Enfin Un Moyen “Universel” De Mesurer La Conductivité Électrique

Le 01/01/2013 à 14:00

Connaître la conductivité électrique d'un matériau est riche d'enseignements. Celle d'un alliage d'aluminium, par exemple, est liée à sa souplesse. La conductivité d'un métal renseigne sur sa pureté. De même il est possible de connaître la composition d'un alliage, ou d'avoir des indications sur le procédé mis en œuvre dans sa fabrication. Quant à la conductivité des produits métalliques, elle est liée aux traitements thermiques qu'ils ont subis… Dans l'industrie des matériaux, il est donc souvent nécessaire de mesurer cette grandeur. Pour ce faire, ce ne sont pas les méthodes qui manquent. Il existe tout d'abord des procédés à contact, tels que la méthode dite “des quatre points”. Celle-ci consiste à injecter un courant électrique dans le matériau à l'aide de deux électrodes, puis à mesurer la chute de ten-sion sur le parcours du courant grâce à deux autres électrodes. La solution est efficace, mais elle ne convient pas à tout type d'applications: si le matériau est peint, recouvert d'un emballage, ou constitué de plusieurs couches isolées les unes des autres, le procédé n'est pas utilisable.

Les capteurs à courants de Foucault sont utilisés dans de multiples applications. Ici une sonde à champ tournant permet d'obtenir une cartographie des défauts présents dans un tube d'échangeur de vapeur de centrale nucléaire.

Photos : Sciensoria

Autre méthode employée, une technique de mesure sans contact basée sur les courants de Foucault. Ces derniers se développent dans tout le volume des matériaux conducteurs, et fournissent des indications précises sur la conductivité électrique de l'ensemble. En pratique, la méthode consiste à soumettre le matériau à un champ magnétique alternatif à l'aide d'une bobine d'excitation. On génère ainsi l'apparition de courants induits (courants de Foucault) dont l'intensité dépend des caractéristiques du matériau. Ces courants engendrent un champ magnétique secondaire que l'on mesure indirectement à travers l'impédance de la bobine,oudirec-tement, grâce à un capteur de champ ma-gnétique. On en déduit alors la conductivité électrique du matériau. Rappelons en effet qu'outre les caractéristiques de la bobine et la fréquence du courant d'excitation, l'impédance (Z) dépend des caractéristiques du matériau contrôlé, et en particulier de sa conductivité électrique (s), sa perméabilité magnétique (µ), son épaisseur (e), et la distance entre la bobine et la cible ( lift-off ) : Z = f (s, µ, e, lift-off ) où Z est une impédance complexe (Z=R+jX),dont les composantes R et X sont mesurables par un analyseur d'impédance. Ce procédé offre plusieurs avantages. La bobine d'excitation peut être placée à quelques dixièmes de millimètres (voire quelques millimètres) de la surface du matériau, de même que l'élément de détection du champ magnétique secondaire. Il n'y a aucun contact, et donc aucun frottement. De plus, il est possible de réaliser le contrôle à travers des couches de peinture oud'embal-lage, ainsi que sur des pièces en défilement rapide dans le domaine de la production. La méthode est d'ores et déjà employée dans de multiples applications, avec des contraintes plus ou moins importantes. Si elle est utilisée par exemple pour mesurer la conductivité électrique des métaux non magnétiques (à condition toutefois que l'épaisseur de la pièce contrôlée soit assez importante), il n'existe en revanche aucun instrument capable de mesurer cette grandeur avec les métaux magnétiques comme les aciers. Les applications se font alors au cas par cas, au prix d'études et de matériels spécifiques.

L'essentiel

Sciensoria a développé une application visant à mesurer la conductivité électrique des matériaux composites à l'aide de capteurs à courants de Foucault.

La solution, basée sur un logiciel doté d'une fonction d'estimation multiparamètres, prend en compte l'épaisseur du matériau et la variation d'entrefer.

Elle facilite ainsi la mesure de la conductivité dans différentes applications de recherche et de production.

Sciensoria, en bref

Créée en 2000 par un groupe d'ingénieurs-chercheurs français, Sciensoria est spécialisée dans l'instrumentation dédiée au contrôle non destructif. La société fournit des solutions basées sur des méthodes électromagnétiques (courants de Foucault, cartographie du champ magnétique terrestre, détection de champ lointain, etc.), qui sont applicables dans différents domaines de la recherche et de l'industrie. Pour ces applications, elle propose des appareils et des capteurs standards ou des solutions sur mesure.

Plusieurs paramètres influents

Dans le cas particulier des matériaux en composite carbone, les procédés existants montrent un certain nombre de limites. La mesure par contact, en premier lieu, n'est pas envisageable. Le matériau est en effet composé de plusieurs couches de fibres superposées et isolées les unes des autres par une résine non conductrice. Les contacts s'arrêtent donc à la surface du matériau, et ne peuvent pas générer un courant électrique dans les couches intérieures.

Il est possible en revanche de réaliser une mesure par courants de Foucault. Le champ magnétique alternatif atteint toutes les couches du matériau et y génère l'apparition de courants induits.Enme-surant le champ magnétique total, on accède à la conductivité électrique du matériau. Mais ce résultat dépend aussi d'autres paramètres. Le plus influent est la valeur de l'entrefer, autrement dit la distance qui sépare le capteur des fibres conductrices. Dans le cas d'un matériau composite, cette grandeur est très difficile à évaluer, car la surface de la pièce est constituée d'une couche de résine non conductrice. Pourtant il faut impérativement maîtriser cette grandeur, qui provoque à elle seule une variation du signal bien plus importante que celle de la conductivité électrique.

La solution de Sciensoria est composée d'un capteur à courants de Foucault, d'un analyseur d'impédance et d'un PC équipé du logiciel Inducsens. Elle constitue un moyen “universel” de mesurer la conductivité électrique d'une grande variété de matériaux conducteurs.

Autre paramètre à prendre en compte, l'épaisseur du matériau. Pour négliger son influence sur le résultat, l'épaisseur doit être assez importante (de l'ordre d'une dizaine de millimètres pour un matériau composite), afin d'être considérée comme “infinie” dans le calcul conduisant à la valeur de la conductivité. Or l'épaisseur d'une plaque en composite varie fortement d'un produit à l'autre. Ceci implique la nécessité d'étalonner le procédé de mesure par rapport à l'épaisseur de la pièce, et donc d'ajouter une troisième variable au calcul. En pratique, le volume de données à maîtriser est souvent trop important pour que la méthode soit retenue. Jusqu'à présent, la mesure de la conductivité électrique des matériaux composites à base de carbone n'était donc effectuée que très rarement, sur des applications bien identifiées et maîtrisées…

Cette application a pourtant un intérêt majeur. Elle permet notamment d'avoir des informations sur la structure du matériau, et de contrôler le procédé de fabrication. L'élaboration d'une pièce en composite carbone nécessite bien souvent de chauffer le mélange suivant un procédé d'induction. Si les matériaux sont peu conducteurs, la méthode de chauffage est inopérante. La conductivité électrique constitue alors un paramètre essentiel pour déterminer l'effi-cacité de la solution.

Consciente du problème, la société française Sciensoria a recherché un moyen de mesurer la conductivité des matériaux en composite carbone tout en tenant compte des paramètres d'entrefer et d'épaisseur. Son expérience dans le domaine des courants de Foucault lui permet de lancer au début des années 2000 un outil appelé Conducsens. La solution, basée sur un modèle physique facilement calculable, s'adresse dans un premier temps aux pièces métalliques. Mais lors de son introduction sur le marché, il existe déjà des équipements dédiés aux métaux, et le système développé par Sciensoria ne peut pas trouver un terrain d'application exclusif. Hors de ce sentier battu, la société s'adresse alors au domaine des matériaux composites, où aucun appareil n'est encore proposé. Cette approche est couronnée de succès. Courant 2012, Sciensoria réalise plusieurs essais en collaboration avec des industriels. Les résultats prouvent que le système Conducsens peut aussi bien mesurer la conductivité électrique de matériaux composites que de métaux.

Un procédé inédit

En pratique, le dispositif est constitué d'une sonde à courants de Foucault, d'un analyseur d'impédance capable d'effectuer des balayages en fréquence, et du logiciel d'analyse Inducsens développé par Sciensoria. Ce dernier est construit autour des équations qui décrivent le comportement de l'impédance (Z) en fonction des paramètres influents : la conductivité électrique du matériau, sa perméabilité magnétique, l'épaisseur de la pièce et le lift-off .

Grâce à ces équations, Inducsens peut simuler le comportement d'un capteur à courants de Foucault. Il calcule aussi les paramètres influents à partir des données mesurées (il s'agit de l'inversion de données expérimentales). Le procédé de l'inversion est itératif : il consiste à ajuster les paramètres recherchés jusqu'à ce que les valeurs d'impédance calculées soient le plus proches possible des valeurs mesurées expérimentalement. Du fait qu'il faut rechercher simultanément plusieurs paramètres, le procédé n'est pas manuel. Il s'appuie sur un ou plusieurs algorithmes. Lorsqu'il y a une convergence entre les mesures expérimentales et les valeurs théoriques de l'impédance, les paramètres proposés caractérisent le matériau contrôlé. Il est donc possible d'accéder à la conductivité électrique du matériau, sans étalonnage préalable.

Le système Conducsens

Le capteur à courants de Foucault est relié à un analyseur d'impédance, lui-même connecté à un PC à travers un bus GPIB. L'impédance analysée par le logiciel Inducsens permet de calculer les paramètres influents comme la conductivité électrique et l'épaisseur de l'échantillon.

a méthode de traitement du signal de l'application Conducsens est basée sur un procédé itératif. Les paramètres recherchés s , µ, e t lift-off sont ajustés jusqu'à ce que l'impédance calculée soit la plus proche possible de la valeur mesurée expérimentalement.

Contrairement aux solutions proposées jusqu'à présent, le logiciel tient compte de l'épaisseur (finie) des matériaux composites. En pratique, Inducsens dispose de deux applications dédiées: la première est destinée à la mesure de conductivité électrique (Conducsens), la seconde à la mesure d'épaisseur (Nanosens). Du fait que les deux paramètres produisent des effets couplés, la conductivité d'un matériau ne peut être mesurée sans connaître son épaisseur, et inversement. Les outils disponibles jusqu'à présent sur le marché ne pouvaient donc mesurer l'épaisseur d'un produit que si sa conductivité restait constante d'un échantillon à l'autre. Ou comparer la conductivité électrique d'objets de même épaisseur. Désormais, il est possible de contrôler des plaques de différentes épaisseurs, et de comparer les valeurs de conductivité obtenues. De plus, le nouvel outil évalue l'entrefer entre la sonde et la couche de matériaux conducteurs. Il n'est donc plus nécessaire de réaliser des mesures à entrefer constant, ce qui facilite un grand nombre d'applications. Si Inducsens a semble-t-il satisfait toutes les attentes, différents essais sont en cours pour déterminer précisément ses limites. La solution est destinée aux mesures en laboratoire, ainsi qu'à la surveillance du procédé de fabrication des matériaux composites. Son champ d'applications est pour l'instant réservé à l'étude de nouveaux matériaux à forte valeur ajoutée. Parmi eux, les empilements de métaux utilisés dans l'aéronautique, ou encore les alliages aluminium dans l'industrie automobile.

Copy link
Powered by Social Snap