrait par ailleurs aboutir à ce que tout un chacun aura sur lui, ou dans son téléphone portable, un ou plusieurs analyseurs Nems…

(1) Ces informations sont issues d'une présentation de Pierre Temple-Boyer du LASS-CNRS, lors d'une journée technique de l'Exera sur le thème “Electrochimie : mesures, capteurs et corrosion” en 2010.

(2) La loi des S est en anglais : Sensitivity, Selectivity, Stability, Safety, Self-calibration, Sampling et Speed (Sensibilité, sélectivité, stabilité, sécurité, autoétalonnage, échantillonnage et vitesse).

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