Surveillance de structures : des méthodes sous le feu des projecteurs

Le 01/05/2013 à 14:00

L e SHM (ou Structural Health Monitoring ) regroupe plusieurs techniques très différentes les unes des autres, mais portées par un objectif commun: le contrôle de l'intégrité des structures. Ce suivi in situ s'effectue en temps réel ou à intervalles réguliers. On l'utilise le plus souvent pour la surveillance des ouvrages d'art et des constructions de génie civil (ponts, barrages, rails, etc.), ainsi que pour des structures critiques (centrales nucléaires, équipements sous pression). Depuis peu, certaines applications voient également le jour dans l'aéronautique, l'énergie ou l'automobile. Il faut dire que les technologies de SHM présentent un très grand intérêt. Les capteurs intégrés ou fixés aux structures autorisent une surveillance en service, sans qu'une intervention humaine soit forcément nécessaire. Suivant les techniques employées, il est possible d'accéder à différents niveaux d'information: détecter les défauts à un stade relativement précoce, déterminer leur emplacement, leur typologie, et même leurs dimensions. Outre le fait qu'il apporte nécessairement une sécurité supplémentaire, le SHM permet aussi de réduire les temps d'immobilisation des structures en intégrant et en automatisant la maintenance. Enfin l'intérêt est également économique. Il est possible en effet d'optimiser la conception d'une structure en choisissant des matériaux plus légers ou plus fins, tout en sachant que l'on ne sacrifiera pas la sécurité. Dans l'aéronautique, par exemple, le SHM vise à détecter les avaries, mais aussi à surveiller les contraintes et les conditions présentes (telles que l'humidité). Un tel suivi permet de limiter les coûts de maintenance, d'augmenter la disponibilité des avions et de réduire leur poids.

L'essentiel

P Le SHM (ou Structural Health Monitoring ) regroupe un ensemble de technologies permettant de surveiller l'intégrité des structures.

P Les ondes ultrasonores guidées connaissent un succès croissant et permettent d'envisager des solutions de surveillance intégrées dans les composites.

P Les fibres optiques, quant à elles, sont davantage utilisées dans la surveillance des ouvrages d'art et le génie civil.

Un suivi continu des composites

Les défauts recherchés dépendent des matériaux surveillés. Les matériaux métalliques sont sensibles aux fissures et à la corrosion, tandis que l'on recherche plutôt les chocs et les délaminages dans les structures en composites. De plus, certaines zones sont plus critiques que d'autres.Au niveau des assemblages,par exemple,les risques de fissuration sont plus grands.

Dans sa fonction première de détection et de localisation des défauts, le SHM est très proche du contrôle non destructif (CND). C'est donc sans surprise que l'on retrouve un grand nombre de techniques communes : ultrasons, courants de Foucault, émission acoustique, etc. Il y a toutefois quelques limites à cette analogie. Le suivi continu in situ empêche le recours à certaines techniques, en raison de leur encombrement ou de leur impact sur l'environnement direct. Ainsi on ne retrouvera pas la tomographie à rayons X,ni la thermographie infrarouge stimulée (qui nécessite de très fortes sources de chaleur).

Les méthodes de SHM permettent de mettre en évidence l'apparition de défauts en comparant les signaux obtenus dans le temps, et en détectant les éventuelles dérives. Les capteurs utilisés peuvent être intégrés dans les matériaux constituant la structure (c'est le cas par exemple avec les fibres optiques qui sont intégrées dans les composites) ou fixés à la surface de la structure en service. Il est possible également d'intégrer le capteur et d'effectuer ensuite un suivi régulier en raccordant le lecteur au moment souhaité. Ces dispositifs de surveillance “simplifiés” permettent d'effectuer un suivi rapide et automatisé de la structure, tout en mutualisant les équipements de lecture.

En revanche, le SHM ne concerne pas les cas où le système de contrôle reste extérieur à la structure ou à l'équipement.Ces applications rejoignent plutôt le domaine du contrôle non destructif.

Parmi les techniques employées pour la surveillance des structures, deux solutions ont le vent en poupe: les ondes guidées et les fibres optiques. Les premières (appelées aussi ondes de Lamb) sont des ondes ultrasonores dont la fréquence est typiquement comprise entre 20 et 100kHz. Elles sont le plus souvent générées par des traducteurs piézoélectriques, qui servent à la fois d'émetteurs et de récepteurs. Comme dans le cas du traditionnel contrôle par ultrasons, il est souvent nécessaire d'appliquer au préalable un milieu couplant entre le traducteur et la structure afin de favoriser la propaga-tion des ondes. Dans d'autres cas, aucun liquide ou gel n'est employé. Il faut alors maintenir une certaine pression entre les capteurs et le matériau.

Le contrôle par ondes ultrasonores guidées se prête bien à la surveillance de structures fines ou tubulaires. La méthode suscite actuellement un grand intérêt. elle permet d'assurer un contrôle rapide et global de structures de grande longueur.

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Si la surveillance des structures par ondes guidées connaît un succès croissant, c'est en raison d'une particularité intéressante des ondes de Lamb. Ces ondes élastiques sont en effet connues pour se propager sur de très grandes distances. Elles assurent ainsi un contrôle rapide et global de structures de grande longueur et de faible épaisseur (plaques, tubes, etc.), ou de zones difficiles d'accès. Les ondes ultrasonores sont “guidées” par la géométrie de la plaque ou du tube, et se propagent ainsi entre les deux parois de la structure. La présence d'un défaut induit une réflexion de l'onde émise. Il suffit alors d'analyser les signaux reçus (temps de parcours et amplitude) pour repérer les zones suspectes,qui pourront ensuite faire l'objet d'un contrôle local plus approfondi.

Plusieurs applications ont récemment vu le jour dans l'aéronautique. L'une d'entre elles consistait à utiliser un réseau de capteurs piézoélectriques pour surveiller périodiquement des structures d'avion au sol. La comparaison des signaux obtenus avec des signaux de référence (sur une structure supposée sans défauts) permettait alors de détecter les anomalies. La technologie est utilisée pour détecter la délamination ou le décollement dans les composites, ainsi que les fissures ou la corrosion dans les matériaux métalliques. Cependant l'analyse de la propagation des ondes de Lamb reste relativement complexe, en particulier dans les composites. La détection des anomalies dans différentes conditions d'environnement et de fonctionnement suppose de comprendre finement la propagation et l'interaction des ondes, d'observer plusieurs scénarios d'avarie pour un réseau de capteurs donné, d'utiliser des indicateurs clairs, et de développer une analyse spécifique en fonction de l'application. Plusieurs solutions sont aujourd'hui en cours de développement, l'objectif étant d'aboutir à une surveillance continue des structures en fonctionnement. Mais il faut pour cela surmonter de multiples contraintes. La vitesse de propagation des ondes de Lamb dépend de la fréquence, de l'épaisseur de la pièce, de l'élasticité et de la densité du matériau. Dans les composites, l'anisotropie conduit à des vitesses de propagation variables selon les directions.A cela se rajoutent d'autres facteurs influents comme l'amortissement, les contraintes thermiques et mécaniques, l'humidité, ou encore le vieillissement du matériau. Enfin les ondes de Lamb interagissent avec toutes les irrégularités de la structure: les défauts, bien sûr, mais aussi les raidisseurs, les perçages, etc.

Pour effectuer une surveillance continue de structures en composites, les capteurs se présentent sous la forme de systèmes souples dotés d'une électronique intégrée. Ils sont généralement constitués de piézocéramiques noyées dans un polymère durci. Il faut ensuite ajouter des câblages souples, ainsi que différents connecteurs et éventuellement des multiplexeurs ou des amplificateurs. Ce type de solution peut être intégrée dans le process de fabrication, afin de produire des composites actifs sans collage.

Des fibres optiques pour les ouvrages d'art

Les technologies de SHM à base de fibres optiques suscitent également un vif intérêt. Les fibres peuvent être directement intégrées dans les matériaux composites. Grâce à leur faible poids et leur petit diamètre, elles ne modifient pas le comportement de la structure étudiée. D'autre part, elles offrent une grande robustesse: les fibres optiques ne sont pas sensibles aux perturbations électromagnétiques, elles sont utilisables dans les milieux corrosifs, humides, ou dans les zones à risques d'explosion. Enfin elles permettent de mesurer différents types de grandeurs physiques (déformation,température,humidité, pression, etc.), et ce à très grande distance. Nul besoin de rajouter un quelconque capteur,c'est la fibre elle-même qui constitue l'élément sensible.Avec à la clé la possibilité de réaliser des mesures simultanées à plusieurs endroits d'une même fibre, comme si l'on multipliait le nombre de capteurs… Les technologies existantes se déclinent en plusieurs variantes suivant le montage utilisé: mesure d'amplitude, interférométrie ou réseaux de Bragg.Ces derniers sont aujourd'hui les plus répandus.Un réseau de Bragg est une structure formée par des matériaux dotés d'indices de réfraction différents. Pour faire simple, c'est un peu comme si le cœur de la fibre était gravé avec une série de lignes équidistantes qui agissent comme des miroirs partiellement réfléchissants. En traversant cette structure, une partie du faisceau lumineux est réfléchie à une longueur d'onde spécifique.Sous l'effet d'une déformation ou d'une variation de température, par exemple, le pas du réseau varie, et avec lui la longueur d'onde du faisceau réfléchi. En étudiant cette dernière, on accède alors à la grandeur recherchée (température, déformation, etc.) et à l'endroit où cette variation a eu lieu. Il suffit d'insérer dans une même fibre plusieurs réseaux de Bragg pour réaliser des mesures à différents endroits d'une structure.

L'émission acoustique est connue pour sa capacité à surveiller des équipements sous pression. Le suivi s'effectue en service. Il met en évidence les défauts évolutifs (fissures, développement de corrosion, délaminages, etc.).

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En termes d'applications, les fibres optiques sont couramment utilisées dans la surveillance des ouvrages d'art et des installations critiques (nucléaire, industries chimiques ou pétrochimiques, etc.). On les retrouve enfin dans les environnements difficiles, comme les milieux humides ou maritimes: coques de navires, installations portuaires, grues, etc. Quelle que soit la technologie de SHM employée, les défis sont encore multiples. L'une des grandes pistes à l'étude reste l'intégration des différents composants (capteurs, source d'énergie, câblage, traitement des données). Les efforts des chercheurs portent sur la mise à disposition de sondes autonomes sans fil, qui embarquent leur propre alimentation.A l'heure actuelle, les sources d'énergie utilisables sont la lumière, la chaleur et les vibrations. Les résines piézoélectriques peuvent en effet transformer une énergie vibratoire en énergie électrique.

D'autres méthodes de surveillance

La surveillance des structures regroupe tout un panel de technologies. Si leur objectif reste le même, le principe et la mise en œuvre sont souvent très différents d'une solution à l'autre. Aux côtés des ondes guidées et des fibres optiques, citons également les méthodes suivantes:

Le contrôle par ultrasons

Des traducteurs piézoélectriques génèrent des ondes ultrasonores de fréquence supérieure à 20 kHz. Ils sont utilisables sur une large gamme de matériaux (dont les composites) et détectent les défauts présents en surface ou dans le volume.

Les techniques ultrasonores font appel à un mode “écho”, qui nécessite d'avoir accès à une seule face du matériau, ou à un mode “transmission”, utilisant deux sondes de part et d'autre. La taille des défauts détectables est théoriquement de l'ordre de la longueur d'onde. Les systèmes haute fréquence sont donc plus précis, mais ils pénètrent moins profondément dans les matériaux.

La solution est l'une des techniques phares du contrôle non destructif. L'imagerie ultrasonore contribue en grande partie à sa démocratisation.

L'émission acoustique

A côté des systèmes actifs (où l'on génère des ondes ultrasonores) coexistent des systèmes dits passifs, tels que les capteurs d'émission acoustique. La méthode consiste à analyser une onde, généralement ultrasonore, émise par la naissance ou la propagation d'un défaut (fissure, déformation, délaminage, développement de corrosion, etc.). Elle peut donc mettre en évidence l'évolution d'une dégradation dans une structure sous surveillance. De plus, les signaux acquis et traités permettent également de localiser le défaut. La technique est largement utilisée dans la surveillance des équipements sous pression et des réservoirs de stockage. Les arrêts d'installation ou les vidanges ne sont pas nécessaires, puisque l'émission acoustique autorise un suivi en service des installations industrielles.

Les vibrations

Si elle est privilégiée dans la surveillance des machines tournantes, l'analyse vibratoire connaît aussi quelques applications dans la surveillance des structures. Elle repose sur des films piézoélectriques qui excitent la structure, et sur des capteurs qui mesurent la réponse à cette sollicitation. La solution offre une précision élevée, elle est compacte et peu coûteuse. En revanche elle montre ses limites pour localiser finement la dégradation ou la déformation, et pour la caractériser.

Le CVM (Comparative Vacuum Monitor)

fournit une information locale sur l'apparition d'une fissure en surface. Le capteur, à base de silicone, présente deux réseaux de petites galeries. L'opérateur fait le vide dans l'un des deux, tandis que l'autre est rempli d'air. Le capteur est collé sur la surface étudiée. Si une fissure apparaît, elle relie les deux réseaux, et il n'est plus possible de faire le vide… La solution est ingénieuse. Elle convient à une grande variété de matériaux et à des surfaces courbes. En revanche, la surface d'étude est limitée à la taille du capteur.

D'autres méthodes sont plus marginales

C'est le cas par exemple des courants de Foucault, qui sont limités à la détection de défauts de surface au voisinage du capteur, sur des matériaux conducteurs. Autre exemple, l'emploi d'un coupe-fil, placé de part et d'autre de la zone à surveiller. Enfin des antennes micro-ondes intégrées dans une structure permettent de détecter la présence et la progression de moisissures. La méthode peut être utilisée pour suivre les structures composites sandwich.

L'autre difficulté consiste à différencier les défauts des discontinuités de la structure, comme la présence d'un renfort ou d'une nervure. Cette discrimination impose l'emploi de capteurs directionnels. La localisation des avaries est alors réalisée par triangulation, y compris dans un milieu anisotrope. Un autre défi reste lié à la durée de vie des composants utilisés. Plusieurs études ont montré qu'un capteur piézoélectrique était toujours plus endurant que la structure qu'il surveille. Mais le problème persiste pour les autres composants (batteries de systèmes sans fil, par exemple) lorsqu'ils sont soumis à des conditions environnementales difficiles. Enfin, au-delà des technologies physiques, le traitement des données nécessite également un certain savoir-faire. L'interprétation des données et la détection des défauts avant qu'ils deviennent critiques reposent en particulier sur une bonne compréhension du comportement de la structure, et sur la modélisation ou la simulation de ce comportement. Les historiques et les comparaisons avec des cas connus de défaillances de structures fournissent alors une aide précieuse.

Le contrôle par ultrasons multi-éléments permet de sonder le cœur des matériaux pour mettre en évidence les éventuelles anomalies.

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Au stade actuel des développements, les avaries sont généralement mises en évidence sur des structures à l'arrêt. Il s'agit donc d'une surveillance ponctuelle. En fonctionnement, les vibrations inhérentes à la structure compliquent la détection. Mais les nombreux travaux de R&D qui sont consacrés à la surveillance des structures permettent de relever peu à peu tous les défis. Au regard des possibilités existantes et de leur potentiel, les technologies de SHM sont promises à un bel avenir.

CeTIM Site de Senlis pôle epI (equipements sous pression et ingénierie d'instrumentation)

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