3D: la vision prend du relief

Le 01/06/2015 à 14:00

L es systèmes de vision industrielle ont de nombreuses applications. Toutes les usines, quelles que soient leurs activités, peuvent les mettre à profit dans des systèmes de contrôle qualité, ou de surveillance d'une ligne de production. Il existe de vastes gammes de produits, des plus simples, prêts à l'emploi, aux plus polyvalents, pour les applications personnalisées. La vision en trois dimensions est, en revanche, plus spécifique. Elle apporte des informations sur le volume, qui peuvent être complémentaires de celles fournies par la vision traditionnelle. Certains systèmes combinent d'ailleurs la vision en 2et3dimensions.

La technologie à mettre en place pour obtenir une image en

relief est, à l'origine, plus complexe que les simples capteurs de vision. Mais depuis quelques années, elle emprunte la même voie : plus simple, moins chère, elle se démocratise et peut donc gagner de nou-veaux domaines d'application. « Mais aujourd'hui, choisir une application 3D ou 2D n'est pas forcément une question de prix, précise Florent Poitrine, responsable des produits identification et vision chez le fabricant de matériel Sick. La 3D permet de faire des choses que l'on ne peut pas faire en 2D, et inversement.» La vision 3D regroupe un ensemble de technologies (voir encadré page 26) , et non une technique spécifique. La plupart des applications emploient de simples caméras àdeux dimensions: il y a donc de nombreux points communs entre la vision 2D et 3D.

Les lasers sont souvent intégrés aux caméras de profilométrie. Le capteur est alors incliné de 30° pour observer les déformations de la raie laser à la surface de l'objet.

Cognex

L'essentiel

P Le contrôle qualité est l'une des principales applications de la vision 3D. Elle permet d'obtenir des informations qui échappent aux simples caméras 2D.

P Des applications beaucoup plus complexes, notamment en robotique, sont également réalisables à partir de certaines technologies 3D.

P À l'instar de la vision traditionnelle, la 3D évolue vers des produits plus simples, dont la mise en œuvre nécessite moins de compétences.

Le besoin d'un contrôle qualité sur les produits finis est souvent une raison qui motive les industriels à mettre en place un système de vision. Ce contexte est également valable pour la 3D, qui peut être sollicitée aussi bien par des fabricants de machines, des intégrateurs ou les utilisateurs finaux. « Le coût de la vision 3D peut être rapidement amorti si le système permet d'éviter des retours de produits défectueux », indique Florent Poitrine.

L'avantage de la 3D pour ce type d'applications dépend beaucoup du produit àanaly-ser. «Vérifier l'alignement ou l'enfoncement des picots d'un connecteur est une application naturelle en 3D » , indique Frédéric Equoy, fondateur et dirigeant de GIPS Vision, fabricant de solutions de vision. Cette technologie peut aussi permettre de s'affranchir de la salissure d'une surface, de son oxydation, ou encore de sa brillance, autant de paramètres qui peuvent perturber l'analyse par un système de vision en 2D. « Lorsqu'elle utilise un laser, la vision 3D est peu ou pas sensible à l'état de surface, continue Frédéric Equoy. Il est ainsi possible d'avoir des images propres de moules dont la surface est couverte d'une pellicule de matière ».

Dans l'industrie agroalimentaire, la vision 3D permet de vérifier qu'une portion contient un volume minimum de produit, de détecter un produit manquant, on encore de contrôler un niveau de remplissage.

Sick

groalimentaire et robotique

Pour certaines applications déjà existantes en 2D, la 3D permet d'aller plus loin. « Contrôler la dépose d'un joint, par exemple, peut se faire en 2D. Mais on se limite alors à vérifier sa taille, et s'il est bien déposé selon la forme voulue, indique Alain Duflot,responsable produit vision chez le fabricant Cognex. En 3D,on peut aussi contrôler le volume du joint.» L'industrie automobile utilise beaucoup la vision 3D pour ce type d'applications. La lecture de caractères est un autre exemple courant: « En faisant une acquisition 3D, les caractères gravés ressortent mieux, et la lecture est simplifiée », ajoute-t-il .

À partir de deux photos prises sous un angle différent, selon le principe de la stéréovision, il est possible de mettre en évidence des éléments invisibles sur une simple photographie en 2D. La reconstitution du relief permet de détecter des produits abimés, comme ici des chocolats.

National Instruments

Obtenir une image en volume du produit fini peut aussi permettre de le comparer avec le modèle CAO auquel il est censé être conforme. « On peut alors voir s'il y a des manques, des accumulations de matière ou des bavures », explique Frédéric Equoy (GIPS Vision). À l'inverse, lorsque l'on ne dispose pas de telles données, le scan en 3D d'une pièce peut servir à des fins de rétroingénierie. D'autres modes de contrôle ne nécessitent pas un tel degré de précision, mais sont facilement réalisables en 3D. La technologie «temps de vol», encore récente, peut s'utiliser pour vérifier qu'un remplissage a été correctement effectué. Une application très utilisée en agroalimentaire: « On peut compter le nombre de bouteilles dans une caisse et vérifier qu'il n'en manque pas », décrit Frédéric Saint-Jean,chef de produit chez ifm Electronic,qui fabrique des caméras à mesure de temps de vol. « Ou encore vérifier le niveau de remplissage d'un paquet de pâtes,ou de farine. Pour ces applications, d'autres systèmes de mesure sont limités. La matière n'est pas répartie de façon homogène, elle peut par exemple se déposer en une forme de cône. Un simple laser donnerait un seul point de mesure, et donc un niveau imprécis.Une caméra 3D en revanche prend en compte la répartition de la matière dans le calcul du volume. Ces applications de «contrôle de vide» sont extrêmement ré-pandues, en production, mais également en manutention, par exemple. « Les applications sont infinies », ajoute Frédéric Saint-Jean.

Les systèmes de vision 3D peuvent être construits sur mesure pour correspondre au mieux à l'application souhaitée. Mais il existe également des modules compacts visant à simplifier l'installation, qui intègrent des fonctions de traitement d'image.

GIPSVision

En amont du contrôle, l'identification de pièces par vision 3D au cours de la production permet par exemple de charger un convoyeur avec des pièces différentes, en laissant un robot définir le traitement à leur appliquer. «C'est une solution extrêmement rapide, et il est possible de paramétrer un grand nombre de pièces, précise Pierre Robert, PDG et fondateur de Visio Nerf, fabricant de systèmes de vision. Les informations envoyées au robot peuvent lui permettre d'appliquer par exemple le bon programme de peinture ».

Plus complexe à effectuer par vision 2D, les applications dites de «pick and place», c'est-à-dire de préhension par un robot, ou de dévracage, sont à la portée des systèmes de vision 3D. « Quelle que soit la position d'une pièce, mélangée en vrac parmi d'autres, le robot doit être capable de la saisir », décrit Frédéric Equoy (GIPSVision). « Le dévracage est un peu le Graal des applications de vision, ajoute Pierre Robert (Visio Nerf). « C'est l'application compliquée par excellence : l'acquisition en 3D est difficile, mais il faut aussi prendre en compte la géométrie du préhenseur,de la caisse qui contient les pièces,ainsi que des pièces voisines.» Pour accomplir cette tâche essentielle, la vision 3D permet d'acquérir des nuages de points, qui seront ensuite traités par un système capable de communiquer avec le robot. Ces performances de la vision 3D sont également profitables pour la localisation de pièces volumineuses et instables. Une multitude de possibilités existent pour mettre en œuvre ces applications. « La stéréovision est beaucoup plus complexe que la profilométrie, elle s'adresse vraiment à des spécialistes de la vision, pour des applications comme la localisation d'une pièce dans l'espace », indiqueAlain Duflot (Cognex). L'écartement des caméras, par exemple,dépend de la profondeur de champ nécessaire. Toutefois, la profilométrie peut également employer deux caméras: « Cela peut avoir un intérêt sur certaines formes de pièces, où il peut y avoir des zones cachées, un trou trop profond par exemple » ajoute-t-il .

Les différentes technologies

Plusieurs technologies permettent d'obtenir une image en relief. Leurs performances sont très variables : la précision peut varier du micromètre à plusieurs millimètres, ce qui dépend à la fois de la méthode et de l'installation. Chaque technologie convient à des applications différentes.

l La profilométrie

Elle consiste à projeter une raie laser, et à observer sa déformation avec une caméra matricielle lorsqu'un objet défile en dessous.

Une série d'images permet de reconstituer par triangulation la forme de l'objet. Ce principe peut également être employé avec deux caméras, ou avec une matrice de points plutôt qu'une raie laser. Les données obtenues sont sous la forme d'une image en 2 dimensions, où le niveau de gris indique la profondeur.

Cette technologie permet d'effectuer des mesures précises.

l La stéréoscopie (ou stéréovision)

Elle emploie deux caméras, qui filment le même objet sous un angle légèrement différent. La recombinaison de ces deux images permet d'obtenir des informations sur le volume.

On retrouve ce système, plus complexe à mettre en œuvre, dans des applications liées à la robotique, comme le dévracage.

l Temps de vol

Les caméras temps de vol mesurent le temps qui s'écoule entre l'émission simultanée de plusieurs flashs lumineux et la détection de leur réflexion sur l'objet à observer. Cette technologie est employée notamment pour compter des objets, mais ne permet pas d'effectuer des mesures précises. Elle présente l'avantage de ne pas être limitée par une profondeur de champ.

l La tomographie

Elle permet de reconstituer une image 3D de l'intérieur d'un objet à partir de l'usage des rayons X. Cette technique est rare dans l'industrie, on la trouve surtout dans le secteur médical ou dans la recherche.

Mise en œuvre

« La vision 3D en stéréo est beaucoup plus fiable, estime Pierre Robert (Visio Nerf). Les scanners avec laser fonctionnent très bien,mais ont des inconvénients significatifs. Ils nécessitent une calibration sur le site si les éléments, laser et caméra, sont sépa-rés. Il faut un axe motorisé pour le déplacement des pièces, qui doit être bien aligné avec le système de vision.Cela n'est pas compliqué,mais c'est critique, et cela demande du temps. De plus, la réflexion de faisceaux peut engendrer la mesure de faux points.» Visio Nerf a en effet opté pour la stéréovision couplée à la projection de lumière bleue structurée. « Cela offre une redondance des informations, qui réduit le nombre de faux points » , poursuit-il .

En plus d'analyser les différences entre les technologies 3D, les futurs utilisateurs devront définir comment les mettre en œuvre. « Les capteurs sont beaucoup plus simples pour l'utilisateur, mais les systèmes à partir d'éléments séparés présentent un avantage sur les applications requérant plus de flexibilité », résume Alain Duflot (Cognex). En profilométrie, les pièces doivent être en mouvement, comme pour un scanner. Il faut donc un mouvement régulier, ou un codeur incrémental sur le convoyeur pour mettre en correspondance les données du capteur 3D avec le mouvement de la pièce observée. « La caméra peut aussi être déplacée par un robot au-dessus d'une pièce fixe », indique Frédéric Equoy (GIPSVision).

Comme en vision 2D, il existe des caméras 3D qui transmettent simplement des données brutes. Mais la tendance est également à la simplification des produits: plus compacts, ils embarquent de la puissance de calcul pour le traitement des données. On parle alors de caméras intelligentes, ou de capteurs. « La différence entre un capteur et une caméra intelligente est surtout dans la puissance de calcul.Mais les capteurs sont aussi limités en champ de vision, leurs cadences sont moins importantes, et leurs applications plus limitées. Les caméras intel-ligentes sont souvent plus grosses, mais peuvent contenir des centaines d'outils et de programmes,que l'on peut changer en fonction de la production », décrit Florent Poitrine (Sick). Pour Alain Duflot (Cognex), « les capteurs ont aussi l'avantage d'être précalibrés en mesure de profondeur », et permettent de « faire des analyses très complexes » malgré leur simplicité.

Les caméras en temps de vol ont actuellement une résolution beaucoup plus faible que les autres technologies de vision 3D. Mais elles conviennent à des applications comme la détection d'objets, et ne sont pas limitées en profondeur de champ.

ifm electronic

Avec l'ambition de rendre la vision 3D toujours plus accessible, Sick sort ce mois-ci un nouveau capteur destiné à la profilométrie. Plus compact, donc, que les caméras intelligentes qui figurent déjà au catalogue, il proposera d'effectuer quelques fonctions de base, mais se veut surtout très simple à installer. Les caméras temps de vol aussi existent en version « capteur », avec une couche applicative intégrée. « Un logiciel à configurer en quelques étapes permet de mesurer facilement des distances ou des volumes. D'autres fonctions seront ajoutées à l'avenir », explique Frédéric Saint-Jean (ifm electronic).

Visio Nerf est également présent sur le créneau du traitement embarqué des données, avec Cirrus: « Il intègre la totalité du système de vision, avec le calculateur et le logiciel, indique Pierre Robert (Visio Nerf). Il est calibré, nous sommes donc sûrs du niveau de précision et de la qualité de la calibration. Il ne reste alors à l'utilisateur qu'à mettre en relation les repères du capteur avec ceux de son robot.» Sacrifier en flexibilité avec ce type de produit présente ainsi de nombreux avantages. « Nous avons passé trop de temps et d'énergie en intégration », se souvient Pierre Robert.

En profilométrie, les données obtenues sont semblables aux images issues de la vision à deux dimensions: il s'agit d'une cartographie des altitudes, qui peut donc bénéficier des mêmes outils de traitement d'image.Lorsque les données recueillies forment un nuage de points, comme en stéréovision ou en temps de vol, « il n'est plus possible de représenter tous les points 3D par une carte indique Frédéric Equoy (GIPSVision). Typiquement, pour la robotique, il faut de grandes profondeurs de champ, on est alors plus proche de la vision humaine ».

La robotique nécessite à la fois de la précision et une grande profondeur de champ. Pour ces applications, on utilise généralement la stéréovision, notamment pour effectuer du dévracage, où des pièces à attraper peuvent être dans n'importe quelle position.

SIR

La contrainte des lasers

La vision 3D par profilométrie utilise un laser, soumis à des normes de sécurité. «Les normes existantes ont été conçues pour les lasers points,qui émettent la totalité de la puissance de façon concentrée, explique Pierre Robert (Visio Nerf). Pour une puissance donnée,un laser point peut être dangereux pour la rétine,tandis que la même puissance répartie sur une raie devient inoffensive à une certaine distance. Mais il faut tout de même faire appel à un organisme de certifications pour vérifier que l'intensité lumineuse est sans danger.» Visio Nerf a donc opté pour l'usage de lumières bleues, émises par des Led, qui ne présentent pas de danger.

Traitement des données

Ainsi, « des algorithmes peuvent être équivalents en 2D et en 3D, comme pour la lecture de caractères », explique Alain Duflot (Cognex). Mais il existe également des algorithmes spécifiques à la 3D: pour la mesure de volume, rechercher le point le plus haut, ou encore établir le lien entre une forme observée et le modèle CAO 3D correspondant. Les logiciels des fabricants proposent des banques de fonctions convenant à la plupart des applications.Alain Duflot ajoute: « L'utilisateur peut développer ses propres fonctions, mais ça n'est pas courant.»

Des logiciels plus larges peuvent aussi être mis à profit pour développer des applications. Ainsi, National Instruments, qui travaille en partenariat avec différents fabricants, propose avec son logiciel LabView une bibliothèque de fonctions dédiées à la vision 3D dans son module dédié à la vision. « La stéréovision est prise en charge nativement, précise Antonin Goude, ingénieur responsable produit pour les systèmes embarqués de National Instruments. Avec des modules créés par nos partenaires, nous pouvons également prendre en charge d'autres méthodes de vision 3D, comme le temps de vol, ou la triangulation.» Le développeur de solutions Matrox a également fait évoluer ses bibliothèques de traitement d'image pour prendre en charge la 3D.

En tant que produits destinés à l'industrie, les caméras 3D, tout comme les modèles traditionnels, sont généralement dotées d'un indice de protection élevé. Évidemment, l'appareil doit également rester propre, pour éviter que la vue soit troublée par des projections.Visio Nerf développe ainsi une version de Cirrus dotée d'un capot de protection motorisé: « Il agit comme des paupières, entre deux cycles, en guise de protection contre les éclaboussures » , décrit Pierre Robert (Visio Nerf). L'aspect thermique peut également être important, et nécessiter un système de ventilation particulier. « La cadence de la caméra peut l'amener à chauffer. Il faut dans ce cas être attentif au montage, pour avoir un support qui dissipe la chaleur », prévient Frédéric Saint-Jean (ifm electronic).

Aujourd'hui, « la démocratisation de la vision 3D ouvre de nouvelles perspectives d'applications, estime Alain Duflot (Cognex). Cette technologie est en pleine évolution, nous n'en sommes qu'au début, comme avec la vision 2D il y a 15 ans. Les capteurs deviennent plus rapides, avec une meilleure résolution,et des champs de vision plus importants.» La 3D devrait donc encore gagner du terrain dans l'industrie.

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