La spectrométrie Raman sort (enfin) du laboratoire

Le 01/03/2016 à 14:00

E ntre l'introduction des analyseurs portables Mira par le suisse Metrohm ( voir Mesures n° 871 et 878 ) et Progeny et ResQ de Rigaku Analytical Devices (entité américaine du japonais Rikagu), par exemple, ou encore le rachat de l'américain Kaiser Optical Systems par le groupe suisse Endress+Hauser en novembre 2013 et le rachat de l'américain Ahura Scientific par son compatriote Thermo Fisher Scientific en 2010, la technologie Raman a fait l'actualité ces derniers temps. Pour les techniciens et responsables de laboratoire, qui connaissent bien cette méthode spectroscopique, il n'y a rien d'étonnant à ces annonces; mais, pour tous les autres industriels, c'est plutôt les différents signes d'une tendance de fond qui est en train de se produire. Comme nous allons le voir, la technologie Raman n'est sortie des laboratoires que depuis quelques années seulement, et encore principalement sous la forme d'appareils portables. Les analyseurs de process, eux, restent pour l'instant très rares… Remontons tout d'abord une centaine d'années en arrière pour faire un point historique. L'existence de l'effet Raman a d'abord été démontrée d'un point de vue théorique par le mathématicien autrichien Adolf Smekal en 1923. Cinq années supplémentaires auront été nécessaires pour que le physicien indien C.V Raman mette au point une mé-thode spectrographique très perfectionnée pour l'époque pour observer expérimentalement cet effet. C.V. Raman a reçu en 1930 le prix Nobel de physique pour cette découverte et a laissé son nom à cet effet de diffusion de la lumière par la matière.A la fin des années 1930, la spectroscopie Raman était devenue la principale méthode d'analyse chimique non destructive.

Une méthode analytique pleine d'atouts

Après la Seconde Guerre mondiale, la spectroscopie dans le domaine spectral moyen infrarouge s'est largement répandue, grâce aux avancées technologiques importantes et, plus particulièrement, à sa simplicité d'utilisation. Ce qui a sonné le glas de la spectroscopie Raman, confinée alors à des études fondamentales dans des chambres noires par des techniciens très qualifiés. « L'apparition des sources de lumière monochromatique puissante (les lasers) dans les années 1960 a apporté à la méthode Raman l'outil idéal pour exciter la matière.Mais cette technique resta largement confinée dans les laboratoires, car elle nécessitait toujours du personnel très qualifié et des instruments très volumineux », poursuit Mathieu Jourdain, chef de produits Spectroscopie NIR chez Metrohm France. « Si les premiers spectroscopes Raman ont fait leur apparition dans les laboratoires dans les années 1940, il a fallu attendre les années 1980 pour qu'une nouvelle génération d'appareils, plus adaptée au laboratoire, réapparaisse. Et encore une décennie pour voir les premières tentatives dans les procédés », constate Stéphane Barret, ingénieur commercial Analyse chez Endress+Hauser France.

La spectrométrie vibrationnelle Raman repose sur le principe suivant: porté à un niveau énergétique virtuel (excitation) par une source lumineuse monochromatique puissante, de type laser, un matériau réémet ensuite un rayonnement qui est collecté puis analysé par un détecteur ad hoc. Cette radiation comporte deux types de signaux : le premier très majoritaire correspond à la diffusion Rayleigh (intensité comprise entre 10 -3 et 10 -5 de l'intensité initiale I0 ): la radiation incidente est diffusée élastiquement sans changement d'énergie, donc de longueur d'onde. Dans un nombre très limité de cas, des photons peuvent toutefois interagir avec la matière. Dans ces conditions, l'échantillon peut absorber, ou céder, une partie de l'énergie des photons incidents produisant ainsi les radiations Stokes (environ 10 -7 de I0 ), ou anti-Stokes (environ 10 -9 de I0 ). La variation d'énergie observée au niveau du photon renseigne alors sur les niveaux énergétiques de rotation et de vibration de la molécule concernée. Concrètement et à l'instar d'un modèle en infrarouge, un spectromètre Raman s'articule autour de trois éléments: « Une source monochromatique intense (laser) envoie un faisceau lumineux sur un échantillon,qu'il soit sous forme liquide, solide ou gazeuse. Une petite fraction de la lumière (1 millionième) interagit avec les liaisons entre les atomes des molécules (diffusion inélastique). La lumière diffusée revient à l'aide de lentilles vers un filtre puis un système dispersif (Czerny-Turner,réseau, réseau holographique de type Volume Phase Gratings [VPG]) et enfin un détecteur CCD ou InGaAs », décrit Julien Garcin, ingénieur technico-commercial et responsable de la division Spectrométrie moléculaire de Fondis Bioritech, distributeur et centre euro-péen de maintenance de Rigaku Analytical Devices.Les systèmes pour les applications de recherche sont volumineux et onéreux, de par, notamment, l'utilisation d'un laser puissant et un fonctionnement dans le noir complet pour éviter les lumières parasites.

Cela ne fait que quelques années que la spectroscopie Raman est sortie de son cocon du laboratoire, mais la technologie a déjà trouvé sa place. Les services intervenant dans la sécurité et l'industrie pharmaceutique sont les principaux utilisateurs des analyseurs Raman portables.

Rigaku Analytical Devices

Si les spectromètres Raman et infrarouge se ressemblent du point de vue de leur fonctionnement, d'aucuns pourraient se demander quel est l'intérêt de choisir la technologie Raman plutôt que les méthodes proche et moyen infrarouges pour l'analyse de ses produits. « La spectroscopie Raman étant le reflet des transitions vibrationnelles fondamentales, elle est caractérisée par une haute sélectivité, à l'instar du moyen infrarouge.

L'interprétation spectrale est donc aisée et ne nécessite pas, contrairement au proche infrarouge, l'utilisation d'outils mathématiques et statistiques avancés », avance Mathieu Jourdain (Metrohm France). « Les spectres Raman se présentent avec des pics biens définis (nombre de photons [intensité] en fonction du shift Raman en cm -1 ), comparables à ceux obtenus en spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier [FTIR].De même,la région des empreintes moléculaires (signatures spécifiques) se situe entre 200 et 2 000 cm -1 », précise Julien Garcin (Fondis Bioritech).

Une méthode pas influencée par l'eau

Comme toutes les méthodes analy-tiques, la spectrométrie Raman présente toutefois quelques limites. Pour Stéphane Barret (Endress+Hauser France), « s'il est possible de descendre très bas en teneurs avec la spectrométrie infrarouge, nous sommes cantonnés en Raman à des concentrations linéaires entre 0 et 100 %.» La spectroscopie Raman est également caractérisée par des règles de sélection différentes de celles existant en proche ou moyen infrarouge. Une variation du moment dipolaire permanent est nécessaire pour observer une transition vibrationnelle. C'est ce qui explique que seules les liaisons polaires pourvues d'un fort moment dipolaire, comme O-H, N-H, C-H, etc., présentent une forte absorption dans l'infrarouge.

Dans le cas de l'effet Raman, la vibration doit provoquer une variation du moment dipolaire induit de la molécule, autrement dit une modification de la polarisabilité de la molécule. Cette notion de polarisabilité représente la facilité avec laquelle le nuage électronique de la molécule peut se distordre sous l'effet d'un champ électrique appliqué. Une façon simple d'évaluer si la polarisabilité change au cours d'une vibration est d'estimer si le volume moléculaire évolue au cours de la vibration. Les liaisons covalentes, a priori plus polarisables, conduisent donc à des raies Raman in-tenses. Ces règles de sélection ont également une conséquence directe sur le choix de la technique adaptée en fonction du solvant rencontré. Les solutions aqueuses, par exemple, sont très facilement étudiées en Raman,alors que l'analyse infrarouge ne sera possible que sous certaines conditions (trajet optique fin, soustraction du background de l'eau…). La molécule d'eau, en raison de sa pola-rité extrême, entraîne en effet une absorption très forte, voire totale, du faisceau infrarouge, alors que, en spectroscopie Raman, elle conduit à des raies très faibles et peu nombreuses. En étant ainsi beaucoup moins gêné par la présence de l'eau ou de l'humidité, il est par exemple possible d'identifier le soluté dans une solution aqueuse. « Plus généralement, la méthode Raman permet de voir beaucoup plus de molécules », renchérit Stéphane Barret (Endress+Hauser France). La technologie Raman permet par ailleurs d'analyser un échantillon tel qu'il est, sans aucune préparation préa-lable. Et ce qu'il soit sous forme liquide, gazeuse ou solide (liquide ou solide uniquement pour les appareils por-tables). Nous en verrons tout l'intérêt pour les applications de terrain un peu plus tard…

La spectrométrie Raman permet de réaliser une analyse à travers un sachet. Auparavant, l'opérateur devait ouvrir chaque emballage puis réaliser l'analyse du médicament, ce qui pouvait poser des problèmes. Comme un éventuel contact entre l'opérateur et un produit toxique.

B&WTek

Attention au phénomène de fluorescence

Le principal talon d'Achille de la spectroscopie Raman réside dans le phénomène de fluorescence. « Lorsque le faisceau laser frappe un échantillon, plusieurs phénomène s physiques se produisent : les diffusions Rayleigh et Raman, ainsi qu'une fluorescence. Cette émission provient du fait qu'une partie de la lumière incidente peut être absorbée par les transitions électroniques et réémise sous forme d'une fluorescence », rappelle Patrick Oliger, ingénieur Applications et commercial Proche infrarouge chez Bruker Optics France. En pratique, plus la longueur d'onde d'excitation (celle du laser) est courte, plus le phénomène de fluorescence est important… mais plus la sensibilité du détecteur est grande.

« La fluorescence se traduit, au niveau du spectre,par une grosse forme patatoïde gênant, voire empêchant carrément l'identification des raies. Et le phénomène est d'ailleurs plus ou moins important, selon les produits ou les impuretés présentes », indique Julien Garcin (Fondis Bioritech). Pour s'affranchir de la fluorescence, les fabricants ont trouvé une parade : « Nous proposons en fait quatre longueurs d'onde différentes, selon le matériau à analyser, à savoir 532, 633, 785 et 1 064 nm », précise Emmanuel Gresle, responsable du département Analytique de Polytec.

Bruker a développé, pour son modèle Bravo, la technologie Sequentially Shifted Excitation (SSE). « Chacun des deux lasers intégrés et régulés en température permet une acquisition à trois température différentes, d'où l'obtention de 3 “sous-spectres” (soit 6 “sous-spectres” au total) qui sont ensuite retravaillés pour atténuer le maximum de la fluorescence qui apparaît avec certains composés et qui sature le détecteur.Toute l'empreinte spectrale du composé est ainsi obtenue, en évitant la fluorescence,alors qu'avec une source à une longueur d'onde de 1 064 nm, on se prive d'une partie du spectre », explique Patrick Oliger (Bruker Optics France).

A lister les avantages et les limitations de la méthode Raman, on comprend mieux pourquoi toutes les personnes interrogées parlent de méthodes complémentaires, même si les techniques proche et moyen infrarouges sont largement utilisées dans l'industrie, et ce depuis des décennies. Mais de là à ce que l'analyse Raman sorte du labora-toire et soit de plus en plus mise en œuvre dans des applications d'identification, de traçabilité et de contrôle en ligne, il y a quand même un cap pas si évident à franchir.

En fait, le déclic remonte au 11 septembre2001. «B&WTekaété créée il y a tout juste 18 ans à Newark,dans le Delaware, et elle est spécialisée en spectroscopie et en particulier en spectroscopie Raman. Mais c'est suite aux attentats duWorldTrade Center,aux États-Unis, que le marché des spectromètres portables a explosé dans le secteur de la sécurité. Si l'introduction de notre premier modèle transportable remonte à une douzaine d'années, le gros boom de l'instrumentation Raman a eu lieu il y a près de sept ans,quand les analyseurs sont devenus vraiment portables », constate Enrique Lozano Diz, directeur des ventes de B&WTek, distribué en France par Opton Laser International. Il s'agissait en effet de développer des moyens pour détecter d'éventuelles menaces, d'identifier des produits dangereux sur le terrain.

Des conceptions miniaturisées désormais possibles

L'analyse Raman portable a grandement bénéficié de la miniaturisation des différents composants d'un spectromètre. « Grâce à la convergence de nombreux progrès en optique, en microélectronique et en informatique, des spectromètres hautes performances de plus en plus petits ont vu le jour ces dernières années, ouvrant ainsi la voie à un vaste champ d'applications. Le développement des diodes laser et des détecteurs CCD, ainsi que la miniaturisation des réseaux holographiques et des cartes électroniques permettent en effet de développer aujourd'hui un spectro-mètre Raman portable de la taille d'un smart-phone », résume Mathieu Jourdain (Metrohm France).

Ce que confirme Enrique Lozano Diz (B&WTek) en ajoutant: « Il est nécessaire de disposer d'une lumière monochromatique, de petite taille et fiable,pour avoir une réponse continue dans le temps. Cette contrainte ma-jeure ne l'était en fait par pour nous,car B&W Tek concevait et fabriquait déjà des lasers pré-sentant une haute stabilité. En plus de la miniaturisation et de l'optimisation des lasers, la capacité du marché à produire des capteurs très sensibles et à des prix significativement réduits pour la téléphonie mobile a permis le développement ces dernières années de systèmes optiques et de détecteurs miniaturisés. Mais il existe encore très peu de fabricants d'analyseurs portables sur le marché.»

Prenons l'exemple de l'analyseur Mira de Metrohm. « La majorité des analyseurs Raman portables utilise une technique d'irradiation basée sur un faisceau laser de faible diamètre et statique. La surface d'échantillon contrôlée est alors extrêmement faible et rend très difficile l'identification d'échantillons hétérogènes. Par ailleurs, le faisceau laser très focalisé dans ces conditions produit une densité de puissance élevée et ainsi une accumulation de chaleur localisée pouvant détériorer l'échantillon », rappelle Mathieu Jourdain (Metrohm France). La technologie Orbital-Raster-Scan (ORS) développée par le fabricant suisse réalise une irradiation par balayage de trame orbitale pour enregistrer un spectre représentatif sans altérer la résolution. Comme la surface d'échantillon interrogée est exacerbée, l'utilisation d'un laser moins puissant devient possible pour réduire le risque d'endommager le produit et pour augmenter l'autonomie de l'instrument sur le terrain.

Les quelques fabricants ont par ailleurs porté leurs développements sur la robustesse et l'ergonomie des analyseurs Raman portables. Pour Julien Garcin (Fondis Bioritech), « en plus de l'absence de pièces mobiles à l'intérieur du spectromètre, indispensable pour une utilisation sur le terrain, il faut penser à concevoir un système optique étanche,car un analyseur Raman portable est susceptible d'être décontaminé dans de l'eau ou de l'alcool, par exemple.

A l'image des modèles Mira de Metrohm et Bravo de Bruker, les analyseurs Raman portables bénéficient de différents développements, afin de miniaturiser au mieux les appareils, tout en garantissant une fiabilité des mesures, une robustesse compatible avec le terrain et une simplicité d'utilisation.

Bruker

En termes d'ergonomie, on trouve un écran tactile associé à des boutons pour les porteurs de gants, un appareil auto alimenté ne pesant que de 0,5 à 2 kg et se présentant sous la forme d'un pistolet ou d'une torche, ce qui assure une utilisation d'une seule main, etc.» En termes de manipulation, il faut quand même savoir que le laser utilisé dans les analyseurs Raman portables est assez puissant (plusieurs centaines de milliwatts). « Il n'est pas impossible du tout d'arriver à brûler des matériaux, selon leur sensibilité et le temps d'exposition.L'utilisateur doit donc respecter certaines règles de sécurité (port de lunettes et d'autres équipements de protection) pour ne pas risquer un accident au niveau de ses yeux. Pour éviter ces protections, nous avons intégré dans notre analyseur deux lasers d'une puissance inférieure à 100 W (Classe 1M) », précise Patrick Oliger (Bruker Optics France).

Comme les utilisateurs ne sont normalement pas des experts en spectrométrie Raman, il est indispensable de faire en sorte que l'information recherchée soit accessible le plus simplement possible, afin de prendre une décision très rapidement. Cela se traduit par exemple par une base de données déjà fournie par le fabricant, que l'utilisateur peut aussi compléter si besoin est, et qui identifie immédiatement le produit testé. Les analyseurs Progeny et ResQ de Rigaku Analytical Devices se distinguent par un appareil photographique intégré pour joindre la photographie de l'échantillon au rapport, un lecteur de code-barres, la présence d'interfaces USB,Wi-Fi, une base de données de 12500 produits, « la plus grande base de données du marché dans la catégorie » selon le fabricant, une autonomie de 5h (batterie Li-ion), les agréments IP68, MIL-STD-810G, 21 CFR Part 11, etc.

Deux applications : la sécurité et la pharmaceutique

Comme on l'a vu précédemment, les premiers utilisateurs demandeurs d'analyseurs Raman portables ont été ceux présents dans la sécurité au sens large du terme. « La police scientifique s'est très rapidement intéressée à cette nouvelle tech-nique analytique qui permet l'identification sur le terrain d'agents chimiques, de drogues et d'explosifs », indique Mathieu Jourdain (Metrohm France).Au-delà de la police et de la Gendarme nationale, citons les douaniers (substances illicites), les services d'urgence (substance inconnue, r isques NRBC [Nucléaires, Radiologiques, Biologiques, Chimiques]) et les armées (explosifs et gaz de combat).

Même si la sécurité est le marché le plus important pour les fabricants d'analyseurs Raman portables, d'autres industriels s'y sont intéressés. « Nous sommes aujourd'hui présents sur deux marchés, la sécurité et la pharmaceutique. Nous proposons d'ailleurs deux analyseurs Raman portables : le modèle TacticID pour la sécurité et le modèle NanoRam pour la pharmaceutique », précise Enrique Lozano Diz (B&WTek). Pour donner une petite idée de la taille du marché, environ 15000 unités auraient été commercialisées dans le monde pour l'ensemble des applications de sécurité, alors qu'il y en aurait seulement cinq fois moins dans la pharmaceutique. « Le taux d'équipements des fabricants de médicaments français en analyseurs Raman portables reste encore faible. L'adoption est plus lente qu'aux États-Unis – ces industriels veulent d'abord tester et valider la méthode », constate Julien Garcin (Fondis Bioritech).

Lorsque l'on s'intéresse aux avantages et limitations de la spectrométrie Raman, on comprend mieux pourquoi toutes les personnes interrogées parlent de méthodes complémentaires avec les techniques proche et moyen infrarouges.

Endress+Hauser Polytec

« La technologie Raman est toutefois décrite dans la pharmacopée et est donc rentrée dans les mœurs, car c'est aussi une technique facile à mettre en place comparée au proche infrarouge (en termes de temps de validation, par exemple). Même s'il y a toujours à intervenir sur un aspect didactique auprès des utilisateurs », constate pour sa part Patrick Oliger (Bruker Optics France). Les industriels de la pharmaceutique mettent en œuvre des analyseurs Raman portables pour le contrôle des matières premières, de leur conformité aux réglementations en vigueur (vérification de type Fail/Pass de la qualité), que ce soit à l'entrée de la chaîne de production ou à la sortie. Il peut également s'agir de détecter des médicaments contrefaits, directement à travers les blisters.

« Auparavant, avec la spectrométrie proche infrarouge, par exemple, l'opérateur devait ouvrir chaque sachet puis réaliser l'analyse,ce qui pouvait poser des problèmes », rappelle Enrique Lozano Diz (B&W Tek). Comme notamment un éventuel contact entre l'opérateur et le produit à contrôler, produit qui peut être toxique.

C'est pour répondre aux exigences de la pharmaceutique que les fabricants ont doté leurs analyseurs Raman portables d'une sécurisation par mot de passe (21 CFR Part 11), de logiciels correspondant au flux de travail de ces industriels, sans oublier des mesures rapides pour être capable de contrôler 200 sacs en un minimum de temps.

« La technologie Raman commence par ailleurs à se démocratiser en chimie et en cosmétiques. Avec le nombre accru des contrôles réglementaires, la demande en technologie Raman va, elle aussi,forcément augmenter dans les années à venir », soutient Julien Garcin (Fondis Bioritech). Et Mathieu Jourdain (Metrohm France) de renchérir: « Des intérêts commencent à émerger dans d'autres domaines comme la chimie, les polymères, le recyclage, le traitement des eaux… Les applications envisagées sont multiples,comme vérifier l'identité chimique avant le dépotage, les en-cours de polymérisation ou le type de polymères avant de procéder au recyclage… »

Arrivée des premiers analyseurs de process

Après le laboratoire puis le terrain, il ne restait plus que les procédés où la spectrométrie Raman ne s'était pas encore déployée. C'est chose faite depuis maintenant deux ans, avec l'arrivée d'analyseurs Raman véritablement conçus pour les process industriels. « Nous nous concentrons dans un premier temps, pour des raisons stratégiques, sur le marché porteur des gaz, et principalement des gaz de synthèse (de la production à l'utilisation) en chimie et en pétrochimie. Mais des solutions sont en cours de développement pour d'autres applications que celles sur le gaz», explique Stéphane Barret (Endress+Hauser France). « Si des industriels viennent nous voir,c'est qu'ils sont confrontés à un problème de coût lié à des non-conformités.Après l'avoir testée et validée, ils mettent en œuvre la technologie Raman pour mesurer la régularité (l'homogénéité) d'une production.L'analyseur joue ainsi le rôle d'un“super mouchard”,grâce au multiplexage de six canaux de mesure au maximum, avant l'ajout d'un additif ou pour caractériser l'évolution d'une réaction chimique», poursuit Emmanuel Gresle (Polytec).

Comme on l'a vu précédemment, tous les produits ne se prêtent pas forcément très bien à la spectrométrie Raman : « Elle est particulièrement bien adaptée pour doser des constituants d'origine non biochimiques. Mais, dans certains process, la spectrométrie proche infrarouge s'avère plus per-formante que la technologie Raman (cyclohexane et autres produits de la filière du pétrole, protéines, matières grasses…) », poursuit-il. Pour Stéphane Barret (Endress+Hauser France), « nous visons à remplacer les chromatographes en phase gazeuse dans ces applications. C'est l'analyseur, en fait une fibre optique (un spot de mesure au lieu d'un trajet optique), que l'on amène au plus près du process, et non un échantillon du process ramener dans l'analyseur. Il n'y a alors plus de système de prélèvement à prévoir (donc aucun gaz vecteur ni échantillon à rejeter), presque plus de maintenance, etc.»

Comparé à un chromatographe en phase gazeuse, un analyseur Raman de process reste toutefois plus cher –il faut compter entre 40000 et 400000 euros, selon la configuration–, ce qui destine la nouvelle technologie aux process complexes et/ou aux applications nouvelles. Cet ordre de prix s'explique par le fait qu'il n'est pas si évident de développer de véritables analyseurs de process, compte tenu des contraintes bien différentes et bien plus fortes que dans un laboratoire. « Nos systèmes Raman intègrent une source laser au lieu d'une lampe tungstène – c'est la principale différence –, un polychromateur (et non un interféromètre de Michelson) pour diffracter la lumière, associé à une barrette de diodes,ce qui assure un bruit de fond plus faible.L'absence de parties mobiles rend également l'appareil insensible aux vibrations présentes dans une installation industrielle », explique Emmanuel Gresle (Polytec). « La partie optique n'est pas si simple à développer, sachant que l'intensité de la diffusion Raman est très, très faible. Kaiser Optical Systems a pu s'appuyer sur son expérience, car la société était à l'origine spécialisée dans les filtres et les miroirs holographiques, des éléments essentiels pour parfaitement filtrer la lumière parasite », r ap p e l l e Stéphane Barret (Endress+Hauser France).

Un marché de niche, mais à fort potentiel…

Que ce soit pour les applications de process ou pour les analyses sur le terrain, toutes les personnes interrogées s'accordent sur le fort potentiel de la technologie Raman. « Mais nous partons de très, très loin, insiste Emmanuel Gresle (Polytec). Cela reste pour l'instant un marché de niche, compte tenu notamment des investissements à réaliser et du temps nécessaire pour valider une technologie dans l'industrie (de l'ordre de dix ans).On peut comp-ter les fabricants sur les doigts d'une seule main [ AppliTek, Endress+Hauser, Polytec, etc., ndlr ].» Ce que confirme Stéphane Barret (Endress+Hauser France): « Le marché n'est pas complètement mature, nous ne sommes qu'au début de la technologie Raman. Cette analyse voit sa cote augmenter,mais peu d'industriels franchissent le pas. Il y a encore un gros travail à réaliser pour faire changer les mentalités.»

« Plus il y aura de connaissances sur le sujet, plus nous verrons l'éventail des applications possibles. Même si la technologie existe déjà depuis plus d'une décennie, avec un travail important sur la portabilité, c'est encore possible d'améliorer les choses,comme compter le nombre de molécules,analyser des mélanges (et non que les produits purs) », renchérit Enrique Lozano Diz (B&W Tek). Pour faire mieux connaître la spectroscopie Raman dans tous les secteurs industriels, Mathieu Jourdain (Metrohm France) suggère d'autres pistes de développement: « Si nous parvenons à mettre en place des techniques quantitatives reproductibles et justes avec des spectromètres Raman portables, nul doute que l'intérêt industriel de cette technique continuera à évoluer.Une autre perspective d'amélioration pourrait être l'utilisation de techniques d'exaltation de signal pour détecter une substance à l'état de trace,et non plus seulement pour identifier des substances concentrées.» Sans oublier l'impossibilité de contrôler des produits dans des emballages de couleur noire ou très foncée, par exemple dans le recyclage… Parmi les applications possibles, Patrick Oliger (Bruker Optics France) cite « les marchés de l'art, de l'analyse des sols, etc., même s'il faut alors repasser par un PC pour ces applications un peu plus exotiques, car l'intelligence embarquée dans l'analyse a été optimisée pour les contrôles pharmaceutiques.» Pour Emmanuel Gresle (Polytec), « dans les circuits intégrés sur les tissus,où l'on polymérise des tissus avec une lampe UV,l'analyse Raman permet de contrôler si le traitement est suffisant ou non ». Quant à Enrique Lozano Diz (B&W Tek), il affirme que « l'augmentation des performances,la réduction des coûts, etc. participent à la croissance très importante du marché. Nous avons un rôle à jouer en identification et caractérisation chimique, en gemmologie pour la détection des faux diamants, en archéologie (études des pig-ments sur le terrain).Il existe même un groupe de travail qui s'intéresse aux applications médi-cales, telles que le diagnostic de tissus sains ou non, au sein même d'un bloc opératoire. »

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